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Engagement de la responsabilité civile d’un CIF pour la commercialisation
en France de FIA étranger

Créé le

31.01.2024

Il appartient au CIF proposant à un particulier d’investir
dans un FIA étranger, de s’assurer à tout le moins préalablement que celui-ci peut être commercialisé en France.

Dans le cadre de leur statut, les conseillers en investissements financiers (CIF) peuvent fournir à titre de profession habituelle le conseil en investissement mentionné au 5 de l’article L. 321-1 du Code monétaire et financier. Si les parts de fonds d’investissement alternatifs (FIA) entrent dans la notion d’instruments financiers au titre des parts d’OPC pouvant faire l’objet d’un conseil en investissement, encore faut-il que leur commercialisation soit licite en France. La Commission des sanctions de l’AMF a prononcé des sanctions disciplinaires à l’encontre de CIF pour avoir fait souscrire des parts de FIA de droit étranger dont la commercialisation n’était pas autorisée en France1. Dans ces différents dossiers, la Commission des sanctions, qui tient compte dans la fixation des sanctions des pertes subies par des tiers du fait du manquement2, relève qu’aucun client des CIF ne s’est plaint des investissements réalisés dans ces FIA, qui n’ont occasionné aucune perte pour eux. La Commission des sanctions n’empiète pas sur la compétence des juridictions civiles qui seraient amenées à se prononcer, du point de vue du droit civil, sur la responsabilité des CIF : elle ne se prononce pas sur la caractérisation d’une faute civile, ni sur l’existence d’un préjudice réparable civilement ni sur l’existence d’un lien de causalité entre la faute et le préjudice, mais uniquement sur l’existence de manquements administratifs et sur les éléments à prendre en compte pour apprécier le quantum de la sanction.

Dans ce contexte, il est intéressant d’examiner comment les juridictions civiles abordent la question de la responsabilité civile de CIF pour des actes de commercialisation de FIA non autorisés en France. Un arrêt de cour d’appel de Rennes du 6 octobre 2023 apporte un éclairage intéressant sur cette question. En cette espèce, le TGI de Vannes a sanctionné un CIF qui avait orienté l’investissement de sa cliente, psychologiquement fragile, sur un FIA canadien non autorisé par l’AMF, en le condamnant à verser 70 000 euros à titre de dommages-intérêts correspondant à la somme investie. La cour d’appel de Rennes confirme la responsabilité du CIF pour faute, tout en infirmant le jugement sur la détermination du préjudice.

Caractérisation de la faute civile du CIF. Lorsqu’il est envisagé une commercialisation auprès de clients non professionnels, la commercialisation en France de FIA étrangers n’est possible qu’après autorisation de l’AMF. Il résulte en effet des articles L. 214-24-1 du code monétaire et financier et 421-13 du règlement de l’AMF que le gestionnaire d’un FIA voulant commercialiser en France, auprès de clients non professionnels, des parts ou actions d’un fonds établi à l’étranger doit soumettre une demande d’autorisation à l’AMF, laquelle ne la délivre, lorsque le gestionnaire est établi à l’étranger, qu’à la double condition qu’un instrument d’échange d’information et d’assistance mutuelle ait été mis en place entre l’AMF et l’autorité de surveillance du gestionnaire, et que ce dernier satisfasse aux conditions prévues dans une convention de reconnaissance mutuelle fixant les exigences particulières applicables à l’agrément des gestionnaires de FIA pouvant être commercialisés auprès de clients non professionnels conclue entre l’AMF et l’autorité de surveillance du gestionnaire.

Si un CIF envisage de fournir un conseil en investissement portant sur un FIA étranger, il doit donc s’assurer au préalable que le FIA est autorisé à la commercialisation en France. Plus précisément, avant toute commercialisation de parts ou actions de FIA, les CIF doivent notamment avoir analysé le FIA dans le cadre de la gouvernance des produits (caractéristiques juridiques et économiques du véhicule, identification et compréhension du marché cible, etc.) et vérifié son autorisation de commercialisation en France3.

Les juges considèrent en l’espèce que l’escroquerie en bande organisée éventuellement commise par le gestionnaire étranger du FIA ne saurait constituer pour le CIF une cause étrangère, quand bien même il aurait été lui-même personnellement victime de ces agissements frauduleux, ni même justifier une diminution de sa part de responsabilité. La faute qui est reprochée au CIF, procédant de ce qu’il a conseillé à la victime d’investir dans un instrument financier dont la commercialisation auprès de particuliers n’était pas autorisée par l’AMF en France, est en effet personnelle et distincte de la faute pénale commise par le gestionnaire du FIA.

Ce manquement du CIF à ses obligations professionnelles est en lien causal direct et certain avec le dommage subi par l’investisseur, puisque la procédure d’autorisation auprès de l’AMF a précisément pour objet de donner à cette Autorité les moyens de sécuriser le marché des transactions portant sur ce type d’instruments financiers proposés à des particuliers.

Les fautes respectives du CIF et du gestionnaire du FIA ayant indistinctement concouru à la réalisation de l’entier dommage subi par la victime, cette dernière est fondée à agir contre l’un ou l’autre des auteurs afin d’obtenir la réparation de son entier préjudice.

