Affaire Monte dei Paschi

Le rôle et les impacts systémiques des hedge funds et du short selling

Créé le

21.03.2016

-

Mis à jour le

25.03.2016

La banque italienne a été récemment au centre de tentatives de spéculation financière à travers la vente à découvert, au risque de menacer l'intérêt général.

La spéculation financière et les hedge funds ont été au centre du débat sur la régulation financière pendant et après la crise économique. Les régulateurs internationaux et nationaux ont largement débattu afin de mettre en place une régulation plus stricte pour ces entités et leurs stratégies d’investissement (entre autres, utilisation de l’effet de levier, vente à découvert, investissements significatifs en produits dérivés…). Souvent, les hedge funds ont été désignés comme une des causes de la crise financière, leur rôle ayant été d’amplifier et de transmettre les effets de cette crise.

Dans certains secteurs, surtout dans le contexte bancaire, il est clair que leurs stratégies d’investissement peuvent avoir un impact potentiellement systémique. Cela a été récemment démontré en Europe par l’affaire de la banque italienne Monte dei Paschi di Siena, au centre d’une tentative de spéculation financière à travers la vente à découvert. L’affaire Monte dei Paschi a fait resurgir la question de l’intérêt général, en contrepoint de l’intérêt spécifique des spéculateurs et des acteurs financiers.

Ces dernières années, l’institution de crédit italien a été au centre de chroniques judiciaires et financières pour différentes raisons.

Contrats sur des produits dérivés

Entre 2007 et 2009, pendant la crise financière, Monte dei Paschi a signé des contrats sur des produits dérivés avec Nomura et Deutsche Bank. Le contrat conclu avec la banque japonaise Nomura avait pour but de restructurer un investissement effectué par Monte dei Paschi. Cette affaire, connue sous le nom d’Alexandria, s’est conclue fin septembre 2015 par une transaction de 359 millions d’euros que Monte dei Paschi a versé à Nomura. Plus tard, la banque italienne a accusé Nomura d’avoir caché une perte de 220 millions d’euros, sachant que l’ancien CEO de Monte dei Paschi, Giuseppe Mussari, était au courant de cette perte. Comme pour le contrat Alexandria, le deuxième contrat, conclu avec Deutsche Bank (Santorini), avait également pour objectif de masquer des pertes. Il a été conclu en 2013 avec une transaction de 525 millions d’euros.

Plus récemment, en 2013, deux hedge funds basés à Londres, Odey Asset Management et Egerton Capital, et un hedge fund bostonien, Wellington Management Company, ont pris des positions spéculatives de vente à découvert sur le titre Monte dei Paschi, compte tenu de pertes significatives que la banque risquait de connaître (estimées, alors, à 720 millions d’euros pour les produits dérivés, en plus de la nécessité d’un bail-out de 3,9 milliards d’euros). À cette époque, les actions de Monte dei Paschi étaient les plus demandées au sein de l’index FTSE MIB pour la vente à découvert par les hedge funds, avec 75 % de ces actions disponibles pour le prêt – le lending pool effectué par les investisseurs institutionnels – et l’« utilisation rate for short-selling » a augmenté brusquement. Egerton a pris une position de 0.68 % de Monte Paschi le 24 janvier (Consob) et a augmenté cette position jusqu’à 0.97 % le 1er février. Au même moment, Odey a pris une position de 0,57 % le 24 janvier. Wellington Management Company détenait une position short depuis longtemps, et l’a porté à 0.7 % le 23 janvier.

Pari sur la garantie publique

En janvier 2016, un nouvel épisode s’est produit. Le titre Monte dei Paschi a perdu toute sa valeur et sa capitalisation a atteint 1,5 milliard d’euros. Suite à cette perte significative, certains hedge funds ont parié sur la garantie publique entre 18 et 20 % de la dette de Monte dei Paschi à travers Cassa Depositi e Prestiti (équivalent de la Caisse des Dépôts et Consignations). Compte tenu de l’endettement net de 24 milliards d’euros de la banque italienne et de ses 10 milliards d’euros de patrimoine net, la garantie de Cassa Depositi e Prestiti était suffisante pour couvrir seulement 4 à 5 milliards. Et compte tenu du déficit de 10 milliards d’euros, les hedge funds ont parié sur la baisse du titre et la hausse des CDS Italie : une crise ou une procédure de résolution bancaire de Monte dei Paschi aurait pu causer une augmentation du spread italien. L’interdiction des ventes à découvert imposé par la Consob, en application du règlement européen sur les ventes à découvert et les CDS, aurait pu être facilement contournée en achetant via une des banques « market maker » (et pour cela exemptée de l’interdiction sur les ventes à découvert) des options put sur le titre sur la Bourse italienne. À ce moment-là, les banques auraient dû se couvrir par les options vendues, et en qualité de « market maker », auraient eu la possibilité de vendre des titres à découvert sans subir de sanctions pour se garantir sur les options put achetées par les hedge funds.

Spread italien

Entre le 18 et le 21 janvier dernier, le titre Monte dei Paschi a enregistré une perte du 22 %, et le spread italien (différence de spread entre les obligations allemandes et les obligations italiennes) est remonté de vingt points. Mercredi 21 janvier, le Trésor a changé sa stratégie, décidant que la garantie ne sera désormais plus prêtée par Cassa Depositi e Prestiti mais directement par le Trésor (40 milliards d’euros au total à distribuer aux institutions bancaires en fonction de leurs besoins spécifiques). La conséquence a été que le scénario prévu par les hedge funds ne s’est pas réalisé et des rachats massifs de titres Monte dei Paschi ont recommencé, avec une hausse de valeur du 43 % (à 0,73, contre 0,51 le jour précédent). Si le Trésor italien n’avait pas adopté un tel changement de stratégie, les conséquences auraient pu être désastreuses pour le système bancaire et financier Italien, avec un impact macroéconomique important compte tenu du niveau du spread : même la zone euro aurait pu subir des conséquences désastreuses, et la BCE aurait probablement dû activer des mesures extraordinaires.

Ce cas est emblématique des conséquences potentiellement systémiques des choix d’un groupe d’investisseurs qui peuvent conditionner non seulement les choix des actionnaires d’une société (ce qui est légitime, compte tenu du risque de marché), mais aussi les choix et les stratégies d’un pays ou d’une région économique entière, et de ses institutions. Les effets positifs de la présence des hedge funds sur les marchés des capitaux sont évidents et bien connus (entre autres, apporter de la liquidité au marché, price discovery de la valeur des actions, et rendre les mécanismes de corporate governance plus efficaces). Néanmoins, indépendamment de l’adoption d’un angle plus ou moins libéral, la question d’un intérêt général menacé par un intérêt particulier des spéculateurs, continue à se poser et n’a pas vraiment été résolue.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº795
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