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Quelques cassations remarquées dans l’affaire UBS...

Créé le

31.01.2024

Cass. crim. 15 novembre 2023, n° 22-81.258.

Résumons en quelques lignes cette « affaire UBS ». Il était, d’abord, reproché à la maison mère de la banque UBS, c’est-à-dire UBS AG, d’avoir envoyé en France des commerciaux d’affaires dans le but de démarcher des clients, notamment à l’occasion de différents événements promotionnels organisés par sa filiale française. Or, la maison mère helvétique ne disposait pas du « passeport européen » lui permettant d’agir de la sorte. Elle était alors poursuivie pour démarchage bancaire ou financier illicite. De plus, et surtout, la banque était critiquée pour avoir ouvert clandestinement des comptes bancaires en dehors de France et pour avoir mis en place, pour ses clients résidents français, une série de services, procédés ou dispositifs tendant à dissimuler les fonds non déclarés déposés par ces mêmes clients. Des faits constitutifs du délit de blanchiment aggravé de fraude fiscale étaient donc également reprochés à cet établissement suisse1.

Le Tribunal correctionnel de Paris avait alors, par un jugement remarqué du 20 février 20192, prononcé une amende de 3,7 milliards d’euros, tout en allouant à l’État français, partie civile, 800 millions d’euros de dommages et intérêts.

Ensuite, la Cour d’appel de Paris avait, par un arrêt du 13 décembre 20213, confirmé la culpabilité de la banque suisse concernant les deux infractions précitées. En revanche, les sanctions avaient été nettement modifiées : l’amende avait été réduite à 3 750 000 euros d’amende et la peine complémentaire de la confiscation avait été ajoutée (pour un milliard d’euros). La condamnation au paiement de 800 millions d’euros de dommages-intérêts au bénéfice de l’État français avait été, pour sa part, confirmée. Sans surprise, UBS AG avait formé un pourvoi en cassation.

La décision de la chambre criminelle de la Cour de cassation, en date du 15 novembre 20234, est donc riche en enseignements. Elle aborde, logiquement, les délits de démarchage bancaire ou financier illicite et de blanchiment aggravé de fraude fiscale, mais aussi la confiscation susceptible d’être prononcée en présence de cette seconde infraction et enfin les dommages et intérêts pouvant être octroyés à l’État, partie civile. Or, si la Cour de cassation casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel de Paris, c’est en ses seules dispositions relatives aux peines et aux intérêts civils, toutes les autres dispositions étant expressément maintenues. Une juridiction de renvoi, en l’occurrence la Cour d’appel de Paris autrement composée, devra alors se prononcer prochainement sur ces points. Reprenons, successivement, les principales solutions dégagées par la Haute juridiction.

En premier lieu, la décision s’intéresse au démarchage bancaire ou financier. Pour mémoire, il s’agit du fait, pour certains professionnels, d’encourager directement, par une « démarche » (donc un acte positif), des particuliers à souscrire à certains produits bancaires ou financiers. Or, pour éviter tout abus de la part des professionnels en la matière, le législateur a cherché à prévoir des mesures de protection au bénéfice des particuliers démarchés. Tel est le cas du délit de démarchage bancaire ou financier illicite prévu par l’article L. 353-2, 1°, du Code monétaire et financier. Ce dernier punit de cinq ans d’emprisonnement et de 375 000 euros d’amende, « le fait, pour toute personne, de recourir à l’activité de démarchage bancaire ou financier définie à l’article L. 341-1 sans remplir les conditions prévues aux articles L. 341-3 et L. 341-4 ». Deux questions étaient alors abordées par l’arrêt à propos de ce délit concernant, d’une part, l’éventuelle prescription de l’action publique et, d’autre part, sa caractérisation.

Ce dernier point retiendra ici notre attention. La Haute juridiction considère que l’arrêt de la cour d’appel n’encourt pas la censure. En effet, cette dernière se serait prononcée par des motifs dont il ressortait qu’elle avait « recherché, comme elle le devait et en répondant aux chefs péremptoires des conclusions des parties, si les faits de démarchage bancaire reprochés à la société [2] entraient dans les prévisions de l’article L. 341-2 du code monétaire et financier ». Voilà qui manque, selon nous, de précision. En quoi les éléments constitutifs du délit étudié étaient bien présents, et surtout qu’est-ce qui démontrait que nous n’étions pas dans l’un des cas dérogatoires visés par l’article L. 341-2 ? La Cour de cassation ne nous le dit pas, hélas.

