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Actualité fiscale – Régime de TVA applicable aux opérations numériques sur NFT

Créé le

02.04.2024

-

Mis à jour le

03.04.2024

Dans le cadre d’un rescrit (BOFIP du 14 février 2024 - BOI-RES-TVA-000140), l’administration fiscale a très utilement précisé que les NFT enregistrés sur la blockchain ne suivent pas un régime de TVA propre mais celui du sous-jacent de l’opération numérique considérée. Ainsi, l’analyse in concreto de chaque opération apparaît-elle comme un préalable nécessaire à la détermination du régime à adopter. L’administration rappelle dans un premier temps les principes généraux de la TVA appliqués à l’activité de minage et aux NFT (1.), avant d’illustrer l’application de ces règles à trois situations fréquemment constatées (2.).

1. Les principes de la TVA et leur application à l’activité de minage et aux NFT

Principes généraux. Une opération entre dans le champ d’application de la TVA, si elle procure un avantage direct ou un service individualisé au client et si, cumulativement, le prix ou la contre-valeur est en relation avec l’avantage reçu. Si l’une de ces deux conditions n’est pas remplie, l’opération n’est pas placée dans le champ d’application de la TVA1. Ces exigences peuvent être compatibles avec la circonstance que le service rendu soit collectif, ne soit pas mesurable avec précision ou s’inscrive dans le cadre d’une obligation légale. L’opération sera également taxable à la TVA quand bien même le prix ne reflète pas la valeur « normale » de l’opération, ou s’il prend la forme d’un « rabais », ou encore s’il n’est pas payé par le bénéficiaire mais par un tiers ou enfin s’il est acquitté sous forme d’abonnement.

Application de ces critères à l’activité de minage. L’administration fiscale avait déjà eu l’occasion de préciser que s’agissant de l’activité dite « de minage », qui se définit comme l’utilisation de la puissance de calcul d’un ordinateur pour sécuriser des transactions dans le cadre de la technologie dite « blockchain », les mineurs n’apparaissent pas placés dans un rapport juridique avec le réseau (Bitcoin ou Ethereum par exemple). L’activité de minage ne nécessite pas l’adhésion à un protocole et peut être menée après avoir « simplement » investi dans du matériel informatique et télécharger les logiciels adéquats gratuitement. À cela, il faut ajouter que la rémunération perçue par les mineurs (lorsqu’il remporte la validation d’un bloc) s’effectue par une attribution aléatoire de cryptomonnaies. L’ensemble de ces éléments conduit selon l’administration à l’impossibilité d’identifier l’existence d’une prestation de services individualisée effectuée par le mineur au profit d’un bénéficiaire déterminé. Cette difficulté est accentuée par le caractère anonyme des opérations et l’impossibilité d’identifier le lieu d’établissement du mineur. À défaut de lien direct entre la contrepartie et l’activité de minage, cette dernière n’entre donc pas dans le champ de la TVA et le mineur n’aura pas à collecter de taxe sur les actifs numériques reçus en récompense2. Corrélativement, le mineur, qui ne réalise pas d’opérations imposables, n’est pas fondé à exercer un droit à déduction.

Application des critères aux opérations réalisées à l’aide des NFT. En raison de leur indivisibilité et de leur non-fongibilité, ces jetons ne correspondent pas aux trois grandes catégories de crypto-actifs que sont les jetons de paiement, les jetons d’utilité ou d’usage et les jetons d’investissement. En conséquence, il faut rappeler que les opérations portant sur les NFT ne relèvent pas des opérations bancaires ou financières exonérées de TVA3. L’administration précise plus en détail que lorsque le NFT est utilisé comme un certificat de propriété d’un bien corporel ou incorporel, une transaction emportant transfert d’un NFT ne porte pas sur le jeton en lui-même, mais sur le bien ou service auquel il se rapporte. Il y a donc lieu d’examiner au cas par cas, en appliquant les règles de TVA de droit commun, celles qui auraient été mises en œuvre si le bien ou le service avait été livré ou fourni sans le recours à un NFT.

2. Application à trois types d’opérations numériques

L’administration illustre sa doctrine en précisant le raisonnement à adopter lorsque le jeton est utilisé pour (i) la création et la vente de cartes numériques de collection associées à des NFT, (ii) la création et la vente d’œuvres graphiques numériques associées à des NFT ou encore (iii), le financement d’un jeu vidéo en cours de création par l’émission de NFT.

Création et vente de cartes numériques de collection associées à des NFT. Selon l’administration fiscale, les cartes numériques commercialisées en quantité limitée ne sont pas des biens corporels. Les clients peuvent les stocker dans leur portefeuille électronique, les vendre ou les utiliser pour jouer, par le biais notamment du site du vendeur mis à leur disposition. En contrepartie, la société perçoit une rémunération variant en fonction de la qualité et de la rareté de la carte. Le NFT généré pour chaque carte est ainsi considéré comme le moyen de réaliser une transaction sur une carte numérique mais ne constitue pas en soi un service distinct. Les opérations à titre onéreux portant sur le transfert de droits attachés constituent donc une prestation de services soumise à la TVA4. C’est donc l’opération sous-jacente consistant en la fourniture de cartes numériques qui doit déterminer le régime de TVA applicable. L’administration apporte une précision fort utile en soulignant que si ces cartes sont émises à l’aide d’outils informatiques de manière largement automatisée avec une intervention humaine minimale, le service ainsi réalisé doit être qualifié de prestation de services fournie par voie électronique5 et, par conséquent, suivre l’ensemble des règles de TVA propres à ce type de prestations.

Création et vente d’œuvres graphiques numériques associées à des NFT. Une autre situation fréquemment constatée : un artiste conçoit des œuvres graphiques uniques exclusivement numériques à l’aide de logiciels et vendues contre des actifs numériques ou des monnaies ayant cours légal, sur des plateformes informatiques où elles sont préalablement adossées à un NFT.

En suivant la même logique que pour les cartes numériques, la doctrine fiscale précise que l’opération sous-jacente, à savoir la cession des œuvres graphiques numériques, détermine le régime de TVA applicable aux opérations réalisées par l’artiste. Le transfert de la propriété de l’œuvre (le fichier numérique vendu n’est pas un bien corporel) ou des droits patrimoniaux attachés au NFT doit être qualifié de prestation de services soumise à TVA6.

Autre précision importante, si l’intervention humaine est prépondérante dans la création des œuvres numériques, ces prestations de services ne seront pas considérées comme étant fournies par voie électronique. Elles doivent être distinguées des prestations rendues par la plateforme informatique à ses membres qui, consistant à créer les NFT et permettant leurs cessions, constituent bien des prestations de services fournies par voie électronique.

En précisant cela, l’administration fiscale invite à nettement distinguer les compositions créées par l’artiste via des procédés informatiques et non entièrement exécutées à la main, des œuvres graphiques numériques qui répondent aux critères de qualification d’œuvre de l’esprit. L’enjeu est de taille car le taux réduit de 5,5 % de la TVA applicable aux livraisons d’œuvres d’art7, ne s’appliquera que si l’opération portant sur l’élément sous-jacent est entièrement exécutée à la main.

Enfin, dernière particularité, si les œuvres graphiques numérisées sous forme de NFT répondent aux critères de qualification d’« œuvres de l’esprit »8, leur cession (impérativement assortie de la cession des droits d’auteur associés) sera soumise au taux réduit de 10 %9. Dans les autres cas, les cessions d’images numériques attachées à un NFT seront soumises de plein droit au taux normal de 20 % de la TVA10.

Financement d’un jeu vidéo en cours de création par l’émission de NFT. Un troisième cas de figure très fréquent est détaillé : la commercialisation d’éléments de jeux matérialisés par un NFT après le lancement du jeu vidéo. Chronologiquement, cette situation doit être distinguée de la vente d’objets numériques associés à des NFT pour financer la conception du jeu vidéo. En effet, en raison de l’aléa qui pèse sur la livraison effective du jeu, ces ventes de NFT réalisées « avant » le lancement du jeu ne peuvent être considérées comme réalisées à titre onéreux et ne sont donc pas imposables à la TVA au moment de l’opération de financement.

Ensuite seulement, si le jeu est effectivement mis en service, les accessoires de jeu auxquels ces jetons sont associés deviennent utilisables par leur détenteur. Ils sont considérés comme des biens incorporels mis à la disposition du possesseur de jetons et donc imposés à la TVA dans les conditions de droit commun. La base d’imposition à la TVA, considérée toutes taxes comprises, est égale à la contrepartie obtenue par l’assujetti lors de l’émission des jetons, minorée du montant de la TVA.

Logiquement, toute commercialisation d’éléments du jeu matérialisés par un NFT après le lancement du jeu vidéo sera pareillement assujettie à la TVA dans la mesure où il s’agit d’une opération à titre onéreux réalisée par une personne agissant à titre indépendant dans l’exercice d’une activité économique.

Le droit à déduction suit une logique chronologique différente : l’administration aligne sa doctrine sur le droit européen et précise que les dépenses préparatoires nécessaires au lancement d’une entreprise doivent être considérées selon la CJUE comme constituant en tant que telles des activités économiques11. Les dépenses d’amont acquittées par la société et nécessaires au développement de son jeu vidéo entretiennent un lien direct et immédiat avec l’activité économique de l’assujetti et ouvrent donc droit à déduction12.

Si l’appréhension du régime de TVA des NFT dans la doctrine administrative ne peut qu’être saluée pour la sécurité juridique qu’elle apporte, elle ne répond néanmoins pas à toutes les interrogations des opérateurs. En effet, dans la mesure où les NFT sont vendus et acquis via la blockchain, la mise en œuvre du régime de TVA par le vendeur dépend de critères et d’éléments de fait, dont ce dernier n’a toujours pas connaissance, en raison du secret de l’identité des opérateurs en ligne.

Ainsi, comment appliquer le bon régime de taxation lorsqu’il est impossible de déterminer si l’opération sous-jacente est réalisée dans un cadre B2B ou B2C, à défaut de connaître la qualité d’assujetti à la TVA du preneur ? De la même manière, comment appliquer le bon régime de territorialité sous-jacent, quand le vendeur ne sait pas si l’acquéreur est établi ou domicilié en France, dans l’Union européenne ou dans un État tiers ?

Il en découle des risques de redressement et de double taxation qui nécessiteront vraisemblablement d’autres précisions dans la doctrine administrative. n

À retrouver dans la revue
Banque et Droit Nº214
Notes :
1 CJUE 8 mars 1988, 102/86.
2 Sur l’assujettissement et la base d’imposition des offres au public de jetons, v. BOI-RES-TVA-000054. Lorsqu’une telle collecte de fonds est réalisée dans le cadre d’une première émission de jetons – Initial Coin Offering (ICO) ou Initial Token Sale (ITS) – qui, à l’image d’un appel public à l’épargne, est traditionnellement précédée de l’émission d’un document d’information, les règles de TVA applicables, très largement comparables à celles exposées au 2.3, sont décrites au BOI-RES-TVA-000054.
3 Sur le fondement du 1° de l’article 261 C du Code général des impôts (CGI). Sur la qualification des opérations réalisées à l’aide de jetons non fongibles (NFT) au regard des règles de la TVA, v. BOI-RES-TVA-000140.
4 Art. 256 du CGI.
5 Au sens du 12° de l’article 259 B du CGI. I-C § 70 du BOI-TVA-CHAMP-20-50-40-20.
6 Au sens du 1° du IV de l’article 256 du CGI.
7 3° du I de l’article 278-0 bis du CGI, précisé au II de l’article 98 A de l’annexe III au CGI.
8 Art. L. 112-2 du CPI.
9 Art. 279 du CGI.
10 Art. 278 du CGI.
11 En raison du principe de neutralité de la TVA : CJCE 14 février 1985, aff. 268/83, Rompelman, point 23, ECLI:EU:C:1985:74 et CJCE 29 février 1996, aff. C-110/94, INZO, point 17, ECLI:EU:C:1996:67.
12 CJUE 8 février 2007, C-435/05, Investrand, point 24, ECLI: ECLI:EU:C:2007:87.
RB