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Asie

Le « shadow banking » en Chine : risqué ou dangereux ?

Créé le

19.09.2012

-

Mis à jour le

26.09.2012

Tandis que dans les pays développés, le système bancaire parallèle est associé à une ingénierie financière sophistiquée, son équivalent, dans les pays émergents, est davantage ancré dans la tradition,  à l’instar de la Chine. Dans tous les cas, la croissance du shadow banking est une réponse à la raréfaction des crédits bancaires.

Le shadow banking « à la chinoise » est constitué d’une myriade d’acteurs, tels que prêteurs sur gages, trusts, ou autres organismes de garantie, dont certains n’exigent même pas de collatéraux en contrepartie de leur caution. Ce sont autant d’entités qui échappent à toute régulation. Le système bancaire parallèle inclut également le système financier informel. La China Banking Regulatory Commission distingue trois grandes catégories d’entités (Encadrés 1 et 2) : les institutions financières non bancaires,  les institutions non financières, et les « autres ».

Un secteur difficilement mesurable

Les évaluations varient énormément selon les sources, et témoignent de la difficulté à quantifier l’ampleur du secteur (Graphique 1). Ainsi, la China Banking Regulatory Commission estime que les activités des entités relevant du shadow banking s’élevaient à 316 milliards de dollars. Une étude réalisée par des chercheurs de l’université de Pékin, fondée sur les chiffres de la People’s Bank of China (PBOC) évalue l’activité du shadow banking à 41,7% des financements globaux pour l’année 2011, soit 812 milliards de dollars (5 350 milliards de RMB). UBS [1] l’estime à environ 1 590 milliards de dollars (chiffres au 30/06/2011), soit 20% des prêts. La dernière étude en date est une note publiée par BofA au cours de l’été 2012. Selon David Cui, économiste chez BofA, le total des prêts consentis par le système bancaire parallèle s’élèverait à 2 200 milliards de dollars, soit 25% des prêts consentis par le secteur bancaire traditionnel.

Des risques réels, mais identifiés

Les liens entre les banques et le shadow banking sont pointés du doigt : pour attirer les dépôts et améliorer leur bilan, les banques ont multiplié les produits hors-bilan de gestion de fortune, avec des promesses de rendement élevées. David Cui précise que le risque de défauts dans les 12 à 18 mois à venir est élevé [2] . L’analyse d’UBS est plus mesurée : sans nier l’existence de risques, son étude met en avant la politique de provisionnement des grandes banques, jugée très conservatrice, et de nature à absorber d’éventuels défauts en cascade. Une récente étude de la Banque Mondiale [3] souligne en outre les efforts importants consentis par les autorités chinoises pour tenter de contenir les risques liés à la forte croissance du secteur.

Mais le poids de la tradition est là :certains acteurs du système bancaire parallèle sont ancrés dans la culture chinoise depuis plusieurs centaines d’années. Les mauvaises performances que les marchés actions ont enregistrées depuis 2008, combinées aux restrictions imposées par les autorités sur la distribution de crédits, ont contribué à l’explosion du système. Les déficiences de celui-ci ont longtemps été masquées par la belle croissance de l’économie chinoise. Le ralentissement de celle-ci, provoqué par la diminution des exportations – crise mondiale oblige – pourrait grandement nuire au système, gangrené par des pratiques à risque.

Les produits de gestion de fortune

Les banques chinoises ont lancé leurs premiers produits financiers de hors-bilan en 2004. En 2011, on en recensait exactement 23 501, pour 100 émetteurs (11 en 2004). Une croissance vertigineuse que les autorités ont bien du mal à encadrer. Malgré une réglementation, entrée en vigueur en 2011, demandant une plus grande transparence sur l’utilisation des fonds, l’opacité règne toujours quant à leurs performances réelles.

Reuters [4] cite ainsi l’exemple d’un véhicule d’investissement distribué sous le nom de « Golden Elephant N° 38 », qui promet un retour de 7,2 % par an. Dans les faits, le sous-jacent de ce produit est un projet immobilier bancal dans l’une des provinces les plus pauvres du pays. Outre ces cas d’investissements à la rentabilité douteuse, certaines banques pourraient avoir utilisé ces produits afin de masquer des pertes plus anciennes, ou encore faire disparaître des prêts risqués de leur bilan (voir Encadré 3).

Les autres segments du shadow banking présentent également des facteurs de risque à ne pas négliger.

