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Les interrogations persistantes soulevées par la notion d’activité dirigée en matière bancaire

Créé le

31.01.2024

Cour d’appel Aix en Provence, 12 octobre 2023 n° 23/03005c

1. Une personne résidant en France avait ouvert un compte bancaire auprès d’une banque slovène en 2005, qui lui avait à cette occasion délivré une carte bancaire. Victime d’un vol à son domicile le 11 décembre 2020, la titulaire du compte avait rapidement déposé plainte mais « oublié » sa carte bancaire associée à son compte slovène. Or des débits frauduleux pour une somme avoisinant les 70 000 euros ont été effectués sur ce compte entre le 11 et le 31 décembre 2020. C’est en recevant son relevé de compte que la victime s’est souvenue de l’existence de cette carte sur laquelle elle a finalement fait opposition le 10 janvier 2021. Elle a ensuite assigné la banque devant les juridictions françaises en réparation du dommage qu’elle estime causé par le manquement de la banque à son obligation de vigilance. Ces dernières, en première instance comme en appel ont fait droit à l’exception d’incompétence soulevée par la banque slovène. L’arrêt rendu par la Cour d’appel d’Aix en Provence le 12 octobre 2023 montre une nouvelle fois encore que la protection octroyée au consommateur de services bancaires dans un contexte international est loin d’être systématique. En effet, l’application des règles de compétence dérogatoires favorables au consommateur résultant des articles 17 et 18 du Règlement Bruxelles 1 bis dépend de trois paramètres : la qualité des contractants, la nature du contrat et les circonstances ayant entouré sa conclusion.

2. Il n’était ici pas contesté que la cliente de l’établissement disposait bien de la qualité de consommateur au sens de l’article 17 du Règlement Bruxelles 1 bis. Et s’agissant d’une convention de compte, la protection du consommateur suppose que son cocontractant « exerce des activités commerciales ou professionnelles dans l’État membre sur le territoire duquel le consommateur a son domicile ou, qui par tout moyen, dirige ses activités vers cet État membre ». Or déterminer si le professionnel dirige effectivement ses activités vers le pays où réside le consommateur soulève des difficultés d’interprétation récurrentes1, d’autant que conçue pour le commerce électronique, la notion d’activité dirigée s’applique à toute forme de commerce transfrontalier2.

3. En l’espèce, aucun des indices habituellement relevés pour démontrer que le professionnel dirigeait ses activités vers le pays de résidence du consommateur n’était caractérisé. Tout d’abord, il était établi que le site internet de l’établissement était rédigé en slovène avec seule traduction possible en anglais, et disposait d’un site internet distinct traduit en albanais, serbe et anglais pour le reste de ses activités essentiellement dirigées vers l’Europe de l’Est. La banque ne disposait ainsi ni de site internet en français, ni de nom de domaine français. La Cour d’appel relevait encore que l’établissement ne proposait pas de numéro de téléphone avec indicatif international. Quels étaient les éléments qui permettaient alors de considérer qu’il avait dirigé ses activités vers la France ? L’utilisation de l’euro ne constituait à l’évidence pas un élément pertinent car il s’agit de la monnaie commune de la France et de la Slovénie3. Le fait que la banque slovène ait délivré une carte bancaire susceptible de fonctionner en France ne suffisait sans doute pas non plus à démontrer le caractère dirigé de l’activité, la plupart des cartes bancaires délivrées par les banques permettant de réaliser des transactions à l’étranger. Au regard de la situation d’espèce, il était manifeste que la banque slovène n’avait pas « activement » démarché une clientèle française. Mais le seul fait pour un professionnel d’avoir accepté en connaissance de cause de conclure un contrat avec un consommateur résidant dans un autre pays peut-il suffire à caractériser l’activité dirigée ? Dans un arrêt récent, la Cour de cassation, conformément à l’interprétation de la Cour de justice4, a retenu une conception large du for consumériste5. Elle a en effet subordonné la compétence des juridictions de l’État membre du domicile du consommateur à « la seule circonstance que le commerçant ait envisagé, avant la conclusion du contrat, de commercer avec des consommateurs domiciliés dans cet État »6. Cette exigence semble suffisante car, dès lors que le professionnel accepte de commercer avec des consommateurs situés dans un autre État, il peut raisonnablement s’attendre à être attrait devant les juridictions de cet État. Ainsi, le moyen le plus efficace pour le professionnel d’échapper avec certitude à la compétence des juridictions du domicile du consommateur consisterait à refuser de contracter avec des consommateurs résidant dans d’autres pays. Mais est-il techniquement et juridiquement possible pour un professionnel situé sur le territoire d’un État membre de refuser de conclure des contrats avec un consommateur résidant dans un autre pays de l’Union européenne ? Les principes de libre circulation, l’interdiction du refus de vente envers un consommateur7 ou encore l’interdiction par le règlement n° 2018/302 du 28 février 2018 du géoblocage8 interdisent en principe à un professionnel situé dans un pays de l’Union européenne de refuser de conclure un contrat avec un consommateur résidant dans un autre État membre. Il paraît ainsi difficile de déduire de la seule conclusion d’un contrat avec un consommateur résidant dans un autre État membre la preuve que le professionnel dirige ses activités vers cet État membre.

