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Retraite : une réforme pour améliorer la dette publique française

Créé le

22.05.2023

-

Mis à jour le

25.05.2023

La réforme des retraites, dont
une censure totale par le Conseil constitutionnel n’aurait pas eu
d’impact financier à court terme
pour l’Hexagone, sera mise en œuvre dès septembre. Ses effets sur
les finances publiques et la croissance potentielle ne seront visibles
qu’à moyen-long terme.

Fin du suspense. Le Conseil constitutionnel a validé le 14 avril l’essentiel de la réforme des retraites, tout en censurant six mesures d’accompagnement social, tel que l’index et les CDI seniors. Une décision qui a permis au président de la République une promulgation dans la foulée. Une censure totale de la réforme aurait été catastrophique pour la France à en croire le discours d’Emmanuel Macron tenu le 16 mars en Conseil des ministres pour justifier le recours par le gouvernement du 49.3. Le Président avait alerté des risques si la réforme ne se faisait pas : « Je considère qu’en l’état, les risques financiers, économiques sont trop grands. »

Des amendements érodent les économies

La réforme, qui prévoit le relèvement de l’âge légal de départ à la retraite de 62 ans à 64 ans et l’accélération de la durée de cotisation pour bénéficier d’une retraite à taux plein à 43 ans en 2027 (contre 2035 auparavant), a été pensée par le Gouvernement pour générer 10,3 milliards d’euros d’économies d’ici 2027 et 17,7 milliards d’ici 2030. Toutefois, « après prise en compte du coût des mesures d’accompagnement social prévues ou ajoutées après amendements parlementaires, les économies nettes ne seraient plus que de l’ordre de 10 milliards d’euros, contre 17,7 milliards d’économies brutes d’ici 2030 issues des deux seules mesures d’âge », précise François Écalle, président de FIPECO. « La réforme d’origine prévoyait un retour à l’équilibre à cette date, mais avec les nombreuses concessions accordées, on se dirige vers un déficit de 1 à 2 milliards en 2030 », notait l’IFRAP dans une analyse début mars. Les amendements parlementaires, tel que le plancher de 43 annuités de cotisations et le quatrième palier d’âge, ont enrichi le dispositif initial de mesures, qui, lui, comprend le maintien de l’âge légal à 62 ans pour invalidité ou inaptitude et la revalorisation de la pension minimum. Sans la réforme, le déficit du système de retraite prévu par le gouvernement s’élèverait à 12,4 milliards d’euros en 2027 et à 13,5 milliards en 2030.

Sur le plan économique, la réforme des retraites vise également à redynamiser le marché du travail et la croissance. Mathieu Plane, directeur adjoint du département analyse et prévision de l’OFCE, estime qu’elle « aura un effet sur l’offre de travail et l’activité de long terme à travers la modification du ratio entre cotisants et retraités ». Cela viendrait « générer des suppléments de croissance potentielle de l’ordre de 1 point de PIB à horizon 2030, à la condition que cela se traduise bien par des emplois et des heures travaillées supplémentaires ». Se basant sur les données issues de la réforme de 2010 (recul de l’âge de 60 à 62 ans), le Gouvernement s’attend à un taux d’emploi majoré de 2 % pour la population âgée de 60 à 64 ans en 2025, puis de 6 % en 2030.

Le système contribue au déficit budgétaire

En 2021, selon le rapport 2022 du Conseil d’orientation des retraites (COR) publié en septembre, les dépenses brutes du système de retraite s’élevaient à 345,1 milliards d’euros, soit 13,8 % du PIB, contre 14,7 % en 2020. Un montant colossal qui place la France au deuxième rang, après l’Italie, des pays où la part des dépenses de retraite dans le PIB est la plus élevée. Le COR s’attend à une forte progression de cette part entre 2027 et 2032, sous l’effet de la forte contraction du PIB et s’établirait à 14,7 % en 2030 dans le scénario de croissance de la productivité du travail de 0,7 % (voir graphique). D’après FIPECO, elles pesaient 23,4 % des dépenses publiques en 2021 qui, elles, représentaient 59,1 % du PIB (contre une part moyenne dans l’UE de 51,5 %). Les dépenses de retraite constituent un lourd fardeau à porter pour le gouvernement.

La part des dépenses de retraite dans le PIB pourrait augmenter de 2023 à 2028

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Entrevoyant une stabilisation des dépenses de retraites en part de PIB sur la période 2022-2027, le COR précise que « leur rythme d’évolution ne paraît pas compatible avec les objectifs du gouvernement en matière de finances publiques inscrits dans le programme de stabilité de juillet 2021 ». Il recommande à l’État de limiter la croissance des dépenses publiques à 0,6 % en volume entre 2022 et 2027 afin de tenir ses objectifs, alors que les dépenses de retraites progresseraient sur la période de 1,8 % en termes réels. Le conseil ajoute qu’en l’absence de réformes, la diminution progressive des recettes dans les décennies à venir entraînerait une dégradation progressive de l’équilibre du système. L’agence Moody’s note de son côté que « ce déséquilibre [du système de retraite], à son tour, contribue au déficit budgétaire global du gouvernement ».

« La réforme des retraites fait partie des réformes structurelles qui ont un impact positif sur les finances publiques à moyen terme, indique Thomas Gillet, analyste en charge de notations souveraines chez Scope Ratings. Cette réforme contribuerait à restaurer les marges de manœuvres budgétaires et à assainir la trajectoire des finances publiques. » Pour François Écalle, il n’y a pas de risque immédiat sur les finances publiques. La réforme, qui est selon lui structurelle, « vise à régler les problèmes de déficit et de dette croissants depuis le début de la Ve République » et « ses effets sur les finances publiques seront durables et de long terme ». Pour autant, l’expert des finances publiques considère que les économies découlant de la réforme ne suffiront pas pour reprendre le contrôle de la dette publique et ramener le déficit en dessous de 3 %. Une analyse que partage Nicolas Marques, directeur général de l’lnstitut Molinari, qui estime qu’« à moyen et long termes, la réforme de 2023 ne réduit les déficits que de façon marginale et ne résout pas les problèmes structurels ».

