En 2011, le think tank anglais Carbon Tracker prédisait que la lutte contre le changement climatique entraînerait tôt ou tard une dévalorisation des énergies
Désormais mondialement admise, cette classification distingue risques physiques, risques de transition et risques de contentieux.
Les risques physiques sont les plus directs. Les assureurs les voient s’amplifier année après année : tempêtes, sécheresses, incendies, montée du niveau des mers… entraînent l’accroissement des sinistres et de leurs indemnisations. Mais les banques et les investisseurs sont également affectés par les désorganisations, les baisses d’activité et les destructions qui réduisent la solvabilité des emprunteurs et la valeur des actifs financiers. L’enjeu est ici double : anticiper les risques physiques pour les investissements nouveaux et adapter les investissements existants pour prévenir les dommages et les réparer au moindre coût.
Les risques de transition résultent des réformes réglementaires ou des évolutions technologiques qui accompagneront inévitablement le passage à une économie bas carbone. Schématiquement, ces risques ont pour vecteur les stranded assets. Par exemple, dans le domaine automobile, les technologies thermiques actuelles deviendront obsolètes par l’introduction d’une taxe carbone, une réglementation plus stricte de l’efficacité énergétique des moteurs ou, tout simplement, par la compétitivité croissante des véhicules électriques. Tout l’enjeu consiste à éviter des chocs de transition et des pertes de valeur brutales dans certains secteurs. On illustre le plus souvent ce risque par les difficultés soudaines du secteur charbonnier, allant jusqu’à la faillite du leader Peabody en 2016, confronté à la baisse de la demande d’énergie et à la concurrence des énergies renouvelables. Sont également concernés tous les secteurs qui dépendent fortement de l’énergie.
Les risques de contentieux, enfin, concernent les acteurs financiers qui, n’ayant pas tenu compte des risques précédents, seraient attaqués en justice pour réparation par leurs mandants, bénéficiaires, clients dont ils auraient lésé les intérêts. De telles plaintes, principalement portées par des ONG, voient déjà le jour. On assiste à un élargissement de la responsabilité des acteurs financiers, qu’elle résulte du droit jurisprudentiel anglo-saxon, à travers la notion de devoir fiduciaire, ou qu’elle soit inscrite en droit écrit.
L’empreinte carbone : une première étape
Aucun de ces risques n’est théorique et nombre d’acteurs financiers cherchent à y répondre.
Les risques physiques menacent principalement le passif du bilan des assureurs, mais leur modèle économique, basé sur l’ajustement annuel des primes, les en préserve dans une certaine mesure. Les compagnies peuvent aussi choisir de ne plus couvrir de mauvais risques. Axa a ainsi décidé en 2017 de ne plus assurer les entreprises du secteur du charbon. En Floride, certaines compagnies refusent d’assurer les immeubles de front de mer. Elles peuvent aussi recourir aux différentes techniques de transfert ou mutualisation de risques, privées ou publiques. Mais cette adaptation est possible jusqu’à un certain point et, comme l’a résumé dès mai 2015 le président d’Axa de l’époque, Henri de Castries, « un monde à 4 degrés n’est plus assurable ».
Tout comme les autres investisseurs de long terme, les assureurs sont également soumis aux risques climatiques affectant l’actif de leur bilan. Un nombre croissant d’investisseurs a commencé à évaluer les valeurs détenues en portefeuille à l’aune de ces risques. Pour ce faire, les investisseurs socialement responsables, rompus aux analyses ESG, sont les mieux armés. La compréhension des risques de transition a plus progressé que celle des risques physiques. La mesure et l’analyse de l’empreinte ou de l’intensité carbone des portefeuilles, c’est-à-dire de la quantité de carbone émise par les actifs détenus, en ont souvent constitué la première étape. Il est communément admis que réduire cette empreinte carbone devrait contribuer à réduire le risque de transition. Mais comment le faire ? Comment reconnaître les stranded assets ou les actifs qui le sont potentiellement ? Et comment en déduire des choix d’investissement ? Certains investisseurs considèrent que la liquidité des actifs et la vitesse de rotation des portefeuilles suffisent à les prémunir. C’est faire peu de cas des évolutions radicales que pourraient connaître certains secteurs tels que celui de la construction automobile, à l’instar du secteur du charbon.
Les risques qui pèsent sur les banques dans leurs activités de crédit sont de même nature, mais moins apparents, en raison de la courte durée d’une majorité des prêts. Ils sont également plus difficiles à apprécier, tout d’abord parce que les banques savent mal identifier les actifs et activités qu’elles financent par leurs prêts généraux aux entreprises. De plus, quand elles accordent des prêts spécialisés (crédit immobilier, crédit auto, financement de projets, etc.), les banques ne sont souvent pas en mesure d’évaluer la qualité des actifs financés au regard du climat.
Toutes ces contraintes montrent un défaut d’information dans la sphère financière que les régulateurs, au premier rang desquels le Conseil de stabilité financière du G20 (FSB), ont d’abord cherché à réduire en favorisant une plus grande transparence.
De la connaissance à la gestion des risques
Mandatée par le FSB en 2015, la Task Force on Climate-related Financial Disclosures (TCFD), composée d’acteurs des marchés financiers, a rendu en 2017 des recommandations précises qui constituent autant de lignes directrices pour les entreprises et pour les acteurs
Bien que les conclusions de la TCFD n’aient pas force obligatoire, certains acteurs économiques s’engagent à les appliquer volontairement. L’Union européenne est incitée à les inclure dans la réglementation par le groupe d’experts de haut niveau sur la finance durable (HLEG on sustainable
Les autorités financières peuvent-elles aller au-delà et agir directement sur l’orientation des capitaux ? Oui, estiment les banques françaises à travers leur proposition de « green
À ce jour, les autorités de supervision bancaire sont opposées au « green supporting factor » pour deux raisons principales. Tout d’abord, il reste à prouver que les actifs verts sont moins risqués que les autres. Cette preuve n’est apportée pour l’instant que pour les investissements en efficacité énergétique des bâtiments qui, en réduisant les dépenses d’énergie des emprunteurs, accroissent leur solvabilité. Elle devrait pouvoir l’être pour d’autres actifs.Les régulateurs objectent également que le cadre prudentiel issu des accords de Bâle III permet d’ores et déjà aux établissements financiers d’intégrer la dimension climatique dans leurs risques classiques : risque de crédit, de marché, etc.
Dans tous les cas, les établissements financiers, les investisseurs mais aussi les banques doivent se mettre en mesure de vérifier la qualité de leurs engagements au regard du risque climatique, ce qui suppose de s’appuyer sur une définition des actifs verts et des « stranded assets » pour les suivre dans toutes les chaines de financement. L’adoption de labels transparents et dignes de confiance en réduirait le coût.
L’approche par les risques climatiques a créé une dynamique d’action fertile au sein de l’industrie financière. Le processus n’est pas achevé, ni par les superviseurs, ni dans les établissements financiers. Mais cette approche ne suffira pas pour financer la transition au rythme requis par l’urgence climatique. Des progrès technologiques, l’instauration de prix du carbone effectifs et de politiques environnementales efficaces sont nécessaires pour imposer une baisse relative des coûts des actifs verts. Enfin, pour massifier les solutions de financement adaptées à chaque secteur de l’économie, un usage stratégique de l’argent public peut accélérer la création d’actifs verts en abaissant le coût des investissements qui ne sont pas encore rentables.