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Transition environnementale : coût ou opportunité pour une banque ?

Créé le

18.02.2022

L'inaction face au réchauffement climatique a un coût. Il est bien supérieur à celui auquel les acteurs bancaires doivent faire face pour atteindre leurs objectifs de neutralité carbone. Si le secteur doit transformer son modèle d'affaire pour le rendre durable, cela génère aussi des opportunités économiques.

Le début de l’année 2022 se caractérise par une reprise économique solide, récemment confirmée par la robustesse des résultats des banques françaises. Si le variant Omicron n’a pas fait dérailler cette dynamique, des zones d’incertitude persistent et incitent à un optimisme prudent. Dans ce contexte, la priorité accordée aux sujets liés à la finance durable dans le cadre de la présidence française du Conseil de l’Union européenne est un signal fort tant les enjeux sont clés : la finance durable est indéniablement un levier clé pour dessiner les contours d’une économie plus durable, inclusive et équilibrée, et donc mieux outillée pour limiter ou bien traverser la survenance de turbulences économiques. Alors que les évènements climatiques se multiplient, le doublement des investissements en fonds durables en France, tout comme la réalisation par la Banque centrale européenne (BCE) d’un premier stress-test climatique des grandes banques de la zone euro, reflètent l’importance grandissante accordée à l’urgence de la transition environnementale.

Le secteur bancaire joue lui aussi un rôle clé pour financer et donc accélérer cette transition. Et c’est en interrogeant ses fondamentaux qu’il pourra véritablement faire la différence, de façon à évoluer vers une prise en compte renforcée des risques climatiques, reconnus comme des risques financiers, et vers des offres davantage adaptées pour accompagner l’ensemble de ses clients dans cette dynamique. C’est ce qu’implique la « transition juste » : il s’agit d’en minimiser les impacts négatifs tout en maximisant ses impacts positifs pour l’ensemble des parties prenantes.

Au-delà des coûts d’opportunités liés aux annonces climatiques des différents acteurs bancaires, les modèles d’affaires doivent résolument évoluer pour faire de l’impact positif un des leviers clé de leur rentabilité. Dans cette optique, la route vers l’atteinte de nos objectifs environnementaux, bien que semée de nombreux défis à relever, devrait avant tout voir émerger de nombreuses opportunités au service d’une économie plus durable et inclusive.

La viabilité des modèles bancaires en question

Le risque climatique est clairement identifié aujourd’hui : il se traduit par le risque physique lié à l’augmentation des phénomènes climatiques extrêmes et par le risque de transition résultant des changements réglementaires et de politique publique liés à la mise en œuvre de la transition vers une économie bas carbone. Une forme de consensus se met en place pour lutter contre le réchauffement de la planète et désormais, l’inaction climatique est le plus grand risque de réputation. Au-delà de cette définition communément acceptée, deux caractéristiques du risque climatique lui font revêtir un enjeu tout particulier pour les banques.

D’abord sa dimension écosystémique : maintenant que sa modélisation est bien entamée, nous prenons depuis quelques années conscience de l’implication des enjeux climatiques avec les autres enjeux environnementaux. La taxonomie nous aide à définir les notions d’économie solidaire, de biodiversité, de protection marine, les enjeux de pollution atmosphérique et de pollution des sols. La crise sanitaire a quant à elle mis en lumière la question des risques sociaux, de plus en plus imbriquée dans celle des risques climatiques. Si nous pouvons nous réjouir d’avancer sur la problématique des risques climatiques, de proposer une définition de plus en plus normée, la dimension écosystémique complexifie le sujet. La transition environnementale ne pourra se faire qu’en réinventant un nouveau modèle social attentif à la réduction des inégalités sociales : une transition juste.

Ensuite, sa dimension stratégique : nous ne sommes plus à un stade où la gestion des risques climatiques est une gestion de convictions, mais il s’agit bien de transformer notre modèle économique pour qu’il soit financièrement durable. Comment les enjeux réglementaires, l’augmentation du prix du carbone, les changements de mode de consommation, vont-ils avoir un impact financier sur nos modèles économiques ? C’est un risque qui impacte à la fois nos clients – l’un des enjeux est d’ailleurs de mesurer cet impact et les accompagner dans la gestion de leur transition –, et bien sûr, qui nous impacte également dans notre modèle d’affaires.

Un facteur de risques plus qu'un nouveau risque

Cette transformation passe d’abord par la prise en compte des enjeux de la transition juste au cœur de la gouvernance des banques. L’intégration à la stratégie est essentielle pour pouvoir traiter la dimension transversale de la transition juste et mener les changements opérationnels et humains nécessaires. Et le cadre général de maîtrise des risques doit évoluer de manière symétrique du plus haut niveau, le Risk Appetite Statement, au niveau le plus opérationnel pour contraindre les établissements à respecter leurs engagements tout en protégeant la banque contre de nouveaux facteurs de risques de court ou moyen terme.