En deuxième lieu, la décision aborde l’infraction de blanchiment aggravé de fraude fiscale. La Cour de cassation considère ici que la question préjudicielle portant sur le point de savoir si l’Accord du 26 octobre 2004 entre la Communauté européenne et la Confédération suisse5 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce que, sur le fondement d’une réglementation pénale nationale visant à lutter contre le blanchiment de capitaux, une banque soit poursuivie et condamnée (le cas échéant de façon systémique) pour des faits de détention et de gestion de fonds et/ou pour la fourniture corrélative de services permettant notamment d’assurer le secret bancaire, n’est pas utile, dès lors que l’interprétation correcte du droit de l’Union s’impose avec une telle évidence qu’elle ne laisse place à aucun doute raisonnable.

Ainsi, le moyen, qui est inopérant en ce qu’il invoque l’application de l’Accord en question à des faits de blanchiment aggravé de fraude fiscale commis, d’une part, antérieurement à son entrée en vigueur le 1er juillet 2005, d’autre part, par interposition de personnes morales et de trusts ainsi qu’au moyen de la fourniture de contrats d’assurance vie, dès lors que le périmètre de l’Accord est circonscrit par son article 4, § 1, aux personnes physiques déposantes et par son article 7 aux revenus de l’épargne sous forme de paiement d’intérêts, est écarté.

En troisième lieu, il convient de rappeler que la décision de la Cour d’appel de Paris avait décidé de condamner la banque UBS AG à la peine de confiscation de son patrimoine à hauteur de 1 milliard d’euros, en prélevant cette somme sur les 1,1 milliard d’euros versés le 23 juillet 2014 à la régie du Tribunal judiciaire de Paris au titre du cautionnement imposé par les juges d’instruction dans la même affaire6.

Or, la confiscation en question occasionnait des difficultés juridiques concernant, notamment, l’application de la loi dans le temps. La Cour de cassation commence alors par rappeler que le contenu des articles 111-3, 131-21, alinéa 6, et 324-9, alinéa 1er, du Code pénal, et plus particulièrement ce dernier dans sa version antérieure à la loi 6 décembre 2013. Elle note ainsi, concernant cette même disposition, qu’il n’en résulte pas « que la confiscation de patrimoine figure parmi les peines encourues par les personnes morales pour sanctionner le délit de blanchiment ». En conséquence, en statuant comme elle l’avait, et dès lors qu’à la date des faits visés par la prévention les personnes morales poursuivies du chef de blanchiment n’encouraient pas la peine de confiscation de tout ou partie de leur patrimoine, « la cour d’appel avait méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus rappelés ». La cassation est donc encourue de ce chef. Cette solution, conforme au droit de l’application des dispositions pénales dans le temps, échappe à toute critique.

On notera, par ailleurs, que le fait que la confiscation ait porté sur le cautionnement, imposé initialement à UBS AG, suscitait également des interrogations. Un moyen avancé par la banque considérait qu’il résulte de l’article 142 du Code de procédure pénale que le cautionnement n’a vocation qu’à garantir le paiement « de la réparation des dommages causés par l’infraction et des restitutions, ainsi que de la dette alimentaire lorsque la personne mise en examen est poursuivie pour le défaut de paiement de cette dette », ainsi que « des amendes ». Ici encore, le moyen parvient à convaincre la Cour de cassation. La cassation est prononcée sur ce point.

En dernier lieu, la condamnation d’UBS AG à payer à l’État français, partie civile, la somme de 800 millions d’euros à titre de dommages et intérêts suscitait plusieurs critiques. D’abord, il apparaissait que l’arrêt attaqué avait intégré dans les postes de préjudice dont il accordait réparation, le discrédit sur les dispositifs de l’État français tendant à prévenir l’apparition du phénomène du blanchiment.

Or, pour la Cour de cassation, en statuant ainsi, dès lors que la demande formée devant elle par la partie civile au titre du discrédit jeté par le comportement de la société UBS AG sur le dispositif national préventif de lutte contre le blanchiment tendait à la réparation d’un chef de préjudice distinct de celui invoqué devant les premiers juges7, qu’elle présentait un caractère nouveau et était comme telle irrecevable, la cour d’appel avait méconnu l’article 515, alinéa 3, du Code de procédure pénale aux termes duquel la partie civile ne peut, en cause d’appel, former aucune demande nouvelle. La cassation est, par conséquent, de nouveau encourue.

