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Marchés financiers

Le retour de la volatilité : asphyxie ou nouveau souffle ?

Créé le

20.05.2019

-

Mis à jour le

12.07.2019

L’année 2018 a débuté et s’est terminée par des sauts de volatilité importants. Ce retour de la volatilité est-il un épiphénomène, un changement de régime ou un retour à la « normale » ? Cette situation de marché est-elle un signe avant-coureur de la prochaine crise ? Quel est l’impact des fondamentaux économiques et des décisions politiques sur la volatilité ? Enfin, quelles sont les conséquences pour les investisseurs ?

Dans le cadre des House of Finance Days 2019, le Master 203 – Financial markets a présenté sa conférence annuelle autour du thème du retour de la volatilité. Une table ronde a réuni Arié Assayag, fondateur et P-DG de Trajectoire Capital, Alain Durré, économiste en chef chez Goldman Sachs France, Olivier Rousseau, membre du Directoire et président du Comité de sélection des gérants au Fonds de réserve pour les retraites (FRR) ainsi que Matthew Yandle, responsable international de la Structuration chez BNP Paribas CIB. Cet événement s’est déroulé en partenariat avec la Chaire QMI (Quantitative Management Initiative), GARP (Global Association of Risk Professionals), l’association étudiante Stratefi’203, La Française Investment Solutions (LFIS) et Addstones-GFI. La table ronde a été animée par Sophie Rolland, journaliste au service Marchés des Échos.

La volatilité avait déjà fait un retour remarqué en 2018 et spécifiquement en février, en octobre et en décembre 2018. Ces sauts de volatilités ont créé une panique chez certains investisseurs et ont été synonymes d’opportunités pour d’autres. On se demande alors si le retour de la volatilité est de bon ou de mauvais augure, et pour qui. Après une année 2017 où les rendements des actifs et leur volatilité, ont été particulièrement bas, s’agit-il d’un retour à la « normale », d’un épiphénomène ou d’un changement de régime avant-coureur d’une crise à venir ?

Après avoir défini la volatilité, nous détaillerons ses déterminants et chercherons à savoir s’ils ont évolué avant d’évoquer les conséquences sur les stratégies des investisseurs.

Pas une, mais deux volatilités

Il n’y a pas une volatilité mais deux, précise Matthew Yandle. La première, historique, est l’écart-type des rendements des actifs et était utilisée dans les années 1970 pour piloter les portefeuilles. Olivier Rousseau signale que cette mesure de risque est moins pertinente aujourd’hui. Les rendements, autrefois considérés comme normaux ne le sont pas ; il faut alors regarder des mesures qui incorporent les risques extrêmes de pertes maximales d’un portefeuille : les drawdowns. La seconde volatilité est implicite et correspond au paramètre qui permet de calculer le prix des options, donc la prime de l’assurance contre le risque de variation de prix des actifs sous-jacents. Comme le spécifie Alain Durré, la volatilité mesure l’incertitude et le risque de marché. Qu’elle soit micro ou macro, elle reste une mesure statistique de l'incertitude que l'on obtient à partir de différents modèles. Arié Assayag explique qu’un gestionnaire de portefeuilles classique s’intéresse surtout à l’horizon d’investissement et au risque de variation de prix sur cet horizon, et c’est donc la volatilité historique qu’il regarde. Pour le gestionnaire alternatif, il s’agit de collecter la prime de façon répétée, il est ainsi plutôt intéressé par la volatilité implicite. Black et Scholes ont réconcilié ces deux visions en définissant la volatilité implicite comme étant l’espérance pondérée de la volatilité historique du sous-jacent. La volatilité implicite est donc interprétée comme étant une espérance sous hypothèse d’efficience des marchés. Les marchés des options se sont développés et des inefficiences sont apparues, créant des décalages entre les deux volatilités. Ces biais comportementaux permettent aux gestionnaires de portefeuilles alternatifs de tirer profit des inefficiences et de proposer de meilleures stratégies de couverture ou de rendement absolu. Pour les market makers, l’écart entre les deux volatilités, appelé « spread de volatilités », correspond à leur rémunération. Pour les structureurs, la volatilité est le paramètre principal qui va leur permettre de proposer des produits intéressants qu’ils vont optimiser en fonction du marché, comme le souligne Matthew Yandle.

L’interventionnisme des banques centrales a changé la donne

Afin d’assurer la liquidité, les banques centrales (BC) ont mené des politiques très accommodantes ces dernières années, qu’il s’agisse de taux historiquement bas, voire négatifs, ou de Quantitative Easing massifs qui ont substantiellement gonflé les bilans de ces institutions.

