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Marchés financiers

« Une bonne allocation des capitaux est essentielle pour le fonctionnement de l’économie »

Créé le

11.05.2011

-

Mis à jour le

24.08.2011

Les marchés financiers sont indispensables à l’économie, mais pour ​remplir pleinement cette fonction, ils doivent être efficients, à savoir ​regrouper une multitude d’investisseurs et se fonder sur un système ​d’information parfait. Le régulateur doit tendre au respect de ces ​deux attributs dans les textes qu’il ​publie et l’application qu’il en fait.

Comment définir un marché financier ? Quelle est son utilité ?

La fonction première d’un marché financier est d’être un mécanisme de financement des entreprises et des États. Le marché financier permet de lever des capitaux à grande échelle auprès d’une foultitude d’investisseurs potentiels. Il est donc ouvert et cela induit des régulations évidentes sur l’information à fournir par les émetteurs.

Les marchés financiers sont aussi des mécanismes d’information, d’aide à la décision au travers des prix. À chaque instant, les marchés donnent ainsi une idée de ce que la sagesse collective considère comme étant la valeur d’une entreprise pour les actions, ou la capacité à rembourser d’un État pour les obligations. C’est une source d’information qui conduit ensuite nombre de décisions d’allocation des capitaux dans l’économie. Ainsi, le marché financier, grâce à un système de prix qu’il fait émerger, à la liquidité qu’il apporte du fait la multitude des investisseurs, aux obligations de transparence auxquelles il est soumis, permet d’allouer les capitaux de façon plus fluide et plus efficace. Et on sait à quel point une bonne allocation des capitaux est essentielle pour le fonctionnement de l’économie.

En théorie, pour qu’un marché soit parfaitement efficient, il faut un système d’information parfait et une infinité d’investisseurs. Dans ces conditions, le marché est naturellement efficient et affiche le bon prix. La réalité est évidemment différente, mais il faut garder cela à l’esprit pour tendre vers le meilleur marché possible.

Par ailleurs, les marchés financiers, qu’il s’agisse des marchés d’actifs primaires ou des dérivés, permettent l’échange de risques. Or, échanger des risques est un mécanisme utile pour l’économie.

Certains acteurs ont, face à un événement donné, un risque inverse. En ce qui concerne les dérivés météorologiques, les statistiques montrent par exemple qu’un degré de plus que la normale fait grimper la consommation de bière. En revanche, cela fait baisser les ventes de pull-overs. L’aléa climatique a un impact exactement inverse pour le brasseur et pour le vendeur de vêtements chauds. Si ceux-ci veulent maîtriser leur risque, ils ont tout intérêt à l’échanger. Dans d’autres cas de figure, des investisseurs, parfois des spéculateurs, sont prêts à prendre des risques pour essayer de gagner de l’argent puisque la récompense de la prise de risque est un rendement plus élevé, alors que d’autres privilégient la réduction du risque. C’est une des utilités des marchés de dérivés, qui ont pour fonction première cet échange de risques, en décomposant des actifs en sous-catégories qui représentent chacune une partie du risque de ces derniers.

Est-ce que les marchés actuels, primaires mais aussi dérivés, répondent suffisamment aux fondamentaux spécifiés : multitude d’investissements, transparence parfaite… ?

Par rapport à cet idéal, la réalité est évidemment plus compliquée. L’information sur les marchés actions ou obligataires, est relativement fournie : la dette de l’État, par exemple, fait l’objet d’informations publiques ; les études économiques sont nombreuses, ne serait-ce que du fait de l’intérêt actuel du grand public sur ce sujet précis. Pour les entreprises, l’information existe également, et même si elle est en partie prospective et entachée d’incertitude, elle est assez fortement régulée. En revanche, sur les marchés de matières premières, des efforts restent à faire sur les fondamentaux pour mieux connaître la production, les stocks, les flux ou la consommation.

Parfois, le nombre d’acteurs peut parfois ne pas être suffisamment élevé pour que le fonctionnement des marchés soit bien assuré. Certains marchés dérivés de taux ou d’actions sont très larges : ce sont généralement des marchés réglementés. En revanche, d'autres marchés dérivés s’assimilent à des marchés privés en raison du très faible nombre d’intervenants. Cela n’est pas forcément dangereux si la place de ce marché est limitée à des investisseurs très initiés qui réalisent des échanges entre eux.

Mais entre ces deux situations, les marchés sont plus ou moins ouverts et cela peut créer de sérieuses difficultés. Tout d'abord, le processus de formation des prix est plus instable et les chances d’aboutir à un bon prix sont réduites. Ensuite, cela crée un problème de liquidité et donc de résilience des marchés. Plus pervers encore, si les acteurs sont peu nombreux, chacun impacte inexorablement le marché en réalisant des transactions : en achetant un actif dont il estimait le prix trop bas, il provoque lui-même une hausse du prix, ce qui crée des risques de bulles, involontaires ou non, ce qu’on appellerait en termes techniques de la manipulation de marchés. Ces risques sont également réels sur les marchés de gré à gré dans lesquels aucun système ne permet d’évaluer le nombre de transactions ou de participants.

