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Comptabilité bancaire

Le traitement comptable des crypto-actifs détenus par les banques

Créé le

11.02.2022

Comment les banques doivent-elles traiter les principaux événements de gestion sur les crypto-actifs ? Question d’importance à l’heure des expérimentations de monnaies numériques de banques centrales (MNBC) ou Central Bank Digital Currency (CBDC). D’autant qu’il existe des différences entre normes hexagonales et internationales.

Les règlements ANC 2018-07 et 2020-05 ont précisé le traitement comptable à appliquer sur nombre de sujets portant sur les crypto-actifs détenus, émis, et conservés. Le champ d’application de ces règlements s’est appuyé sur la loi PACTE : elle a intégré la définition des jetons (tokens) dans le code monétaire et financier (article L. 552-2 [1] ), ainsi que les actifs numériques, notion plus large que celle des jetons (article L. 54-10-1 [2] ). Au cas où un actif numérique présenterait les caractéristiques d’un titre, c’est le mode de comptabilisation desdits titres qu’il conviendrait d’appliquer. Si ces règlements de l’Autorité des normes comptables (ANC) ont mis à jour le Plan comptable général (PCG) applicable aux entreprises industrielles et commerciales, la réglementation comptable bancaire en retient par défaut les principes. Au niveau international, il faut en revanche se référer à l’IFRIC IC de juin 2019. Ce texte a apporté un certain nombre de précisions. Pour résumer, au plan comptable français, les textes adoptés apportent une réelle sécurité juridique quant aux traitements des principaux évènements de gestion sur les crypto-actifs. Le débat est encore ouvert à l’international. Et que dire du sujet prudentiel (voir encadré) ?

Les jetons détenus

France

Le mode de comptabilisation dépend des intentions de gestion.

Cas n° 1 : Utiliser les services ou les biens associés, et utilisation attendue au-delà de l’exercice en cours

Les crypto-actifs entrent alors dans la catégorie des immobilisations corporelles. Comme toutes les immobilisations corporelles, l'actif est amorti selon le mode de consommation des avantages économiques futurs attendus. Précision importante : les jetons dont la détention est nécessaire pour l’obtention de services, sans pour autant que leur valeur soit consommée par l’usage, ne font pas l’objet d’amortissements. Tel est le cas de l’ether pour l’accès à la technologie Ethereum.

Cas n° 2 : par défaut

Les crypto-actifs sont alors considérés comme des actifs divers. À la clef, la reconnaissance de la juste valeur au bilan, par contrepartie de comptes d’évaluation spécifiques au bilan (nomenclature PCG) :

– 47862 : « Différences d’évaluation de jetons détenus – actif » ;

– ou 47872 : « Différences d’évaluation de jetons détenus – passif »

En PCEC [3] , une codification de type « 383 - Comptes d’écarts » pourrait être utilisée.

Compte tenu des intentions de gestion, on peut s’attendre à ce que le mode de classification prépondérant soit celui de la catégorie par défaut. Les actifs devront être évalués selon un principe de juste valeur prudente. Ainsi la constatation d’écarts d’évaluation actif, reflétant des pertes latentes, nécessite la constitution de provisions pour pertes latentes [4] .

Pour illustration, prenons les transactions suivantes :

– achat de bitcoins pour 10 000 €, valorisés 9 500 € en fin d’exercice (perte latente de 500 €) ;

– achat d’ethers achetés 5 000 €, valorisés 6 000 € en fin d’exercice (profit latent de 1 000 €) ;

Le tableau 1 présente la manière dont ces transactions pourraient être reflétées dans les états financiers sociaux bancaires publiables.

International

Un point commun avec l’approche française : l’existence de deux cas. Pour le reste, tout diffère.

La catégorie par défaut est celle des immobilisations incorporelles. Cette approche n’a pas été retenue par la réglementation française qui, sur les actifs immobilisés, ne reconnaît pas la reconnaissance de justes valeurs, traduisant sur ce point, une approche conceptuelle très différente. Autre différence majeure : l’IFRIC IC a exclu la comptabilisation des jetons en tant qu’instruments financiers.

Cas n° 1 : détention et cession des jetons dans le cours normal de son activité

Il faut opérer une classification en stock (IAS 2). Avec une évaluation au coût, voire une utilisation de la guidance d’IAS 2 pour les « commodity broker-traders ». Cela leur permet d’évaluer ces actifs en juste valeur par P&L, nets de coûts de cession.

Cas n° 2 : catégorie par défaut

Cette fois, les crypto-actifs relèvent des immobilisations incorporelles (IAS 38) avec une évaluation au coût. À noter qu’en cas de marché actif, ces immobilisations incorporelles sont évaluées en juste valeur par OCI (en cas de hausse), en juste valeur par résultat en cas de baisse de valeur depuis leur prix d’acquisition.

Les jetons émis

France

Le mode de comptabilisation dépend des droits et obligations attachés à l’émission, ainsi seront essentiellement constatés au passif :

– des produits constatés d’avance ;

– des dettes financières [5] , avec pour la première fois dans le PCG, la reconnaissance comptable d’effets de clauses d’indexation sur des jetons ;

– le cas échéant, un produit immédiat en cas d’absence d’obligations implicites ou explicites.

International

L’IFRIC IC se positionne de manière comparable à l’approche française, selon les droits et obligations attachés, avec une approche par transparence.

La conservation d’actifs numériques

France

L’activité de conservation d’actifs numériques est règlementée par l’Autorité des marchés financiers (AMF), les opérateurs ayant le statut de prestataires de services sur actifs numériques (PSAN). Sur option, l’AMF délivre aux PSAN un agrément relatif à leurs prestations, sur base de critères de bonne gestion.