À cet égard, les fonctions de gestion des risques se transforment rapidement : dans un rapport publié par l'EBA  [1] cette année, et d’après les publications du Network for Greening the Financial System (NGFS) et de la BCE, il est décrit la façon dont les risques climatiques affectent les catégories traditionnelles auxquelles les établissements bancaires sont confrontés. Ces facteurs de risques se transmettent aux risques financiers traditionnels (risques de crédit, risques de marché, risques opérationnels). Aujourd’hui, le fait d’envisager les risques climatiques comme un facteur de risques, plutôt que comme une nouvelle catégorie de risques, est généralement admis par les superviseurs. Malgré tout, ces facteurs de risques comportent des caractéristiques spécifiques, en particulier leur caractère prospectif et le fait qu’ils se matérialisent selon des horizons temporels plus longs que ceux traditionnellement traités par les établissements bancaires ou la réglementation prudentielle.

De la nécessité d'accéder à des données brutes

Plus largement, la transition juste entraine un changement de paradigme pour les banques : l’appréciation du risque doit évoluer en intégrant la dimension disruptive des évolutions de modèles économiques et de modèles d’affaires nécessaires pour répondre aux enjeux de la transition. Cela implique d’accompagner des projets innovants, qui s’appuient sur une conception différente de la production alliant économie circulaire et nouveaux modes de consommation, et donc d’être capables d’apprécier le risque de ces projets à l’aune de la transition juste.

Pour apprécier ces nouveaux enjeux, de nouvelles données doivent être collectées et traitées. Soulignons le changement de paradigme opéré sur la donnée extra-financière. Jusqu’à présent, l’appréciation des risques environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) reposait sur des données agrégées, souvent retravaillées par des agences de notation. Aujourd’hui, la mesure du risque climatique implique de travailler sur des données granulaires, brutes et non retraitées.

Une autre évolution réside dans la notion de double matérialité de la donnée. L’analyse des risques ESG repose sur celles des pratiques RSE des entreprises et de l’impact des facteurs environnementaux et sociaux sur les entreprises. Aujourd’hui, le prisme a changé. Il s’agit davantage de déterminer l’impact de l’entreprise et de son modèle d’affaires sur l’environnement et sur la société.

Suite à ce double changement, nous sommes face à de multiples sources de données. Nous collectons ces données directement auprès de nos clients et prenons en compte les données publiques comme les bases géophysiques ou celles de l’ADEME. Les ONG sont également un acteur émergent dans le secteur des fournisseurs de données, en développant des capacités d’analyse sur certains secteurs clefs de la transition comme celui des énergies fossiles.

De nouveaux outils sont nécessaires

Dans ce contexte, accélérer la transformation des modèles d’affaires suppose également de les repenser jusque dans leur gouvernance. À travers son plan stratégique 2030, La Banque Postale a ainsi placé l’impact au cœur de son modèle d’affaires, consacrant l’impératif de transition juste comme condition de sa performance. Elle traduit cet objectif stratégique dans la pratique en publiant une stratégie de décarbonation ambitieuse, en développant des outils de pilotage et de mesure, d’offres et partenariats, ainsi qu’à travers une gouvernance remodelée avec la publication de sa raison d’être en juin dernier et son prochain passage au statut d’entreprise à mission.

Pour « passer à l’échelle », les méthodes et les outils sont indispensables. À cet égard, La Banque Postale lance son « Indicateur d’Impact Global (IIG) », véritable filtre décisionnel par lequel tous les choix de financement et d'investissement seront évalués à l’aune du critère de l’impact positif (voir encadré). Cet outil de pilotage amont de la décision d’octroi de crédit a été co-construit à l’aide de la société civile (WWF, ESSEC) et son ADN est résolument holistique : il aura pour vocation à mesurer l’impact combiné des dimensions environnementales, sociales et territoriales de toutes les décisions de financement et d’investissement.

Une palette d'offres étoffée

Nourrir le terreau des innovations citoyennes est tout aussi essentiel : La Banque Postale aspire en ce sens à être un « laboratoire » de la finance à impact positif pour faire émerger toutes les propositions de valeur. C’est dans cet esprit que des partenariats structurants ont été noués par le biais de l’incubateur Platform58. Par exemple, la climatech Carbo propose une offre pour démocratiser les bilans carbones via un outil simple, fiable et pédagogique permettant à ses clients, d’évaluer leur empreinte carbone en plus de bénéficier de conseils sur-mesure pour réduire leurs émissions.