C’est l'une des raisons pour lesquelles nous plaidons pour une organisation des marchés les plus importants, avec notamment des obligations de centralisation. C’est aussi pour cela que nous surveillons de près le high frequency trading, en dehors du fait de possibles manipulations. Le risque de ce type de trading est d’exclure des investisseurs ainsi que de concentrer les acteurs sur le marché, mais aussi de les concentrer sur un certain profil qui ne s’intéresse pas a priori à la valeur à long terme des entreprises sur les marchés actions. Il est essentiel de respecter un équilibre dans les catégories d’acteurs sur les marchés : c’est un élément de leur efficacité.

Enfin, à propos de la construction des prix, dans un monde organisé et médiatisé comme le nôtre, le prix donné se répand immédiatement à la surface du globe ; il a un impact sur les bilans des sociétés, puisque la valeur de marché est de plus en plus utilisée dans les comptes ; en outre, de nombreux contrats sont liés à un prix de marché… il existe toute une superstructure de fonctionnement économique qui utilise des prix de marché.

Si les marchés fonctionnent bien, ils fournissent, au-delà des vicissitudes de très court terme, probablement les meilleures références de prix. Dans un monde idéal, il faudrait pouvoir distinguer les marchés qui atteignent un niveau raisonnable d’efficience et dont les prix de marché sont utilisables, et les autres, dont les prix affichés ont une signification très limitée. Ce n’est pas un jugement moral, il s’agit simplement de marchés encore immatures ou trop étroits par nature.

Il faut faire en sorte que la plus grande partie de ces marchés soit organisée à un niveau suffisant pour délivrer de façon raisonnable ce qu’on attend d’eux en termes de prix.

Comment interprétez-vous la crise financière dans cette perspective ?

Typiquement, on a décrété que les subprimes, ces prêts d’immobiliers américains packagés, constituaient un marché avec des pages émanant des diffuseurs d’information financière qui en affichaient les prix. Or, c’était un artifice : ces actifs n’avaient aucun des attributs minimaux d’un marché. Ils ne présentaient aucune liquidité. Les prix affichés ne voulaient rien dire car ils ne reflétaient pas d’ordres fermes, comme cela se passe en Bourse, où il existe une contrepartie auprès de laquelle il faut délivrer l’actif. Dès le début des difficultés, en 2007, les pages des diffuseurs d’information de prix ont d’ailleurs disparu du jour au lendemain ! De surcroît, ces produits ne faisaient l’objet d’aucune réelle régulation, ni de leur fonctionnement, ni de l’information. Donc pas d’organisation de marchés, finalement peu d’intervenants, des informations sujettes à caution… mais on a agi comme si c’était un marché. On s’est aveuglé.

Que fallait-il faire pour ne pas se laisser aveugler ?

Il est aujourd’hui plus clairement assumé que sans régulation suffisante, il n’est pas possible d’assurer des marchés efficients ; mais au-delà de ce principe, le monde étant par construction imparfait, les marchés peuvent se tromper même s’ils sont bien régulés. Et avant la crise, face à certaines observations des régulateurs, tout le monde pensait que ceux-ci ne pouvaient pas avoir raison contre le marché. Depuis, l’opinion a évolué et la logique de régulation macrofinancière va prendre sa place, sous-tendue par la « sagesse » collective des régulateurs au niveau international. C’est désormais un principe de précaution admis qu’en cas de doutes sur un marché, les régulateurs peuvent intervenir pour calmer le jeu.

Il faut ainsi espérer que la collectivité des régulateurs sera plus entendue. Mais, pour qu'ils puissent jouer ce rôle, ils doivent eux-mêmes savoir ce qui se passe : sur le marché des subprimes, les régulateurs ne connaissaient pas les échanges, effectués de gré à gré. L’une des priorités de la présidence française du G20, qui est portée par l'AMF, est de centraliser ces échanges pour avoir une meilleure vision du fonctionnement des marchés. De surcroît, le passage en chambre de compensation induit une discipline en matière d’appels de marge et sur les collatéraux.

Quelles régulations sont nécessaires pour qu’un marché fonctionne bien ?

Dans tous les cas de figure, la régulation doit permettre la transparence sur les transactions effectuées : cela donne un état du marché, permet de comprendre comment les prix évoluent et d'avoir une idée de la profondeur du marché, de sa liquidité. Ceci dit, il n’y a pas de régulation « one size fits all ».

La transparence prénégociation (pre trade), par exemple, n’est valable que pour les marchés suffisamment larges et profonds. Dans ce domaine, la MIF a parfois fait évoluer les situations de façon un peu malencontreuse, en accroissant la capacité des intermédiaires à capter des ordres avant qu’ils n’arrivent en Bourse.