Ensuite, il est à noter que, pour confirmer la condamnation de la société UBS à payer à l’État français la somme de 800 millions d’euros à titre de dommages et intérêts, l’arrêt attaqué énonçait, notamment, que pour identifier les actifs dissimulés à l’étranger, les services de l’État avaient accompli un nombre conséquent d’investigations et de recherches assumées par ses agents, ce qui avait entraîné des frais de fonctionnement correspondant à l’accomplissement de ces tâches. Ils précisaient encore que les actes de dissimulation et de justifications mensongères concernés avaient rendu encore plus malaisés les mécanismes de vérification que l’administration est fondée à mettre en œuvre et que, compte tenu du temps écoulé, l’acquisition de la prescription fiscale était apparue caractérisée et que de ce fait l’État avait « subi une perte de chance comme il l’allègue ».

À nouveau, la Haute juridiction ne partage pas une telle lecture. Elle note ainsi que seule constitue une perte de chance réparable la disparition actuelle et certaine d’une éventualité favorable. Or, selon elle, la cour d’appel n’avait pas établi l’existence de celle-ci, constituée par la possibilité pour l’administration fiscale, compte tenu des caractéristiques des fraudes fiscales, de détecter, établir et recouvrer l’impôt éludé avant l’expiration des délais de reprise, dont le blanchiment l’aurait privée. De plus, et surtout, la Cour de cassation considère que les juges du fond ne pouvaient, sans mieux justifier leur décision, fixer à 800 millions d’euros le montant global des dommages et intérêts. La cassation est, une nouvelle fois, prononcée. Cette solution ne surprendra pas lecteur : l’octroi de tels dommages et intérêts implique une démonstration sérieuse du préjudice effectivement subi. n

À retrouver dans la revue
Banque et Droit Nº213
Notes :
1 Des reproches étaient également faits à sa filiale française, mais nous ne les évoquerons pas ici.
2 T. corr. Paris, 20 févr. 2019, n° 11055092033 : Juris-Data n° 2019-002481 ; Dalloz actualité, 1er mars 2019, obs. J. Gallois ; D. 2019, AJ p. 541, obs. G. Poissonnier ; Banque et Droit n° 184, mars-avr. 2019, p. 91, obs. J. Lasserre Capdeville ; Gaz. Pal.,
11 juin 2019, obs. J. Morel-Maroger ; AJ Pénal 2019, p. 270, obs. L. Saenko.

3 CA Paris, pôle 2, ch. 12, 13 déc. 2021, n° 19/05566 : JCP G 2022, n° 19, 1182, note J. Lasserre Capdeville ; Gaz. Pal., 8 févr. 2022, n° 4, p. 59, obs. J. Morel-Maroger ; LEDB févr. 2022, p. 1, n° DBA200n4, obs. N. Mathey. – V. de Senneville et M. Heilmann, « Fraude fiscale : l’amende d’UBS largement réduit à 1,8 milliard d’euros », Les Échos, 14 déc. 2021, p. 30.
4 Cass. crim. 15 nov. 2023, n° 22-81.258 : Dr. fisc., déc. 2023, n° 50, 358, chron. de droit pénal fiscal, obs. A. Rousseau ; LEDB, janv. 2024, p. 1, obs. N. Mathey ; D. 2024, note J. Lasserre Capdeville, à paraître. – A. Mignon Colombet et A. de Marcillac, « Procès UBS : le milliard introuvable ou la peine impossible ? », JCP G 2023, n° 50-52, 1464. – Th. Madelin et V. de Senneville, « Fraude fiscale : l’amende d’UBS renvoyée en appel », Les Échos, 16 nov. 2023, p. 29.
5 Cet Accord prévoit, pour mémoire, des mesures équivalentes à celles prévues dans la directive 2003/48/CE du Conseil en matière de fiscalité des revenus de l’épargne sous forme de paiements d’intérêts.
6 Sur ce cautionnement « notable », Cass. crim. 17 déc. 2014, n° 14-86.560 : Juris-Data n° 2014-032048 ; Banque et Droit n° 159, janv.-févr. 2015, p. 65, obs. J. Lasserre Capdeville. – CEDH 12 janv. 2017, n° 29778/15, UBS AG c/ France : Dalloz actualité, 23 janv. 2017, obs. T. Soudain ; AJ Pénal 2017, p. 134, obs. J. Lasserre Capdeville.
7 Cette distinction est désormais remise en cause par la Cour de cassation,
Cass. crim. 15 nov. 2023, n° 22-82.826 : AJ Pénal 2024, obs. J. Lasserre Capdeville ;
Dr. pénal janv. 2024, comm. 11, obs. Ch. Claverie-Rousset. – Cass. crim. 13 déc. 2023, n° 22-81.985.
RB