Square

Résolution

« Le texte de la loi résolution bancaire française appelle de nombreuses questions »

Créé le

25.10.2013

-

Mis à jour le

04.11.2013

Le dispositif de résolution tel que prévu par la loi française pose un certain nombre de questions notamment sur la mise en œuvre du bail-in ou l’application des mesures aux entités non régulées, filiales des groupes bancaires. De même, la compatibilité de ce texte avec la future directive Résolution européenne laisse à ce jour planer des incertitudes.

En votant un texte d’application immédiate, la France est-elle en avance sur les autres pays européens ?

Non, contrairement au volet séparation de la loi de 2013, la France n’est pas particulièrement en avance sur le sujet de la résolution ; en 2010, par exemple, dans le contexte du sauvetage de Dexia, le gouvernement belge a modifié la loi pour donner à la Banque Nationale de Belgique les pouvoirs de restructurer les groupes bancaires et notamment de réaliser des transferts d’actifs, créer des bridge banks, sans que de telles opérations ne puissent être remises en cause par le droit des faillites et sans nécessité d’une autorisation des actionnaires pour séparer des activités.

D’autres pays plus particulièrement touchés par la crise ont également créé des régimes de résolution dans leurs législations : la Grèce a ainsi voté une loi en octobre 2011, qui écarte le droit des faillites et prévoit une procédure de résolution administrative sous l’égide de la Banque de Grèce où l’on retrouve les pouvoirs de résolution préconisés par le FSB dans ses Key Attributes : éviction des actionnaires, nomination d'un un administrateur provisoire, transfert des activités saines dans une banque-relais et mise en run off la partie « bad bank ». En réalité, il faut se souvenir que l'Angleterre, avec le Special Resolution Regime et l'Espagne, avec la création du FROB, ont ouvert le bal dès 2009, suivis par les pays précités, l'Allemagne en 2011, avec le German Restructuring Act, modifié cette année et enfin la Hollande, avec le Dutch Intervention Act for Financial Institutions en 2012. On s'aperçoit finalement que la France était plutôt à la traîne…

En revanche, aucun de ces textes, en dehors de la loi française, ne prévoit le mécanisme de bail in (réduction ou conversion de créances). On notera cependant la nouvelle doctrine de la Commission européenne ayant fait l'objet d'une communication cet été concernant le régime d'autorisation des aides d'État, cette doctrine vise à imposer le bail-in aux actionnaires dans le contexte de restructurations bancaires au titre du burden sharing.

La position française est-elle proche du projet européen de résolution ?

Le texte de loi française est assez proche de celui de la directive, sauf sur un point fondamental : le bail-in. Sur cet aspect la loi de séparation et de régulation est le reflet de la position de négociation de la France dans la perspective de la directive européenne. L’objectif est à présent de faire en sorte que cette dernière soit la plus proche possible de la position française.

La discussion en première lecture du projet de directive Résolution au Parlement européen initialement programmée en novembre a été finalement repoussée au 3 février prochain. Le compromis du Conseil européen dans la version adoptée en juillet, qui ouvre le trilogue, n’a pas modifié la liste des créanciers qui peuvent être soumis au bail-in : en revanche, le conseil a apporté deux nouveautés au texte.

Tout d'abord, un privilège a été accordé aux déposants pour la quote-part de leurs dépôts excédant le plafond de garantie de 100 000 euros, en contrepartie du sacrifice qui leur est imposé en les soumettant au bail-in. Il s'agit là d'un enseignement directement tiré de la crise chypriote, cela dit l'impact devrait en réalité être minime dans la majorité des pays européens. En effet, l’étude d’impact de la Commission européenne sur la réforme de la garantie des dépôts à la suite, notamment, de la crise des banques islandaises montre qu'un niveau de protection de 100 000 euros garantit en totalité 95,4 % des comptes de dépôt éligibles en Europe (94 % dans le cas de la France) et 72 % du montant des dépôts éligibles (75 % pour la France) ; les pays dont la part des dépôts éligibles dépasse le seuil de 100 000 euros sont très souvent des paradis fiscaux ou du moins à fiscalité complaisante (comme dans le cas de Chypre, où le ratio en nombre de comptes de dépôt couverts à 100 % tombe à 79 % et, en montant, s'enfonce sous la barre des 63 %) ; c’est sans doute la raison pour laquelle leur voix n’a pas beaucoup pesé dans les débats pour arriver à exclure du bail-in les dépôts au-delà de 100 000 euros !