Pour répondre à la question de l’inscription ou non au bilan des PSAN des actifs numériques conservés, le règlement ANC 2020-05 reprend quatre de ces critères de gestion :

– ségrégation effective des actifs numériques conservés pour le compte de tiers [6] ;

– non-usage des actifs numériques conservés sans l’accord exprès des clients ;

– les transactions d’un client résultent d’une multi-validation ;

– engagement sur les moyens nécessaires à la restitution des accès aux actifs numériques conservés.

Lorsque ces critères de gestion sont cumulativement respectés, les conservateurs n’inscrivent pas les actifs numériques conservés à leur bilan. Une mention est toutefois portée en annexe sur la quantité d’actifs numériques conservés. Ainsi, un PSAN ne présentant pas à son bilan les actifs numériques qu’il a en conservation, délivrera également un message sur des critères de bonne gestion.

En cas de non-respect de l’un des critères, les actifs numériques conservés sont comptabilisés à l’actif du bilan, par contrepartie d’une dette de restitution.

International

Il n’y a pas de position arrêtée par l’IFRIC IC sur la comptabilisation ou non-comptabilisation des actifs numériques au bilan des conservateurs. Néanmoins, différents groupes de travail examinent ce sujet, et l’incidence de points tels que l’existence d’une réglementation sectorielle, les modalités de ségrégation et plus généralement l’absence de contrôle sur les actifs numériques, apparaissent comme autant d’éléments qui documentent la non-inscription des crypto-actifs au bilan des conservateurs.

Prêts emprunts, dérivés…

Ces différents sujets ont été traités par le règlement ANC 2020-05. Le traitement comptable des prêts et emprunts sur actifs numériques a été précisé. Il se caractérise pour l’emprunteur par la comptabilisation :

– d’un actif numérique détenu, évalué selon les mêmes principes que les jetons détenus (reconnaissance d’une juste valeur prudente) ;

– d’un passif financier indexé en jetons, dont la valorisation est comptabilisée de manière symétrique à l’actif emprunté ;

– les intérêts courus sont comptabilisés en charge.

Du côté du prêteur, la règle est la suivante :

– l’actif numérique prêté est conservé au bilan et le cas échéant, une dépréciation est comptabilisée, matérialisant le risque de contrepartie ;

– constatation des produits intérêts courus sur le prêt ;

– mention dans l’annexe de l’indisponibilité de l’actif prêté.

Dernier sujet : les dérivés sur actifs numériques, dont le traitement comptable est intégré aux prescriptions du règlement ANC 2015-05. Si la réglementation comptable des dérivés selon le PCG n’est pas en tout point comparable à celle des banques, la reconnaissance des intentions des gestionnaires pourra sans grande difficulté être reconnue dans les états financiers, notamment par application d’une comptabilité de couverture.

 

1 Constitue un jeton tout bien incorporel représentant, sous forme numérique, un ou plusieurs droits, pouvant être émis, inscrits, conservés ou transférés au moyen d’un dispositif d’enregistrement électronique partagé permettant d’identifier, directement ou indirectement, le propriétaire dudit bien.
2 Les actifs numériques comprennent : – les jetons mentionnés à l'article L. 552-2, à l'exclusion de ceux remplissant les caractéristiques de titres ; – toute représentation numérique d'une valeur : • non émise ou garantie par une banque centrale ou par une autorité publique, • non nécessairement attachée à une monnaie ayant cours légal et qui ne possède pas le statut juridique d'une monnaie • mais qui est acceptée par des personnes physiques ou morales comme un moyen d'échange et qui peut être transférée, stockée ou échangée électroniquement.
3 Plan comptable des établissements de crédit.
4 Alinéa 5 de l’article 619-12 du règlement ANC 2018-07.  
5 Situation fréquente dans les phases de lancement d’ICO, période où les actifs numériques collectés sont restituables.
6 Selon deux critères : une séparation dans le dispositif d’enregistrement électronique partagé entre les actifs numériques des clients, et les propres actifs numériques du PSAN ; à tout moment, la quantité d’actifs numériques dont les moyens d’accès sont conservés pour le compte de tiers est égale à la quantité d’actifs numériques inscrits dans les supports techniques de conservation.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº866
Notes :
1 Constitue un jeton tout bien incorporel représentant, sous forme numérique, un ou plusieurs droits, pouvant être émis, inscrits, conservés ou transférés au moyen d’un dispositif d’enregistrement électronique partagé permettant d’identifier, directement ou indirectement, le propriétaire dudit bien.
2 Les actifs numériques comprennent : – les jetons mentionnés à l'article L. 552-2, à l'exclusion de ceux remplissant les caractéristiques de titres ; – toute représentation numérique d'une valeur : • non émise ou garantie par une banque centrale ou par une autorité publique, • non nécessairement attachée à une monnaie ayant cours légal et qui ne possède pas le statut juridique d'une monnaie • mais qui est acceptée par des personnes physiques ou morales comme un moyen d'échange et qui peut être transférée, stockée ou échangée électroniquement.
3 Plan comptable des établissements de crédit.
4 Alinéa 5 de l’article 619-12 du règlement ANC 2018-07.  
5 Situation fréquente dans les phases de lancement d’ICO, période où les actifs numériques collectés sont restituables.
6 Selon deux critères : une séparation dans le dispositif d’enregistrement électronique partagé entre les actifs numériques des clients, et les propres actifs numériques du PSAN ; à tout moment, la quantité d’actifs numériques dont les moyens d’accès sont conservés pour le compte de tiers est égale à la quantité d’actifs numériques inscrits dans les supports techniques de conservation.
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