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Précisions sur la caractérisation
du délit de soustraction aux mesures de gel des avoirs dans le cadre
de la lutte contre le terrorisme

Créé le

31.01.2024

Cass. crim. 29 novembre 2023, n° 22-85.867.

Le gel des avoirs peut être défini comme toute action dont l’effet est de priver une personne, un organisme ou une entité, atteint par une telle mesure, de son pouvoir de contrôle sur la chose gelée ou de la possibilité de bénéficier ou de jouir de la chose gelée, le plus souvent de l’argent. Les personnes soumises à une telle mesure sont désignées par une autorité administrative ou une organisation internationale. Ces mesures, incontestablement répressives, se distinguent des saisies ou confiscations prononcées par les autorités judiciaires.

L’encadrement juridique du gel des avoirs, qui figure aux articles L. 562-1 du Code monétaire et financier et suivants1, fait régulièrement l’objet d’évolutions légales. Récemment, l’ordonnance n° 2020-115 du 12 février 2020 a renforcé les capacités d’échange d’informations relatives au gel des avoirs entre autorités compétentes. De plus, et surtout, l’ordonnance n° 2020-1342 du 4 novembre 2020 est venue mettre en conformité le droit français avec les dernières recommandations du GAFI2. Ce texte étend ainsi la compétence des autorités de contrôle en matière de gel des avoirs, confère une compétence conjointe aux ministres chargés de l’économie et des affaires étrangères et accroît les pouvoirs des agents de l’État chargés de mettre en œuvre les mesures de gel. Enfin, l’ordonnance n° 2022-230 du 15 février 2022 est à l’origine de modifications plus secondaires.

On notera que l’article L. 562-5 prévoit diverses interdictions s’imposant, notamment, aux établissements de crédit. Un tempérament est cependant prévu par l’article L. 562-7 à l’égard des versements de fonds sur les comptes concernés par une telle mesure de gel.

Bien évidemment, toute personne qui viendrait à méconnaître cet encadrement légal risque de se voir infliger des sanctions. Concernant le droit pénal, l’article L. 574-3 indique qu’est puni des peines prévues au 1 de l’article 459 du Code des douanes, soit notamment une « amende égale au minimum au montant et au maximum au double de la somme sur laquelle a porté l’infraction ou la tentative d’infraction », le fait pour les personnes mentionnées à l’article L. 562-4 (dont les établissements de crédit), mais aussi pour les personnes faisant l’objet d’une mesure de gel, de se soustraire aux obligations prévues par un tel dispositif ou de faire obstacle à sa mise en œuvre.

La décision sélectionnée s’intéresse justement à ce délit. MM. Z. et T. étaient respectivement président et secrétaire de deux associations dissoutes en mars 2019, car considérées comme vecteurs de diffusion d’une idéologie appelant à la haine, à la discrimination et faisant l’apologie du terrorisme. En application de l’article L. 562-2 du Code monétaire et financier, quatre arrêtés pris conjointement par les ministres des finances et de l’intérieur avaient prononcé le gel de leurs avoirs bancaires pour des périodes de six mois entre le 2 octobre 2018 et le 18 avril 2021.

Par jugement du 6 septembre 2021, le tribunal correctionnel les avait condamnés pour soustraction aux mesures de gel des avoirs dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, M. Z., à la peine de deux mois d’emprisonnement, une amende douanière et une confiscation et, M. T., à la peine de trois mois d’emprisonnement avec sursis, une amende douanière et une confiscation. Les intéressés ainsi que le ministère public et l’administration des douanes avaient relevé appel de cette décision. La Cour d’appel de Douai avait cependant, par une décision du 25 août 2022, confirmé la caractérisation de l’infraction. Elle avait néanmoins un petit peu allégé la répression. MM. Z et T. avaient alors formé un pourvoi en cassation.

L’un des moyens, qui contestait la caractérisation des éléments constitutifs de l’infraction, retiendra notre attention, même si la Cour de cassation l’écarte3.