Détermination du préjudice. La cour d’appel constate que le préjudice subi par l’investisseur, qui n’a pu obtenir le rachat de ses parts du FIA, n’est pas hypothétique et que la perte totale des investissements dans un FIA n’est pas imprévisible au sens de l’ancien article 1150 du Code civil. En revanche, elle considère que le préjudice résultant d’un conseil inadapté ne consiste que dans la perte d’une chance de ne pas réaliser l’investissement préconisé, et ne peut donc être égal à l’avantage qu’aurait procuré cette chance si elle s’était réalisée. Dans cette approche, considérant qu’il n’est pas totalement impossible que l’investisseur, bien que dûment mis en garde par le CIF sur l’absence d’autorisation de l’AMF pour la commercialisation auprès de particuliers des parts du fonds ‘Absolute Return Fund Trust’ en France, ait néanmoins pris le risque majeur de souscrire des parts de ce fonds, la cour d’appel réforme la condamnation prononcée par le tribunal judiciaire et la réduit de 70 000 à 69 000 euros.

Cette motivation n’est pas totalement convaincante au regard des obligations professionnelles qui incombent aux commercialisateurs de FIA. Le fait pour un CIF de conseiller un investissement dans des parts ou actions de FIA qui ne peuvent être commercialisées en France constitue un comportement par nature contraire à l’intérêt de ses clients. La faute commise par le CIF dans la commercialisation d’un FIA non autorisé en France ne se réduit pas à un manquement à une obligation de mise en garde à l’égard des clients profanes sur les risques des opérations ou à une obligation d’information et de conseil4. Avant toute commercialisation de parts ou actions de FIA, les CIF doivent notamment avoir analysé le FIA dans le cadre de la gouvernance des produits et vérifié son autorisation de commercialisation en France ; ils doivent avoir recueilli, auprès de leurs clients, les informations nécessaires concernant leurs connaissances et expérience en matière d’investissement ainsi que leur situation financière, dont leur capacité à subir des pertes, et leurs objectifs d’investissement, dont leur tolérance aux risques, et évalué l’adéquation du FIA au regard de la situation spécifique de chaque client. Ils sont également tenus de communiquer aux clients les informations utiles à la prise de décision, notamment sur les risques liés aux instruments financiers proposés ; l’ensemble des informations, y compris à caractère promotionnel, doit présenter un contenu clair, exact et non trompeur. Un tel cadre réglementaire ne laisse pas de place à l’appréciation d’une perte de chance pour le client de ne pas investir dans un FIA non autorisé en France mais recommandé par un CIF. Le Conseil d’État a clairement indiqué sur le fondement de la réglementation applicable5 que « les CIF ont l’obligation d’exercer leur activité professionnelle dans le seul intérêt de leurs clients, ce qui exclut qu’ils puissent leur proposer des produits financiers dont la commercialisation ne serait pas autorisée en France et implique qu’ils procèdent aux vérifications minimales leur permettant de s’assurer que les produits financiers de droit étranger qu’ils conseillent à leurs clients de souscrire font l’objet d’une telle autorisation »6. L’interdiction de commercialiser des FIA non autorisés en France ne peut donner lieu à de simples mises en garde du client sur les risques encourus, ni à des clauses limitatives de responsabilité du conseiller en investissement. n

À retrouver dans la revue
Banque et Droit Nº213
Notes :
1 Cf : AMF, déc., 2 mai 2018, n° 4, SAN-2018-05 : BJB, sept. 2018, n° BJB117s4, note J.-J. Daigre – AMF, déc., 2 juill. 2019, n° 10, SAN-2019-10 : BJB, sept. 2019, n° BJB118p9, note I. Riassetto – AMF, déc., 28 oct. 2019, SAN-2019-14, Sté Financière Henri IV Sté Nouvelle et M. A : BJB, nov. 2019, n° BJB118r8, note J. Herbet ; RD bancaire et fin. 2019, comm. 214, note M. Storck – AMF, déc., 18 déc. 2020, n° 12, SAN-2020-13 : BJB, janv. 2021, n° BJB119p0, note J. Herbet – AMF, déc., 1er mars 2021, n° 2, SAN-2021-02 : BJB, mai 2021, n° BJB200a4, note J. Herbet, et sur recours CE 16 mai 2022, n° 452191 : BJB, juill. 2022, n° BJB200t7, note J. Herbet – AMF, déc., 30 avr. 2021, n° 8, SAN-2021-08 : BJB, juill. 2021, n° BJB200c8, note M. Storck – AMF,
déc., 11 avr. 2022, n° 3, SAN-2022-04 : BJB, juill. 2022, n° BJB200t8, note J. Herbet
– AMF, déc., 26 avr. 2022, n° 4, SAN-2022-05 : BJB, juill. 2022, n° BJB200u0, note M. Storck ; AMF, déc., 25 mai 2022, n° 6, SAN-2022-07 : BJB, juill. 2022, n° 4, p. 43, note I. Riassetto, p. 43.

2 Cf. C. mon. fin., art. L. 621-15, III ter.
3 Cf. AMF, « Obligations en matière de commercialisation des FIA par les CIF », Actualité, 22 avril 2022.
4 Sur cette approche réductrice par des juridictions civiles, cf. par ex CA Nîmes 15 septembre 2022, RG n° 21/01789 ; CA Toulouse, 2e chambre, 20 janvier 2021, RG n° 18/02025 ; CA Paris, pôle 5, chambre 10, 9 mars 2020, n° 19/00820.
5 C. mon. fin., art. L. 541-8-1 ; C. mon. fin., art. L. 214-24-1 ; AMF, règl. gén., art. 421-13.
6 CE 16 mai 2022, n° 452191 : BJB, juill. 2022, n° 4, p. 34, note J. Herbet, statuant sur recours contre AMF, déc., 1er mars 2021, n° 2, SAN-2021-02.
RB