Le deuxième point obtenu sous l’influence de la France et de l’Angleterre, qui ont une base de dépôt importante, est l'inclusion dans la directive d'une clause de sauvegarde qui, dans des conditions exceptionnelles dûment justifiées, permet à un état membre d’exclure du bail in certains créanciers : clairement, pour certains pays, ce sont les déposants dont les dépôts excèdent 100 000 euros ou qui ne sont pas couverts du tout qui sont concernés ; cela pourrait aussi bien être les créanciers senior unsecured qui ne sont actuellement pas soumis au bail-in à la française. Mais on peut critiquer cette approche en ce qu'elle nuit à la cohérence du système et risque en effet de créer de sérieuses difficultés dans le contexte de la résolution des groupes transfrontaliers qui seraient alors fournis à des régimes disparates. S'ajoute à cela que le texte européen est une directive, transposable dans les droits nationaux, avec les risques de divergence et de gold plating que l'on connaît, et non d’un règlement, d'effet direct.

Le champ d’application du régime de résolution pose, selon vous, des difficultés ; de quelle nature sont-elles ?

Le texte de la loi de résolution bancaire française est très ambigu à ce sujet et sa lecture est passablement complexe. Ainsi, le Collège de résolution de l'ACPR peut être saisi de la situation de certaines entités soumises à la supervision de l'ACPR limitativement énumérées : il s'agit des établissements de crédit, les entreprises d’investissement (autres que les sociétés de gestion), ainsi que des holdings ayant un statut réglementé (à savoir, les compagnies financières et les compagnies financières holding mixtes). Quid cependant des autres entités réglementées ? Dans le cadre de conglomérats financiers, et notamment la bancassurance, une telle question a son importance. Or, nulle mention n'est faite des établissements de paiement, des établissements de monnaie électronique, des fameuses nouvelles sociétés de financement qui remplaceront les sociétés financières en 2014, ou encore, des compagnies d'assurance. Il s'agit d'une première incohérence : au chapitre du volet préventif, la loi donne bien le pouvoir à l'ACPR de requérir de toute autre entité soumise à sa supervision de lui remettre un plan préventif de rétablissement dès lors qu'elle présente un risque spécifique au regard de la stabilité financière. Pour autant, au chapitre de la procédure de résolution proprement dite, seules les entités désignées de façon limitative semblent a priori concernées.

Deuxième incohérence : quel est le sort des entités non régulées, dont le rôle peut s'avérer crucial dans la résolution des groupes financiers ? L'hypothèse d'une holding non régulée centralisant une grande partie des financements du groupe n'est pas qu'une hypothèse théorique. Dans ce cas, quelle serait la résolvabilité d'un tel groupe si son pivot central échappe aux pouvoirs de résolution ? Cela dit, un esprit malicieux pourra lire dans la référence à la notion de groupe qui est utilisée dans l'appréciation de la situation de la banque soumise à résolution une invitation faite à l'ACPR d'exercer ses pouvoirs de résolution à l'égard d'autres personnes que celles qui sont nommément désignées par le texte. Et c'est effectivement selon une formule bien sibylline (et un rien tautologique) que la loi dit que les mesures de résolution peuvent être prises à l'égard de « toute personne soumise à la procédure de résolution ». Mais le juriste ne pourra que s'avouer perplexe face au risque de contestation judiciaire que l'usage par l'ACPR de pouvoirs au caractère particulièrement exorbitants pourrait susciter, si la loi ne lui donne pas un mandat clairement exprimé à cet effet.