La Banque Postale a pour objectif de rendre l’ensemble de ses parties prenantes actrices de la transition juste par le biais de ses offres. Elle agit sur le segment du « BtoB », comme en témoigne la structuration des prêts verts aux entreprises et collectivités locales, et la création de sa BFI, qui ambitionne de doubler d’ici 2023 ses encours dans les projets de transition énergétique. Afin d’accompagner l’ensemble de ses clients sur le chemin de la transition, elle étoffe également son offre « BtoC » via le Crédit Consommation à Impact ou le Prêt Avance Rénovation. Ce dernier participe pleinement à la réduction des émissions du secteur du bâtiment, quatrième plus gros émetteur d’émission de CO2 en France, en plus d’apporter un élément de réponse au problème lancinant des 5 millions de passoires énergétiques et d’améliorer les conditions de vie des plus modestes.

Les étapes vers la neutralité carbone

Pour répondre à l’appel de la communauté scientifique dans le contexte de l’urgence environnementale, La Banque Postale a franchi une nouvelle étape dans sa stratégie de décarbonation En plus de sortir du charbon, la banque s’engage à sortir totalement des secteurs du pétrole et du gaz en 2030. Autrement dit, elle ne finance plus de projets énergétiques basés sur le pétrole et le gaz, ne fournit plus de services financiers, n’investit plus mais désinvestit des entreprises productrices de pétrole et gaz conventionnel et non conventionnel, et celles développant des projets et de nouvelles infrastructures liées aux secteurs du pétrole et du gaz. Soucieuse d’accompagner les entreprises dans leur transition, La Banque Postale maintient ses relations commerciales avec les entreprises listées dans la Global Oil and Gas Exit List (GOGEL) de l’ONG Urgewald dès lors qu’elles auront adopté une stratégie publique et crédible de sortie des secteurs du pétrole et du gaz avant 2040 et à condition qu’elles ne développent plus de nouveau projet d’exploration pétrolière ou gazière.

Dans un esprit d’alignement avec la stratégie de décarbonation de La Banque Postale, CNP Assurances renforce également sa politique sectorielle en stoppant dès à présent tout financement ou investissement dans de nouveaux projets d’exploration ou de production de pétrole ou de gaz conventionnel ou non-conventionnel. Afin d’accompagner les entreprises dans leur propre transition, CNP Assurances pourra poursuivre ses investissements dans une entreprise du secteur (i) via une filiale consacrée exclusivement au développement des énergies renouvelables ou (ii) via des financements spécifiques par Green bonds permettant d’assurer le fléchage des fonds levés vers le développement des énergies renouvelables. La filiale continuera par ailleurs de remplir son rôle d’actionnaire exigeant vis-à-vis des entreprises du secteur en leur demandant d’arrêter immédiatement tout nouveau projet d’exploration ou de production de pétrole ou de gaz conventionnel ou non-conventionnel. Des travaux sont également menés en ce sens concernant les activités de gestion d’actifs de la banque.

L'inaction climatique se paye cher

Ces engagements sont accompagnés d’une trajectoire de décarbonation validée scientifiquement au niveau international par la « Science Based Targets initiative » (SBTI), organisme indépendant de référence, qui l’a reconnue compatible avec l’objectif de limiter le réchauffement bien en deçà de 2 °C fixé par l’Accord de Paris. Cette trajectoire recouvre ses activités propres (émission carbone du parc immobilier et de la flotte de véhicules, type d’énergie utilisée, etc.), les impacts liés à ses investissements et financements ainsi que l’ensemble de ses activités bancaires.

Au niveau international, les travaux menés dans le cadre de la Net Zero Banking Alliance (NZBA), portée par l’United Nations Environment Program Finance Initiative (UNEP FI), seront décisifs pour permettre d’atteindre zéro émission nette au plus tard en 2050. Si de nombreux engagements ont été pris en ce sens par les établissements constitutifs de ce cercle, il nous appartient désormais de documenter précisément nos plans d’action pour atteindre cet objectif.

En conclusion, la culture de l’impact positif est un rempart essentiel contre le réchauffement climatique en plus de constituer un gisement d’opportunités pour l’ensemble de nos parties prenantes. Les coûts d’opportunités liés aux choix que les acteurs bancaires doivent faire pour atteindre leurs objectifs de neutralité carbone semblent largement inférieurs aux coûts de l’inaction climatique. Une transition tardive et désordonnée pourrait en effet atteindre 10 à 20 % du PIB mondial à la fin du siècle. Si la transition écologique comporte des risques intrinsèques, elle offre aussi et surtout des opportunités économiques, financières et sociales qui permettront de redessiner les contours d’une économie plus durable et inclusive et donc plus performante. La variable temporelle est évidemment clé dans l’équation : plus nous agissons tôt et plus l’impact économique de nos décisions sera positif, ou en tout cas moins négatif. C’est exactement dans cet esprit que doit s’inscrire l’impératif de transition juste. De ce point de vue, il est indéniable que le paradigme réglementaire continuera de prendre de l’importance, tant la question des normes extra-financières est au cœur de la transition que nous appelons de nos vœux.

  1. 1 « Risk Assessment of the European Banking system », European Banking Authority, décembre 2021.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº866
Notes :
1 « Risk Assessment of the European Banking system », European Banking Authority, décembre 2021.