Celle-ci commence par rappeler les différents constats opérés par les juges d’appel. D’abord, quatre arrêtés ministériels avaient privé les prévenus de la libre disposition des avoirs détenus sur leurs comptes pour une durée de six mois chacun et ces arrêtés leur avaient été notifiés avec la mention des voies de recours et la possibilité d’obtenir une autorisation administrative d’utiliser une partie des avoirs. Ensuite, les dispositions de l’article L. 562-4 du Code monétaire et financier, qui faisait obligation aux établissements financiers d’appliquer les interdictions édictées par l’autorité administrative, n’étaient pas opposables aux établissements financiers étrangers avant le 6 novembre 2020. En outre, il résultait de l’enquête que les deux prévenus avaient chacun ouvert un compte auprès d’une « néobanque » allemande les 7 et 10 avril 2019, alors que la mesure de gel résultant du premier arrêté avait pris fin le 2 avril 2019, et qu’ils avaient donc, sitôt retrouvée la disponibilité de leurs avoirs, mis en place le moyen de détourner d’éventuelles nouvelles mesures du même type. Enfin, il ressortait de l’examen des comptes ouverts au sein de la banque allemande que ceux-ci avaient davantage été actifs en période de gel que de dégel, ce qui démontrait pour les magistrats de la Cour d’appel de Douai, « quel était le but recherché lors de l’ouverture des comptes ». Ils en avaient conclu que les prévenus, qui avaient bien connaissance de la possibilité qui leur était ouverte par les dispositions de l’article L. 562-11 du Code monétaire et financier de solliciter auprès de la direction du Trésor une autorisation de déblocage de leurs fonds et en avaient d’ailleurs usé, s’étaient intentionnellement soustraits aux mesures de leurs avoirs et avaient détourné la mesure administrative.

La Cour de cassation considère alors qu’en statuant ainsi, la cour d’appel avait justifié sa décision et avait fait l’exacte application des textes concernés. Sa décision, qui se veut très précise, donne trois justifications à cette solution. Ces dernières sont riches en enseignements pour le délit qui nous occupe.

En premier lieu, selon le 5° de l’article L. 562-1 du Code monétaire et financier, le gel des fonds est défini comme toute action tendant à empêcher un changement de leur volume, montant, localisation, propriété, possession, nature, destination ou toute autre modification qui pourrait permettre leur utilisation, notamment la gestion de portefeuille. Il résulte donc de l’article L. 574-3 du même code une obligation pour les personnes faisant l’objet d’une mesure de gel de s’abstenir de tout acte visant à se soustraire ou à faire obstacle à une telle action.

En deuxième lieu, le seul fait que la cour d’appel ait retenu que les prévenus avaient ouvert des comptes dans une banque étrangère, juste après la fin de la première période de gel, afin de pouvoir disposer ensuite de leurs avoirs pendant la période de gel suivante, caractérise leur soustraction à la mesure de gel, la loi n’exigeant en outre aucune dissimulation ou manœuvre.

En dernier lieu, il ne saurait être déduit de ce que les établissements financiers étrangers n’étaient pas soumis à l’obligation d’appliquer les mesures de gel avant le 6 novembre 2020 que les personnes dont les avoirs avaient alors été gelés pouvaient, sans se rendre coupable du délit prévu par l’article L. 574-3, contourner ces mesures de gel en utilisant un compte bancaire au sein d’un tel établissement. n

À retrouver dans la revue
Banque et Droit Nº213
Notes :
1 Pour une présentation synthétique, J. Morel Maroger, « Banque et gel des avoirs », in Le Banquier face au risque pénal, ouvrage collectif, éd. LexisNexis, coll. « Actualité », 2023, p. 112 et s.
2 C. Cutajar, « Mise en conformité des procédures de gel des avoirs et d’interdiction aux recommandation du GAFI », JCP G 2021, n° 1-2, act. 4.
3 La décision de la cour d’appel est finalement cassée, mais uniquement pour ses dispositions relatives à la confiscation et à l’amende douanière prononcées à l’encontre de M. Z.
RB