Enfin, on notera que les mesures de résolution ne valent que pour autant que l'entité considérée ne fasse pas l'objet, précisément, d'une procédure d'insolvabilité. Or, l'ACPR dispose à présent d'un droit de veto quant à l'opportunité d'ouvrir une procédure collective, ce droit n'est exerçable qu'à propos des établissements de crédit stricto sensu, des nouvelles sociétés de financement, des établissements de monnaie électronique et des établissements de paiement. En revanche, les compagnies financières et les compagnies financières holding mixtes peuvent faire l'objet d'une procédure d'insolvabilité sans que l'avis de l'ACPR ne soit requis. Inversement, l'ACPR pourra refuser l'ouverture d'une procédure d'insolvabilité à l'encontre d'une société de financement ou d'un établissement de paiement, par exemple, alors qu'il n'est pas évident qu'elle dispose du pouvoir de leur appliquer des mesures de résolution. Où est la cohérence ? De fait, quel intérêt y a-t-il à l'ouverture d'une procédure de résolution si, dans le même temps, des filiales significatives du groupe y échappent et font l'objet d'une procédure collective classique ?

La logique poursuivie par le FSB dans ses Key Attributes voudrait que la procédure de résolution s’applique à la totalité du groupe, car les entités non régulées peuvent s'avérer être un élément important dans le succès de la résolvabilité des banques inclues dans le périmètre du groupe.

Le texte européen peut-il corriger ce biais ?

Le texte européen est plus large que le texte français sur ce terrain : il vise un très large éventail de sociétés holding dans le secteur financier, dont certaines n'ont pas de statut réglementé en tant que tel et ne sont pas supervisées par le superviseur bancaire (telles que les compagnies holdings mixtes ou mixed-activity holding companies), mais qui comptent au moins une banque parmi leurs filiales. Il vise également les établissements financiers, qui comprennent en particulier les établissements de paiement ainsi que les établissements poursuivant une activité de crédit sans pour autant disposer du statut d'établissement de crédit. Typiquement, les holdings des groupes automobiles comme Renault, avec RCI ou la DIAC, ou le groupe PSA avec Banque PSA pourraient potentiellement tomber dans le champ de la directive européenne, tandis que le texte français de résolution ne devrait a priori pas les concerner.

Quelle est la portée du fonds de résolution ?

En France, le fonds de garantie des dépôts est devenu également fonds de résolution, mais sa dotation actuelle atteint 1,8 milliard d’euros, alors que le total des dépôts auprès des banques françaises (couverts ou non par le fonds de garantie) d’après la Banque de France représente environ 1 600 à 1 800 milliards, on est donc très loin du compte… Certes, il est prévu que le fonds de garantie des dépôts et résolution augmente ses ressources jusqu’à 10 milliards d’euros en 10 ans, mais cela ne changera pas radicalement la donne : ces montants restent faibles. Seule la faillite de petites banques, comme par exemple la BCP en 1995, peut être épongée par le fonds sans douleur (à l'époque, il s'agissait du mécanisme de Place géré par l'AFB dont la directive européenne s'est inspirée). Il n’est pas sûr, dans cette perspective, qu’il soit ainsi possible de se passer de fonds publics en cas de défaillance d'une banque de taille importante sans même être systémique.

Quelles seront les conséquences de la mise en œuvre du régime de résolution tel que prévu par la loi bancaire, et notamment du bail-in, sur la stratégie de refinancement des banques ?

Le bail-in à la française ne s’applique, pour le moment, qu’aux actionnaires et aux créanciers subordonnés (c'est-à-dire, surtout les porteurs d'instruments de Tier 2). Jusqu’à présent, les actionnaires certes supportent les pertes en cas de faillite, mais alors le point de non-viabilité est déjà atteint, ce qui implique la mise sous perfusion par capitaux publics (par injection de capitaux ou par garantie) bien en amont de la défaillance. Ce que l'on cherche précisément à éviter, puisqu'on immunise par ce fait même les actionnaires contre les pertes. Désormais, le bail-in introduit une prise en charge des pertes par les actionnaires et les créanciers subordonnés en continuité d’activité de façon cohérente avec les préconisations du FSB. Les effets sur le refinancement global de la banque devraient être relativement limités, car seuls les instruments de Tier 2 sont réellement concernés : le spread d’une émission de titres supersubordonnés pourrait effectivement augmenter parce que le risque porté par ces instruments, que l'on croyait assez théorique, devient plus réel. Mais cela ne devrait pas affecter les autres sources de financement de la banque.