Les organismes de caution

Selon les estimations, on compterait de 4 800 à 19 000 organismes de caution sur le sol chinois. Ces structures fournissent des garanties à des prêteurs à risque, leur permettant ainsi d’accéder à des crédits bancaires. Après une période de forte croissance, liée à l’entrée de la Chine dans l’OMC, les organismes de caution ont subi en 2010 les conséquences de la crise mondiale ; ils ont dû leur survie à la garantie de l’Etat chinois. Leur développement a été relancé à la faveur de la raréfaction des crédits bancaires, faisant de ces structures un point de passage obligé pour obtenir un prêt.

Malgré le renforcement de la supervision, des sociétés se sont engagées dans des pratiques frauduleuses, ce qui rend malaisée l’évaluation des risques financiers liés à cette activité : certains organismes prélèvent une part des crédits pour lesquels ils se sont portés caution, pour octroyer à leur tour des prêts encore plus risqués. Ces pratiques ne sont pas sans conséquences : quatre sociétés importantes ont fait faillite en 2011.

Les lettres de crédit

Selon BofA, les entreprises de négoce de matières premières – et plus particulièrement, le secteur de l’acier – multiplieraient les lettres de crédit. En outre, il s’agit de produits hors-bilan, échappant au regard des régulateurs et à toute évaluation. Le principe est le suivant :

  1. Une société négocie un prêt pour acheter des matières premières. La banque émet une lettre de crédit auprès du vendeur
  2. La société de négoce utilise son stock de matière première comme collatéral et obtient un crédit auprès d’une autre banque.
  3. Ce même stock peut être utilisé plusieurs fois pour multiplier les crédits
  4. Les fonds ainsi obtenus basculent dans le système bancaire parallèle. La société de négoce joue les organismes de prêts avec d’autres entreprises
  5. Lorsque la lettre de crédit arrive à échéance, la société de négoce rembourse la banque.

Les sociétés de prêt sur gages

Les « pawn shops » font partie intégrante de l’histoire du pays ; elles ont fait leur apparition voici plus de 1 600 ans. Elles se caractérisent par des prêts de très court terme (1 à 3 jours). Après une période d’interdiction, levée en 1987, les « boutiques » ont rapidement prospéré. On en compte aujourd’hui plus de 4 000. Malgré l’opacité qui entoure leur activité, et la nature même de celle-ci (80 % de leurs financements iraient vers des PME, selon des chiffres publiés par le Département des affaires commerciales en 2010), les autorités chinoises ont semble-t-il pris des mesures pour encadrer la profession [5] . En particulier, les boutiques de prêt sur gage ont l’obligation de se doter d’un capital compris entre 0,5 et 1,5 million de dollars, selon leur domaine d’activité. Plutôt qu’un risque réel, des faillites constatées dans un segment caractérisé par son court terme constitueraient un bon indicateur du retournement du système bancaire parallèle.

1 Chiffres au 30 juin 2011. 2 Selon People’s Court, une revue éditée par la Cour Suprême chinoise, les plaintes à l’encontre de ces fonds se multiplient : plus de 600 000 procès, portant sur un total de 17 milliards de dollars, auraient été recensés pour la seule année 2011, en augmentation de 38% par rapport à 2010. 2012 suivrait le même chemin, avec une forte hausse des poursuites sur le premier semestre (+25%). (Source : « China haunted by ghost inventory, shadow banks », Constantine von Hoffman, CBS Interactive, 19 septembre 2012) 3 “Chasing the Shadows : how significant is shadow banking in emerging markets ?”, Swati Ghosh, Ines Gonzalez del Mazo, Inci Ötker-Robe, Banque Mondiale, septembre 2012 1 “Shadow banking : stress, not threat”, UBS, octobre 2011 4 Kelvin Soh et Michael Flaherty, « China’s subprime shadow », Reuters, 6 août 2012. 5 Jianjun Li et Sara Hsu, « Shadow banking in China » , Central University of Finance and Economics, Pékin, juin 2012.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº752
Notes :
1 “Shadow banking : stress, not threat”, UBS, octobre 2011
2 Selon People’s Court, une revue éditée par la Cour Suprême chinoise, les plaintes à l’encontre de ces fonds se multiplient : plus de 600 000 procès, portant sur un total de 17 milliards de dollars, auraient été recensés pour la seule année 2011, en augmentation de 38% par rapport à 2010. 2012 suivrait le même chemin, avec une forte hausse des poursuites sur le premier semestre (+25%). (Source : « China haunted by ghost inventory, shadow banks », Constantine von Hoffman, CBS Interactive, 19 septembre 2012)
3 “Chasing the Shadows : how significant is shadow banking in emerging markets ?”, Swati Ghosh, Ines Gonzalez del Mazo, Inci Ötker-Robe, Banque Mondiale, septembre 2012
4 China’s subprime shadow », Reuters, 6 août 2012.
5 Jianjun Li et Sara Hsu,