Espagne : une réforme qui conditionne l’octroi des fonds du plan de relance

Créé le

22.05.2023

-

Mis à jour le

25.05.2023

Pas ou peu de remous : les députés espagnols ont validé fin mars la réforme des retraites du gouvernement de Pedro Sanchez. Le texte met davantage à contribution les salaires les plus élevés, sans toucher à l’âge légal de départ,
qui doit passer progressivement à 67 ans.

Comme de nombreux pays d’Europe occidentale, l’Espagne fait face à un défi démographique important qui s’accompagne d’un accroissement du poste des retraites : celui-ci couvre 26,1 % des dépenses totales en 2021 (comparé à 21 % en 2001), en ligne avec la France (26,6 % en 2021), mais plus qu’en Allemagne (23,2 %) et beaucoup moins qu’en Italie (30,6 %). Plus inquiétant, le rythme d’accroissement des dépenses a été supérieur en Espagne à la plupart des grandes économies de la zone euro (Allemagne, France et Italie), atteignant 13,2 % du PIB en 2021, à comparer avec un taux moyen de 12,8 % dans l’ensemble de la zone euro : « Entre 2022 et 2030, les Nations unies s’attendent à une baisse de la population active en Espagne de 4,5 % alors que la population va baisser dans son ensemble de 1 %, rappelle Guillaume Derrien, économiste au sein de BNP Paribas. L’assiette des cotisants va se réduire plus qu’ailleurs. »

Les hauts revenus mis à contribution

Le texte de loi ne touche pas à l’âge de départ à la retraite qui, en vertu d’une réforme entérinée en 2011, doit progressivement passer à 67 ans en 2027. En revanche, le dernier volet de celle engagée au cours de la législature actuelle s’attelle à introduire une plus grande contribution des hauts revenus en relevant petit à petit les bases maximales de cotisation (actuellement de 4 495 euros par mois) entre 2024 et 2050 de l’IPC +1,2 % chaque année. Le montant des retraites sera rehaussé proportionnellement.

« Ce mécanisme va renchérir les coûts de main-d’œuvre des salariés les plus qualifiés, ce qui fait craindre la possibilité d’une fuite des talents d’Espagne vers d’autres pays, s’inquiète Rafael Pampillón, économiste au sein de l’université IE à Madrid. C’est un système sur lequel le Gouvernement a pactisé avec les syndicats et pas avec le monde de l’entreprise. » Les critiques ont également fusé du côté de la confédération patronale CEOE, qui juge que ce dispositif est « fondé sur une augmentation généralisée des cotisations qui affectera tous les travailleurs, augmente les coûts du travail et met en péril la création d’emploi ».

L’équité entre générations préservée

Dans ce modèle de retraite, les carrières les plus hachées seront en revanche protégées : la réforme introduit ainsi un nouveau modèle de calcul de la retraite flexible qui permettra aux travailleurs de choisir entre le maintien des 25 années de cotisations actuellement prises en compte dans le calcul de la retraite ou le calcul de 29 années, avec la possibilité d’en retirer deux, ce qui reviendrait à une période de 27 années. Elle entérine aussi une hausse et une prolongation du mécanisme d’équité intergénérationnelle, qui avait été introduit en 2021 pour pallier le déséquilibre. L’Espagne a connu une très forte croissance de sa population entre les années 50 et les années 80 et un certain nombre de ces cohortes vont atteindre l’âge de départ en retraite au cours des deux prochaines décennies. Ce mécanisme, qui supposait une cotisation supplémentaire à hauteur de 0,6 point entre 2023 et 2032, sera étendu jusqu’en 2050 et passera progressivement de 0,6 point en 2023 à 1,2 point en 2029.

« Ces mesures vont augmenter les recettes mais aussi les coûts de main-d’œuvre des entreprises et, dans une moindre mesure, baisser les salaires nets des salariés, analyse Moody’s dans une note. Selon le Gouvernement, ces mesures combinées augmenteront le coût du travail par quelque 1,6 %, ajoutant 0,37 euro au coût de main-d’œuvre moyen en Espagne de 23,40 euros par heure en 2022, bien que ces calculs excluent l’effet de la hausse des salaires au fil du temps. »

Cette réforme, pour laquelle la Commission européenne a donné son feu vert, était l’une des conditions à l’octroi des fonds du plan de relance européen dont l’Espagne reste l’un des principaux bénéficiaires, avec 140 milliards d’euros. Était-elle pour autant nécessaire ? « À l’instant T, cette réforme ne répondait pas à un objectif à court terme, estime Guillaume Derrien. Avec un déficit de 0,5 % du PIB en 2022, à environ 6 milliards d’euros, le trou de la Sécurité Sociale espagnole a largement diminué, en lien avec le redressement économique du pays. »

Les experts s’interrogent sur l’importance de l’impact budgétaire de la réforme. Dans le cadre de ses calculs, la Fedea (Fundación de Estudios de Economía Aplicada) estime que les différentes mesures adoptées n’entraîneraient qu’une économie nette de 0,39 % du PIB, « dans le meilleur des cas », en 2050. Soit presque la moitié de l’estimation de 0,66 % anticipée par le ministère de l’Inclusion, de la Sécurité sociale et des Migrations espagnol.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº881bis
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