La situation est radicalement différente concernant la proposition européenne. Celle-ci prévoit en effet que les créanciers seniors non sécurisés (senior unsecured) devront également prendre leur quote-part de pertes, qu'ils soient subordonnés ou non. Or cette proposition est de nature à affecter la stratégie de financement de la banque. Le bail-in s’appliquerait alors aux acteurs des marchés interbancaire et obligataire, ainsi qu'aux déposants au-delà du plafond de la garantie des dépôts [1] , sachant que, comme indiqué précédemment, ceux-ci ont obtenu, à l’issue de la négociation liée à la restructuration des banques chypriotes, un privilège qui leur permet d'appréhender les actifs de la banque par priorité sur les autres créanciers. Cela signifie au final que les investisseurs dans le cadre de financements senior unsecured seront structurellement subordonnés aux déposants. Dans les banques universelles disposant d'une large base de dépôts, on peut prédire sans trop se tromper que cela aura des effets structurels à long terme sur la structure de leurs ressources. Au-delà du renchérissement du coût des emprunts non sécurisés, la part des financements sécurisés (comme les covered bonds), déjà très importante actuellement, ne pourra qu'augmenter. Également, le modèle « originate to distribute » (ou sa variante buy side, « invest-to-lend »), tant décrié en raison de son implication dans la crise des subprime mais qui – et ce n'est pas le moindre des paradoxes suscités par Bâle III – fait son grand retour en force, ne peut qu'être exacerbé. Cela est déjà le cas aujourd'hui (et le sera plus encore demain) dans les activités de financement à long terme (immobilier, projets/infrastructures, collectivités locales, etc.), qui requièrent de la banque l'allocation de ressources longues.

Une autre conséquence possible pourrait être la modification de la structure des groupes. Ainsi, le groupe bancaire pourrait chercher à isoler sa BFI de la banque de dépôt afin d'éviter que les différentes sources de financement ne soient en concours sur les mêmes actifs (financements obligataires et interbancaires d'un côté, dépôts de l'autre). Cela reviendrait de facto à appliquer volontairement une séparation sur le modèle Vickers, sans le côté pénalisant du modèle britannique qui limite très fortement le financement des activités de BFI par la banque de dépôt.

Ainsi, suivant cette logique, pour pérenniser ses capacités de refinancement, un groupe bancaire pourrait envisager de se structurer en trois entités juridiquement autonomes :

  • d'une part, la filiale de trading qui assure le compte propre comme le volet séparation de la loi française l'impose (pour autant toutefois que cette activité soit ultimement conservée, certaines banques ne s'étant pas cachées de vouloir l'abandonner en raison des nouvelles contraintes imposées par la loi française) ;
  • d'autre part, la BFI ;
  • enfin, la banque de dépôt.
Toutefois, l'intérêt d'une telle approche peut être nuancé en raison des outils de résolution qui comprennent les transferts d'actifs à une bridge bank.

En effet, la possibilité de créer des bridge banks ne permet-elle pas d’aboutir au même résultat que le bail-in ?

Précisément. Il sera en effet possible, pour l'autorité de résolution (en l'occurrence l'ACPR), de transférer tous les actifs sains d’une banque, ainsi que les dépôts de la clientèle, dans une bridge bank, tandis que les actifs à risque et certains passifs (comme les titres obligataires ou les prêts accordés par des institutions financières) restent logés dans la bad bank, qui sera alors mise en extinction (run off), les pertes constatées étant imputées au fur et à mesure sur ces passifs. Indirectement, ce mécanisme permet d’aboutir exactement à la situation du bail-in à l'européenne. En fait, l’objectif du régime de résolution est d'offrir à l'autorité de résolution un « catalogue » d’outils lui permettant de recourir à celui qui est le plus adapté à chaque situation et de les combiner entre eux.

Cela dit, il ne faut pas oublier que les actionnaires et créanciers de la banque sont protégés (mais modérément) par un filet de sécurité, le principe « no creditor worse off », qui impose à l'autorité de résolution de vérifier que les sacrifices imposés n’excèdent pas ceux que ces actionnaires et créanciers auraient subis dans le contexte d'une procédure de liquidation judiciaire. De fait, il n'est pas certain que, dans notre exemple, un transfert aussi déséquilibré serait conforme à ce principe.



1 Dépôts inférieurs à 100 000 euros.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº765
Notes :
1 Dépôts inférieurs à 100 000 euros.