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Entre répartition et capitalisation, plus d’un siècle d’hésitation française

Créé le

22.05.2023

-

Mis à jour le

24.05.2023

De l’invention du principe de la retraite, limitée aux anciens marins et soldats, à sa généralisation
à l’ensemble de la population, différentes voies ont été explorées, entre répartition et capitalisation.

Dans les sociétés traditionnelles, l’entretien des personnes trop âgées pour travailler était assuré par la solidarité familiale. Sous l’effet de la construction des États centraux, de l’urbanisation et de l’industrialisation, d’abord pour ceux qui par leur vie au service du pays s’étaient éloignés des solidarités familiales, des systèmes de retraite furent progressivement mis en place.

Colbert imagine en 1670, la Caisse des Invalides de la Marine, instituée en 1673 (chaque marin cotise à hauteur de 2,5 % de sa solde) tandis qu’à la même époque Louis XIV prend la décision d’accueillir les soldats blessés, invalides ou âgés, à l’hôtel... des Invalides. Le système est étendu à tous les marins au cours XVIIIe siècle, puis aux fonctionnaires de l’État, qui bénéficient d’une Caisse de retraite créée en 1790. Mal appliquée, cette loi conduit néanmoins à la création de caisses de retraite particulières dans différentes administrations dont l’État doit combler les déficits. La loi du 9 juin 1853 généralise le système à tous les fonctionnaires publics qui ont désormais le droit de toucher une pension après 30 ans de service et à partir de 60 ans. Elle est financée par une retenue de 5 % sur les traitements perçus. Cette loi est appliquée sans modification sensible jusqu’en 1924 et ancre le système de la répartition dans la société française.

Attirer et fidéliser

Lors de la création des grandes industries, des grandes compagnies de chemin de fer par exemple, de nombreux patrons instituent des caisses de retraite cofinancées dès les années 1850 (Schneider, Michelin, Meunier, Godin) afin d’attirer et de fidéliser les salariés.

La France hésite longtemps entre la retraite par répartition, choisie pour les pensions des fonctionnaires, et celle de tous les autres qui retient la capitalisation. La première grande loi dite « des retraites ouvrières et paysannes » (1910) fonctionne sur le principe de la capitalisation. Mais le nombre de cotisants s’effondre au cours de la Première Guerre mondiale et l’inflation galopante réduit à peu de choses les pensions constituées. Ce qui contribue à discréditer dans l’opinion la retraite par capitalisation. Pendant l’entre-deux-guerres, le modèle envié devient celui des fonctionnaires.

La grande loi sur les assurances sociales votée en 1930, système de retraite désormais obligatoire, était réservée aux salariés qui touchaient moins de 15 000 francs de salaires par an. Le financement est assuré par des cotisations de 8 % du salaire, à charge égale du salarié et du patron, l’accès à la pension après 30 ans de cotisations (40 % du salaire perçu pendant toutes ces années). Chaque salarié est alors libre de choisir sa caisse, départementale, mutualiste, patronale, syndicale, confessionnelle.

Démocratie sociale

La grande crise de 1929 puis la Seconde Guerre mondiale modifient la façon de percevoir les domaines de l’intervention légitime de l’État et les formes d’organisation des assurances sociales. En France, Pierre Laroque est chargé à la Libération de mettre en œuvre la construction d’un système d’assurances sociales qui figurait dans le programme du CNR (1944). Par son aspect universel de prise en charge de tous les risques, il s’inspire du modèle de Beveridge (couvrir les grands risques : maladie, chômage, retraite) mais il s’en distingue par deux caractéristiques essentielles : le refus d’attribuer des prestations uniformes et le souci de promouvoir une démocratie sociale.

Les cotisations des actifs servent à payer immédiatement les retraites, tout en ouvrant des droits pour leur future retraite, la gouvernance est confiée aux partenaires sociaux. L’ordonnance du 19 octobre 1945 fixe l’âge de départ à la retraite à 65 ans après une durée de cotisation de 30 ans. Cette architecture est peu à peu complétée par l’organisation de trois régimes d’assurances vieillesse pour les travailleurs non salariés non agricoles (janvier 1948), le régime obligatoire des exploitants agricoles (juillet 1952) et les régimes de retraites complémentaires des cadres et des non-cadres (Agirc et Arrco) en décembre 1972.

À partir de 1993 (réforme Balladur), les réformes tentent de rétablir l’équilibre financier des régimes de retraite en faisant évoluer les différents paramètres (âge, durée et taux de cotisation, nombre d’années de référence pour le calcul de la pension).

Né en France et destiné aux serviteurs de la nation, à l’époque de l’État royal centralisé et fort, le système des retraites s’est peu à peu élargi à l’ensemble des populations, surtout depuis la Seconde Guerre mondiale. Aujourd’hui, même s’il existe des différences entre les systèmes, il caractérise fortement les pays de la Communauté européenne par rapport au reste du monde.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº881bis
Une espérance de vie toujours plus longue
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