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Sans contact : la France prête à faire le grand saut ?

Créé le

26.04.2011

-

Mis à jour le

16.06.2017

Un an après le lancement de Nice sans contact, l’espoir de voir décoller le paiement sans contact en France est de plus en plus présent. Qu’en est-il vraiment ?

Mai ​2010, le lancement de l’opération Nice sans contact marque la première fois où le sans contact (et notamment sa fonction de paiement) est généralisé à une ville entière sans qu’il s’agisse d’un pilote technique mais bien d’une situation pérenne. Un an après, huit autres villes ont été choisies par le ministère de l’Industrie, de l’Énergie et de l’Économie : Bordeaux-Pessac, Caen, Lille, Marseille, Paris, Strasbourg, Rennes et Toulouse. Elles devront déployer de nouveaux services autour du ​NFC entre ​2011 et ​2012. Dans le même temps, les derniers obstacles techniques au paiement sans contact se lèvent peu à peu : certains constructeurs téléphoniques (Samsung, LG, HTC, Nokia ou RIM entre autres) ont annoncé de nouveaux téléphones NFC qui devraient être commercialisés à partir du deuxième semestre 2011, et les nouveaux terminaux de paiement disponibles chez ​Ingénico ou ​VeriFone sont déjà prêts, matériellement, à accepter des paiements sans contact, même si la partie logicielle n’est pas encore activée.

Après Nice, Strasbourg, Marseille et Caen

L’heure de la généralisation du paiement sans contact est-elle enfin venue ? Pour certains oui. Laurent Jullien, directeur des services sans contact et paiement mobile et membre du conseil d’administration de l’Association française du sans contact mobile (AFSCM), rappelle les engagements des opérateurs : « Nous, opérateurs, allons commercialiser d’ici la fin de l’année un million de mobiles Citizy. Aujourd’hui, il y a trois projets clairement identifiés : Strasbourg, Marseille et Caen. Strasbourg est le plus ancien, le but est d'y payer avec son mobile avant la fin de l’année. Caen et Marseille se mettent en place pour être lancés au premier trimestre 2012. Nous ne parlons plus d’expérimentation mais de vrais services de paiement, avec du vrai argent. » Jean-Claude Deturche, vice-président des « Services Financiers Mobiles » y voit lui un vrai saut quantique : « La troisième révolution du téléphone mobile, après la voix et Internet, c’est le paiement. Le téléphone mobile est personnel et toujours sur soi. Il apporte une interactivité que ne permet pas une carte en plastique (fidélité, marketing direct associé à la géolocalisation). L’usage du paiement est pertinent sur un mobile et permet de mieux cibler les clients. De plus, aujourd’hui, 50 % des terminaux de paiement livrés dans le monde sont sans contact. » Le Crédit Mutuel, qui se mobilise sur le sans contact depuis les premières expérimentations strasbourgeoises dans le milieu des années 2000, a décidé de fournir automatiquement à tous ses clients professionnels, qu’ils soient ou non dans des villes concernées, des terminaux de point de vente automatiquement en NFC. « Cela leur permettra de gérer le “au cas où”, c’est exactement ce que font les grandes surfaces qui changent au fur et à mesure leurs systèmes de caisse, » explique un porte-parole de la ba​nque. Le tout se fait sans surcoût pour les clients. De même, si pour l’instant, la banque privilégie les villes en cours d’équipement, elle va désormais proposer à l’ensemble de ses clients des cartes bancaires sans contact. « Dès aujourd’hui, ceux qui le souhaitent peuvent demander une carte dual sans frais supplémentaire. »

Des freins financiers et psychologiques

Aux côtés de ces acteurs enthousiastes, d’autres sont plus prudents. Ainsi, pour Willy Dubost, responsable du département monétique pour la banque de détail en France de BNP Paribas, « sur Nice, après un an, le constat est intéressant, mais mitigé. Il est intéressant, car des efforts ont été faits pour équiper les commerçants en TPE et les clients, et les grandes chaînes comme Leroy-Merlin ont joué le jeu. Il est mitigé, car au niveau du mobile, nous avons été en retard. » ​BNP Paribas, comme la plupart des autres banquiers proposant ce type de services, n’a été prête que début novembre. Du coup, si les 3 000 téléphones sans contact sont bien utilisés dans les transports niçois, ils servent peu pour le paiement. Ainsi, BNP Paribas n’a que 50 ​clients payant par téléphone mobile sur cette zone. D’autre part, la banque, contra​irement au Crédit Mutuel, n’est pas encore prête à franchir le pas. « ​Aujourd’hui, le mode de cartes dual n’est pas encore en renouvellement industrialisé chez nous, affirme Willy Dubost. Nous répondrons aux cas particuliers, mais nous ne sommes pas encore au déploiement national du sans contact. Aujourd’hui, c’est un problème de coût. Le sans contact coûte quelques dizaines de centimes par carte pour des volumes non industrialisés. BNP Paribas représente 10 % du marché monétique national avec 2 millions de cartes émises par an, le surcoût du sans contact est encore important. Si l’on passe à 20 millions de cartes potentiellement sans contact… » Il précise toutefois que « quand Paris passera au NFC, il est évident de BNP Paribas y passera aussi». Hélas, la ville de Paris n’a pas encore défini si l’achat de biens et de services fera partie des services NFC proposés dès le départ, ni quand elle se lancera officiellement. Pour Steve Bousabata, directeur Banking France de Wincor-Nixdorf, « techniquement, il n’y a pas de frein ou de barrière. Il faut désormais éduquer le marché et lever les freins psychologiques du consommateur. Il manque désormais une ou deux grandes enseignes pour se lancer. » À ce sujet, David Deschamps, directeur produit et solution Europe de l’Ouest pour Mastercard, constate que chez Carrefour, pour les clients porteurs d’une carte Pass, ​le paiement sans contact est désormais une réalité : « Nous avons 2,5 millions de cartes Pass/Mastercard émises par Carrefour. Ces cartes sont utilisées en mode sans contact régulièrement par 31 % des porteurs. Avec un âge moyen du porteur de carte de 52 ans, cela prouve que l’utilisation du mode sans contact ne se fait pas seulement au travers des plus jeunes. Toutes les tranches d’âges y trouvent une valeur. »