Sur les marchés traditionnels, un autre garde-fou est nécessaire : les marchés sont composés d’humains et d’ordinateurs ; or, l’un comme l’autre peuvent donner naissance à de véritables psychoses collectives. Il est essentiel d’avoir à très court terme la possibilité de « refroidir » les marchés et de faire en sorte que les hommes reprennent la main sur les ordinateurs. Ce problème n’est pas nouveau en soi mais comme les échanges sont éclatés dans le contexte post-MIF sur plusieurs plates-formes de négociation, ces garde-fous sont plus complexes à mettre en œuvre.

Par ailleurs, sur les marchés plus étroits, il est nécessaire d’avoir dans la boîte à outils des régulateurs des mesures plus intrusives. L’exemple classique est celui des limites de position : quand les acteurs sont peu nombreux, le risque existe de voir l’un d’entre eux prendre un tel poids qu’il va pouvoir diriger le marché, volontairement ou non. Cette situation peut créer des dysfonctionnements majeurs. En règle générale, sur la Bourse de Paris, ces mesures ne sont pas nécessaires parce qu’aucun acteur ne peut gagner une importance telle ou uniquement sur des titres peu traités, travers que nous pouvons gérer avec des règles contre les manipulations de marché. En revanche, c’est le cas de certains marchés de matières premières, où des limites de position seraient les bienvenus.

Comment mieux réguler le marché des matières premières ?

Dans le marché des matières premières, seuls les dérivés sont régulés, mais pas le sous-jacent. Or, il existe évidemment un lien entre les deux. Nous n’avons pas vocation à contrôler les marchés des matières premières en tant que tels, mais il faut avoir une vision globale entre dérivés et sous-jacents pour atteindre une meilleure efficience et détecter éventuellement des problèmes ou des comportements posant question.

Qu’en est-il du marché naissant du CO2 ?

Le marché du CO2 est très particulier : c’est une matière première, en quelque sorte, mais elle ressemble beaucoup à un titre financier car c’est une matière première qui n’est pas physique. Certes, la loi française ne dit pas que les quotas de CO2 sont des instruments financiers, mais elle leur applique les mêmes notions : c’est le seul marché de matières premières sous-jacent qui commence à être régulé comme un marché financier. Dans son règlement général, l’AMF a d'ailleurs créé un nouveau livre sur cet actif.

Pensez-vous que la réforme actuellement en cours de la directive MIF aille dans le sens d’une meilleure efficience des marchés ?

La proposition de révision de la directive MIF par la Commission est un ensemble de mesures techniques dont bon nombre vont dans le bon sens, même s’il reste à voir le projet final, tous les acteurs n’étant aujourd’hui pas d’accord sur les options prises au niveau européen.

Mais il lui manque encore un chapeau politique pour lui donner un objectif global dans la façon d’organiser les marchés. La régulation ne se limite pas à l’application des règles ; elle doit viser l’excellence des marchés financiers et les régulateurs ont tout leur rôle à jouer dans cette perspective. Un régulateur est certes un gendarme, mais au-delà, il doit œuvrer pour que les marchés servent l’économie, la collectivité, que cet outil soit le meilleur possible. C’est dans cette logique qu’il faut réguler les marchés.

Dans la mauvaise image actuelle des marchés, n’entre-t-il pas aussi une méfiance quasi culturelle des Français à leur égard ? Ils investissent toujours plus volontiers dans le livret A que dans les actions…

Pourtant tous les journaux, y compris les plus populaires, donnent tous les jours le CAC40 ! Et l’émission du chroniqueur boursier Jean-Pierre Gaillard était devenue une institution… Cela prouve que les Français ont un intérêt pour la Bourse et les marchés financiers.

Près de 7 millions de personnes en France détenaient des actions en 2007. Nous n’en sommes pas au niveau des États-Unis où plus de la moitié de la population a investi à un moment ou un autre directement dans les actions, mais ce n’est pas négligeable. Et c’est fondamental parce que l’allocation de l’épargne des ménages en France est sous-optimale et contrairement à ce que l’on croit, les particuliers sur les marchés actions jouent un rôle important dans le processus de formation des prix face aux investisseurs institutionnels qui sont plus moutonniers.

Les marchés sont-ils amoraux, comme le laisse à penser un certain courant de l’opinion publique ?

Le marché n’est qu’un instrument, le concept de morale ne s’applique pas à lui mais à la façon dont les acteurs l’utilisent. Derrière l’éthique prise dans son sens philosophique, existent des concepts concrets qui font partie de la régulation de marché et de la loi et que nous avons parfois occultés à force de se concentrer sur des règles très opérationnelles… Ainsi, dans notre régulation, figurent des mots comme « primauté de l’intérêt du client » ou « loyauté » ; et nous avons une sanction récente qui se fonde sur le non-respect du principe de loyauté. C’est un utile rappel.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº736HS