Gabriel Attal, ministre délégué chargé des Comptes publics, avait d’ailleurs lui-même tiré la sonnette d’alarme en janvier sur l’« urgence de sauver notre système de retraites », avec « 500 milliards d’euros de dette sur les 25 ans à venir » si la réforme n’est pas faite. Et pour cause : la trajectoire ascendante des finances publiques est inquiétante. Au troisième trimestre de 2022, le ratio de dette/PIB de l’Hexagone était de 113,4 %, au-dessus de celui de la Belgique (106,3 %) et en dessous des ratios de l’Espagne (115,6 %), du Portugal (120,1 %), de l’Italie (147,3 %), et de la Grèce (178,2 %). À la fin du quatrième trimestre, la dette publique au sens de Maastricht s’élevait à 2 950 milliards d’euros, flirtant avec la barre des 3 000 milliards. L’évolution du PIB et le désendettement ont conduit à un recul du ratio dette sur PIB à 111,6 % du PIB, contre un objectif de 108,3 % à horizon 2027. Le recul du déficit public de 6,5 % en 2021 à 4,7 % en 2022 (124,9 milliards d’euros) est la seule bonne nouvelle pour les autorités françaises, qui ont toutefois encore du chemin à faire pour le ramener à 2,7 % à horizon 2027.

La dette publique française tutoie les 3 000 milliards d’euros

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Depuis l’éclatement de la pandémie, la dette publique française a crû de 21 %. La part de l’État s’établit à 2 357 milliards d’euros, soit 80 % de la dette publique, les autres administrations se partageant le solde de 20 %.

Les déficits des retraites ne constituent pas le risque le plus important pour les finances publiques. Les hausses de taux de la BCE devraient davantage peser sur les dépenses publiques et la charge de la dette dans les années. En raison de cette hausse, la charge de la dette attendue à 41 milliards d’euros en 2023 « atteindra 70 milliards en 2027 », a alerté Bruno Le Maire, ministre de l’Économie et des Finances lors de la présentation du programme de stabilité 2023-2027, le 20 avril. Pour Thomas Gillet, « la réforme des retraites devrait générer 8 milliards d’euros d’économies selon le gouvernement à l’horizon 2027, ce qui est modeste comparé à la charge de la dette, qui atteindrait 70 milliards d’euros en 2027 selon le gouvernement. Les déficits cumulés du système de retraite, entre 60 et 80 milliards d’euros d’ici 2030, sont aussi à mettre en perspective avec les mesures d’urgence engagées en réponse à la pandémie de Covid (165 milliards d’euros) et à la hausse des prix de l’énergie (100 milliards), mais aussi au plan de relance du nucléaire (50 milliards) ou à la possible hausse du budget des armées (100 milliards d’euros d’ici 2030). »

« Il n’y a pas d’épée de Damoclès ni de risque de faillite immédiat pour la France, qui n’est pas la Grèce. Il n’y a d’ailleurs pas eu d’alerte en provenance des marchés. Il aurait fallu communiquer sur la nécessité de la réforme des retraites pour réduire les déficits structurels », lance Mathieu Plane. Pour Nicolas Marques, le risque financier immédiat est faible. Il ajoute que « les marchés sont à la recherche de dettes publiques et considèrent à ce stade que la dette française est de qualité ». En dépit des tensions sociales et politiques et de la dégradation de la note française par Fitch de AA à AA- le 28 avril, la dette française reste une valeur refuge. Le taux de l’OAT à 10 ans, qui a repris le chemin de la hausse en 2022 après le resserrement monétaire de la BCE, s’échangeait à 2,83 % le 11 mai, quand le spread OAT/Bund à 10 ans évoluait autour des 50 points de base (pb) à 57 pb. Les contrats d’échange sur le risque de défaut (CDS) à 5 ans français se traitaient à un niveau bas de 27 pb. Ces derniers avaient touché un pic de 260 pb en novembre 2011, en pleine crise de la dette souveraine en zone euro.

Les taux, le spread et les CDS de la France restent relativement contenus

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Provisionner les retraites des fonctionnaires

Les grandes difficultés de l’État à faire passer sa réforme ne sont pas une bonne nouvelle pour la suite du quinquennat. « Si la réforme de 2023 n’avait pas été adoptée, le risque pour la France aurait été une possible perte de crédibilité au niveau européen. Si l’État montre qu’il est incapable de reculer l’âge de la retraite, le doute risque de s’installer chez nos partenaires », avertit Nicolas Marques. Afin de maintenir voire améliorer la crédibilité de la dette publique française, l’économiste préconise de provisionner les retraites des fonctionnaires embauchés à partir de 2024. Selon lui, les engagements de retraite hors bilan des fonctionnaires définis selon une logique de prestations définies – qui s’élevaient à 1 610 milliards d’euros dans le compte général de l’État de 2022 – génèrent un surcoût pour les finances publiques de 40 milliards d’euros par an. François Écalle craint le risque de voir un jour les créanciers et les partenaires européens s’inquiéter de la capacité de la France à faire des réformes. En mars, Fitch soulignait que la baisse du soutien populaire et politique compliquerait les efforts de mise en œuvre de nouvelles réformes structurelles et des politiques visant à réduire la dette publique pendant le reste du second mandat du Président. Mais pour l’heure, la réforme sera bel et bien mise en place à partir du 1er septembre.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº881bis