Pour Patrice Gibon, responsable de la Business Unit Identification chez NXP Caen, « en France, ce qui retient le paiement sans contact, c’est que nous avons été pionniers dans l’utilisation de la carte bancaire à puce. Il y a un frein psychologique qui fait que le paiement sans contact est vu comme moins sécurisé. » Il constate également que le modèle de lancement français est un peu particulier : « Nous avons privilégié un déploiement régional ou par ville là où d’autres pays comme la Corée du Sud (ou le Japon, NDLR) ont choisi un déploiement national du paiement. » De même, pour le paiement par téléphone mobile NFC, il y a deux stratégies possibles : soit les opérateurs s’impliquent et proposent la carte SIM comme support des applications NFC, soit la plate-forme NFC est proposée par les constructeurs de téléphone. Dans ce dernier cas, les opérateurs, mais également les développeurs d’applications tiers, peuvent décider d’utiliser ou non les possibilités NFC. « En France, nous sommes sur la première méthode. La SIM contrôle le téléphone et les applications qui s’ouvrent dessus. Ce modèle est mis à mal par des systèmes tels que l’App Store ou l’Android Market. » Or, si les rumeurs d’iPhone NFC n’ont jamais été confirmées ni infirmées par Apple, le Google Nexus S est déjà NFC et pourrait donc inspirer dès aujourd’hui des développeurs Android. Microsoft prévoirait également de doter ses téléphones sous Windows Mobile de fonctions NFC (notamment après le ralliement du constructeur Nokia à cette plate-forme). « En France, au niveau technique, nous sommes prêts depuis trois ans, insiste Patrice Gibon. Je pense qu’il est grand temps de se réveiller avant de se faire damer le pion par des industriels américains. »

Paiement par carte ou par téléphone

Reste désormais à trouver un équilibre entre paiement par carte et par téléphone mobile. Le paiement par carte dual ne pose qu’un problème de coût et de détermination des commissions. Comme le remarque Nicolas Ullmo, associé chez Logica Business Consulting, « autant le Groupement cartes bancaires peut ne pas prendre de commissions sur un test à 2 000 utilisateurs, autant il sera impossible d’en faire l’impasse sur un déploiement auprès de 65 millions de Français. » Le paiement sur téléphone mobile ajoute pour sa part une répartition financière entre la banque et l’opérateur. Pour Willy Dubost, deux méthodes de financement se dégagent : « Les opérateurs peuvent facturer soit l’installation de l’application bancaire sur la SIM, soit son utilisation, en prenant une commission. » BNP Paribas a déjà son application mobile dédiée au paiement, Kix. Si pour l’instant, elle ne coûte rien aux usagers niçois, une fois généralisée à l’ensemble de la France, elle devrait coûter entre 1 ​et 2 ​euros par mois à l’usager (en plus d’une carte dual). « À terme, il y aura d’autres fonctions : choix de la carte pour payer, changement de code et de seuil pour l’identification, possibilité d’accéder aux historiques des cartes de paiement et des transactions. » Au Crédit Mutuel, l’application mobile également gratuite pendant le pilote niçois devrait aussi être financée à terme par un abonnement autour d’un euro par mois. Si tous les détails ne sont pas encore connus, il y aura tout de même une limite maximale de 300 euros au paiement par téléphone NFC. La BPCE n’a jusqu’à présent pas choisi d’expérimenter avec le téléphone mobile. Fabrice Denèle, directeur stratégie et moyen de paiement chez BPCE, s’en explique : « Nous estimons que sans émission massive de cartes sans contact, le téléphone ne pourra pas fonctionner. Nous avons un ensemble de projets liés au téléphone qui dépasse le paiement, mais nous n’avons pas encore d’informations précises là-dessus. Nous sommes convaincus que la coexistence entre cartes et téléphones durera assez longtemps, car le succès d’un moyen de paiement repose sur la confiance. Or les clients ont mis longtemps à faire confiance à la carte, et le transfert ne sera pas instantanément. » Pour lui, la question qui se pose est plus de savoir quand et comment va se généraliser le sans contact. « Nous prévoyons une généralisation par secteur géographique et par type de commerce, avant de décider une généralisation plus importante au niveau national des cartes. Cela ne sert à rien de déployer des cartes sans contact s’il n’y a pas de commerçant pour les utiliser. » Un point de vue que confirme Charlotte Desbons, responsable marketing de Visa Europe : « Rome ne s’est pas faite en un jour, et tout le territoire ne sera pas sans contact en 2012. Marseille et Strasbourg seront démarrés d’ici à la fin de l’année. Et nous aurons une solution commerciale sur le téléphone d’ici à la fin 2011. » Tout est désormais en place techniquement et stratégiquement, il ne reste plus qu’un coup d’envoi réel et à grande échelle pour faire du paiement sans contact une réalité. Qui se jettera à l’eau en premier ?

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº736