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Le prêt in fine fait-il naître un risque particulier sur lequel le banquier
doit mettre en garde l’emprunteur
non averti même si le crédit est adapté aux capacités financières de ce dernier ?

Créé le

02.04.2024

L’obligation de mise en garde à laquelle peut être tenu
un établissement de crédit à l’égard d’un emprunteur
non averti avant de lui consentir un prêt ne porte que
sur l’inadaptation de celui-ci aux capacités financières
de l’emprunteur et sur le risque de l’endettement qui résulte de son octroi, et ce, que le prêt soit remboursable par échéances ou en une seule fois à la fin.

Selon les éléments pris en compte dans le montant des mensualités, le prêt est dit amortissable ou in fine. « Il est amortissable lorsque les mensualités comportent, outre les intérêts, une quote-part du capital emprunté de sorte que le montant du capital pris en compte pour calculer les intérêts dus décroît au fur et à mesure des remboursements. Le prêt est, en revanche, dit “in fine” lorsque le capital est remboursé intégralement à la fin du crédit, les mensualités ne comprenant que les intérêts calculés sur la totalité du capital emprunté pendant toute la durée du prêt1. »

Le prêt in fine n’étant pas, en raison du remboursement intégral du capital emprunté à la fin du crédit, sans spécificité, il a été prétendu, dans l’espèce à l’origine de l’arrêt du 8 novembre 2023, que le banquier était tenu d’un devoir de mise en garde particulier au profit de l’emprunteur non averti même si le crédit est adapté à ses capacités financières2. La Cour de cassation rejette cette prétention, le devoir de mise en garde étant identique, que le prêt soit amortissable ou in fine : « l’obligation de mise en garde à laquelle peut être tenu un établissement de crédit à l’égard d’un emprunteur non averti avant de lui consentir un prêt ne porte que sur l’inadaptation de celui-ci aux capacités financières de l’emprunteur et sur le risque de l’endettement qui résulte de son octroi, et ce, que le prêt soit remboursable par échéances ou en une seule fois à la fin ».

Cette solution n’est pas étonnante. Elle est en effet conforme à la jurisprudence antérieure. Ainsi, dans un arrêt du 13 mars 20193, la Cour avait limité le devoir de mise en garde au seul risque d’endettement excessif : « Mais attendu que l’obligation de mise en garde à laquelle peut être tenu un établissement de crédit à l’égard d’un emprunteur non averti ne porte que sur le risque d’endettement excessif né de l’octroi du prêt, un tel risque étant apprécié au jour de la souscription de l’engagement ». Cette solution avait été reprise dans un arrêt du 29 septembre 20214, la Cour soulignant en outre que l’obligation de mise en garde ne porte pas sur l’opportunité ou les risques de l’opération5. Aussi est-ce sans surprise que la Cour ait refusé de tenir compte du risque lié au remboursement intégral du capital à l’échéance du prêt6.

Cette jurisprudence doit être approuvée. Le devoir de mise en garde doit être strictement cantonné au risque excessif pouvant naître du prêt. Il ne doit pas être entendu sauf à le détourner de son objectif initial qui est de mettre en garde un emprunteur non averti lorsque le montant du crédit est disproportionné à ses revenus et à son patrimoine7. n

À retrouver dans la revue
Banque et Droit Nº214
Notes :
1 Th. Bonneau, Droit bancaire, 15e éd. 2023, LGDJ, n° 744.
2 Sur le devoir de mise en garde, v. Bonneau, op. cit., n° 985.
3 Cass. 1re civ., 13 mars 2019, n° 17-23169, arrêt n° 249 F-P+B.
4 Cass. com. 29 sept. 2021, n° 19-11959, Banque et Droit n° 201 janv.-févr. 2022.
28, note Th. Bonneau.

5 Dans le même sens, Cass. com. 1er mars 2016, Banque et Droit n° 167, mai juin 2016. 23, obs. Th. Bonneau.
6 Rapprocher, Cass. com. 25 mai 2022, n° 21-10635, Banque et Droit n° 205 sept.-oct. 2022. 33, obs. Th. Bonneau ; JCP 2022, éd. G, 846, note J. Lasserre Capdeville et éd. E, 1279, note El Mejri : lorsqu’il consent à un emprunteur non averti un prêt comportant des paliers d’échéances, dont le montant de certaines est inférieur à celui des intérêts échus, de sorte que le règlement de ces échéances n’affecte pas le capital emprunté, et que la différence calculée entre le montant de l’échéance et ces intérêts s’ajoute au capital restant dû, le prêteur est tenu à une obligation d’information et l’intermédiaire en crédit à un devoir de mise en garde sur le risque d’amortissement négatif qui en résulte.
7 Sur l’obligation de prendre en considération, pour apprécier les capacités de remboursement de l’emprunteur, son patrimoine immobilier, v. Cass. 1re civ., 24 mai 2017, pourvoi n° 16-14962, arrêt n° 651 F-D.
RB