Square

Trois enjeux majeurs pour la banque de détail

Créé le

21.02.2022

« Le meilleur temps pour réparer sa toiture, c'est lorsque le soleil brille », disait John Fitzgerald Kennedy. Les récents bons résultats de la banque de détail tracent la voie pour affronter les prochains défis.

Les résultats annuels des principaux groupes bancaires attestent de la résilience de leur modèle. Fait nouveau, la croissance des activités génère un effet ciseau positif, avec une croissance du produit net bancaire (PNB) de 6 %, supérieure à celle des coûts (+3 %). À l’opposé, un an auparavant, la diminution des coûts (-2 %) restait inférieure à celle des revenus (-3 %).

Au-delà de ces aléas conjoncturels, depuis de nombreuses années, le modèle de la banque de détail doit faire face à une pression sur les revenus, nécessitant une réduction des charges supérieure, tout ceci dans un contexte de forts investissements technologiques et de faible coût du risque. Notre étude annuelle [1] , menée depuis trois ans, le démontre. Les banques de détail doivent entrer dans le dur de la transformation de leur modèle. Dans ce cadre, plusieurs chantiers lourds doivent être amplifiés, accélérés ou tout simplement engagés : (i) plein potentiel de mutualisation intra groupe, (ii) approches conjointes entre établissements, (iii) externalisation plus poussée. Voici trois enjeux majeurs à traiter en priorité sachant que le potentiel des mesures à prendre est bien plus large (voir encadré).

Enjeu n°1 : faire face à la digitalisation de l’économie

Au même titre que les critères ESG (environnementaux, sociétaux et de gouvernance) ou l’inclusion des clients les plus fragiles qui limite les commissions sur incidents de paiement, la digitalisation de l’économie porte en elle des menaces : augmentation du nombre de clients des banques en ligne diffusant l’impression de (fausse) gratuité des services bancaires basiques, accroissement de la concurrence des fintechs et des GAFA, évolution des manières de consommer...

À titre illustratif, la bascule digitale des usages des consommateurs peut potentiellement impacter les revenus des banques de détail à hauteur d’un milliard d’euros, avec la bascule des paiements sur les prestataires de service de paiement (PSP) des e-commerçants privant les banques de commissions ou le développement du paiement fractionné au détriment du crédit à la consommation et usage de découvert. Cette bascule digitale représente un risque de désintermédiation pour les banques. Autre point à traiter dans cette thématique : anticiper la montée en charge des millenials avec un modèle où l’agence sera le format de contact marginal. Par exemple, avec une mutualisation des agences ?

Enjeu n° 2 : réduire massivement les coûts

Depuis maintenant plus de trois ans, les banques de détail ont – enfin – amorcé une baisse réelle de leurs charges d’exploitation. Celle-ci est permise et rendue nécessaire par la bascule digitale. Elle s’effectue dans le respect d’un pacte social fort dans un secteur par ailleurs dominé par les banques mutualistes. Mais le point de départ n’est pas bon. Le coefficient d’exploitation du secteur reste très élevé (66 % en 2021 contre 72 % en 2020), bien supérieur à la plupart des autres acteurs européens. Idem pour les ratios de coûts sur actifs. Malgré les efforts initiés par toutes les banques et l’embellie récente, quelle place reste-t-il donc pour le risque de crédit et la rentabilité pour financer les investissements notamment digitaux ?

Amplifier les réductions de coûts pour les banques de détail passe forcément par des baisses d’effectifs plus significatives, les salaires représentant plus de la moitié de la base de coûts. Entre 2012 et 2020, les effectifs de la banque de détail ont baissé de 10 % en France (voir graphique). À titre de comparaison, les banques espagnoles ont déjà engagé de forts mouvements de réductions d’effectifs (-120 000 postes entre 2008 et 2020). Et, pour les deux prochaines années, elles ont lancé des plans massifs de réduction d’effectifs et de « rightsizing » du réseau avec plus de 20 000 suppressions de poste (-10 %) et un quart des agences.

Tout l’enjeu est de savoir si le modèle économique des banques françaises est tenable, en fonction notamment de l’évolution du coût du risque, ou si des efforts additionnels doivent être envisagés, quitte à remettre en cause plus ou moins fortement le pacte social compte tenu d’une pyramide des âges pas encore assez favorable pour jouer sur les écoulements naturels.

Enjeu n° 3 : réapprendre à sortir les créances du bilan

Après une baisse constante des niveaux de provisionnement entre 2015 et 2019, avec un ratio coût du risque/encours passé de 26 à 16 points de base (bp), le taux de couverture était remonté à 33 bp. Enfin, en 2021, il est revenu à la « normale » : 16 bp. Les dispositifs de chômage partiel, les nombreuses aides pour les personnes individuelles ainsi que les mesures à destination des entreprises (Prêts garantis par l'Etat, moratoires, aides, décalage de taxes à payer) ont évité des défauts massifs sur la clientèle de particuliers/professionnels et de TPE.

Attention toutefois aux conséquences de l’arrêt de ces aides : il pourrait faire exploser le coût du risque, avec peu de marge de manœuvre pour les banques, compte tenu d’un coefficient d’exploitation structurellement élevé. Comment donc gérer cet impact dans les prochaines années ? Le régulateur est extrêmement attentif à ces prêts qualifiés de « non performants ». Leur augmentation pourrait immédiatement constituer un signal d’alarme. Historiquement, les banques françaises n’ont jamais, ou dans des proportions très faibles, cédé ces créances de moindre qualité. A contrario, dans les autres pays d’Europe (Espagne, Italie notamment), les cessions peuvent être massives afin de relâcher la pression réglementaire ainsi que le très lourd coût en capital. En l’absence de cessions, le coût du risque continuera d’être porté par les banques françaises avec l’impact en fonds propres induit.

 

 
1 https://www.alvarezandmarsal.com/fr/insights/les-efforts-sont-ils-la-hauteur-des-impacts-de-la-crise-covid-optimisation-versus

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº866
Notes :
1 https://www.alvarezandmarsal.com/fr/insights/les-efforts-sont-ils-la-hauteur-des-impacts-de-la-crise-covid-optimisation-versus
RB