4. Mais si on tient compte des circonstances et de la nature du contrat conclu dans la présente espèce, la question pourrait se poser en des termes un peu différents. En effet, le professionnel n’aurait pas pu justifier la conclusion du contrat par l’interdiction du géoblocage puisque le contrat a été conclu avant l’adoption du règlement le prohibant. En tout état de cause, le contrat n’avait pas ici été conclu en ligne. Il ne pouvait pas non plus invoquer le refus de vente, dans la mesure où la prohibition du refus de vente ne s’applique pas aux services bancaires. C’est ainsi sans pouvoir invoquer une forme d’obligation de contracter que l’appréciation du caractère dirigé de l’activité devait s’opérer puisque la banque aurait très bien pu ici refuser d’ouvrir un compte à un consommateur résidant en France. Le fait d’accepter de conclure le contrat peut-il suffire à prouver le caractère dirigé de l’activité au sens des articles 17 et 18 du Règlement Bruxelles 1 bis ? La Cour d’appel a ici répondu par la négative, estimant qu’aucun élément ne démontrait que la banque slovène avait dirigé ses activités vers la France. Pourtant, au regard de la conception large du for du consommateur qui résulte des récents arrêts de la Cour de cassation en matière de services bancaires9 – dont on observera qu’ils censurent des juges du fond, qui comme en l’espèce, avaient conclu à l’inapplication de la protection internationale du consommateur, l’hésitation est permise. Il serait intéressant que la Cour de cassation soit saisie de cette affaire, car, si elle décidait de censurer la décision de la Cour d’appel, elle consacrerait encore plus clairement, au regard des faits de la présente espèce, une conception particulièrement large du for consumériste. n

À retrouver dans la revue
Banque et Droit Nº213
Notes :
1 Voir notamment les arrêts de la CJUE du 7 décembre 2010, aff. C‑585/08 et
C‑144/09, Pammer et Hotel Alpenhof, JCP G 2011.129 note L. D’Avout, CCE 2011, chron. 1, note M.-E. Ancel, Procédures 2011, comm. 58 note C. Nourrissat,
Europe
2011, comm. 96 note L. Idot, D. 2011 p. 5 obs. C. Manara et p. 990,
note M.-E. Pancrazi, JDI 2011 note V. Pironon. Voir en dernier lieu en matière bancaire, Civ. 1re, 15 décembre 2021, n° 19-23.666, RCDIP 2022 p. 387 note
L. Larribère ; Civ. 1re, 7 juin 2023, n°22-16.758, Banque et Droit juillet 2023,
p. 65, note J. Morel-Maroger.

2 Voir Lamy Droit économique, chapitre « Droit international privé et consommation » par V. Pironon, n° 6691 et s.
3 Dans leur déclaration conjointe annexée au Règlement n°44/2001 du 22 décembre 2000 – qui n’a pas été modifié par le Règlement Bruxelles 1 bis sur ce point –, la Commission et le Conseil avaient indiqué que la monnaie ne constituait pas une preuve suffisante de l’activité dirigée, voir V. Pironon, op. cit., n° 6692.
4 Voir CJUE du 17 octobre 2013, précité.
5 Voir L. Larribère, note précitée.
6 Civ. 1re, 7 juin 2023 précité.
7 Le refus de vente est interdit en France par l’article L. 121-11 du Code de la consommation.
8 Est interdit le blocage des interfaces en ligne en fonction de la nationalité, du lieu de résidence ou d’établissement du client. Un professionnel ne peut ainsi pas empêcher un consommateur résidant sur le territoire d’un autre État membre de l’Union européenne d’utiliser son site internet pour acquérir des biens ou services.
9 Civ. 1re, 15 décembre 2021 et civ. 1re, 7 juin 2023 précités.
RB