Arié Assayag observe que ces afflux de liquidités ont créé une protection à la baisse sur les marchés actions. Et lorsqu’en 2018, la Réserve Fédérale américaine (FED) a engagé son retour vers une normalisation de sa politique, les marchés sont devenus plus volatils et ont davantage sur-réagi aux informations. Ils se sont habitués au soutien des BC au point de ne plus pouvoir s’en passer. Alain Durré remarque que la FED a enclenché fin 2017 la réduction de la taille de son bilan avant d’y renoncer 18 mois plus tard afin de rassurer les marchés, inquiets à l’idée d’une trop forte remontée des taux. Pourtant, cette réduction bilancielle semblait légère puisqu’il aurait fallu plus de 20 ans pour revenir aux niveaux d’avant-crise.

Le constat est le même en Europe. En décembre 2018, la BCE mettait fin au Quantitative Easing poussant la volatilité des marchés à la hausse. Trois mois plus tard, la remontée des taux était reportée et le programme TLTRO III – qui vise à mettre à disposition de banques des liquidités à long terme – était annoncé.

Alain Durré explique que les BC sont devenues de facto des market makers de premier ressort, ce qui les invite à beaucoup de prudence afin d’éviter des sauts de volatilité et une déstabilisation des marchés dans un monde marqué par le post traumatisme de 2008 dans lequel les informations et rumeurs se propagent très rapidement. C’est ce qu’il s’est passé lors du premier épisode de ce retour de la volatilité l’année dernière.

L’annonce, aux États-Unis, le 2 février 2018, d’une hausse du taux horaire des salaires de 2,7 % à 2,9 % a fait passer très rapidement les taux T-Bills 10 ans de 2,6 % à 2,84 %, traduisant une anticipation d’augmentation de l’inflation et une crainte de durcissement de la politique de la FED pouvant entraîner un manque de liquidités.

Sur la partie equity, les mouvements ont été plus violents : le S&P500 perdait près de 6 % sur la semaine et le VIX passait de 17 à 37,3 sur la journée du 2 février après avoir atteint 50.

Au-delà des interventions des BC, on a observé en 2018 d’autres facteurs importants pouvant expliquer ces hausses de volatilité comme les incertitudes politiques en Europe (Brexit et budget de l’Italie), la Trade War (au rythme des tweets du président américain et des répliques chinoises) ou le ralentissement économique de la Chine. Olivier Rousseau relève d’ailleurs que cet essoufflement de l’économie chinoise est à l’origine du choc de volatilité de la fin de l’année dernière.

Nouveau paradigme, nouveaux déterminants

En Europe, le retour de la volatilité court terme s’explique aussi par les contraintes réglementaires. Pour Olivier Rousseau, le coût en capital imposé par Solvency II a poussé hors du marché des actions les investisseurs de long terme, tels que les assureurs,qui sont allés  investir dans d’autres classes d’actifs. Les institutionnels assurantiels ayant une grande capacité de résilience à la volatilité et aux chocs, leur départ a fragilisé les marchés européens. Si cette charge a récemment baissé de 39 % à 22 % pour une partie, on peut se demander si c’est suffisant pour les faire revenir sur les marchés actions.

Par ailleurs, l’information est désormais traitée et diffusée de façon extrêmement rapide souligne Matthew Yandle. À chaque nouvelle information, les actifs sont très vite ré-évalués et repassent dans un régime de faible volatilité jusqu’à la nouvelle suivante. C’est par exemple ce que l’on observe sur le marché des devises : peu de volatilité en temps normal et des sauts à chaque information importante. Il semble également exister un « filtre négatif » d’après Alain Durré. Les investisseurs auraient tendance à surinterpréter les mauvaises nouvelles (actées ou potentielles) alors que les bonnes nouvelles sont souvent négligées. Pour toutes ces raisons, il faut s’attendre à une baisse de la volatilité accompagnée de sauts et de drawdowns plus fréquents.

Le niveau de volatilité implicite de long terme est, quant à lui, déterminé par les taux, remarque Matthew Yandle. Si les taux remontent, les investisseurs se tourneront vers des investissements avec de meilleurs rendements espérés, et auront moins besoin de vendre des options. On observe d’ailleurs que le poids des produits structurés a un impact sur cette volatilité de long terme car, en vendant beaucoup d’options à des échéances relativement longues, les banques exercent une pression baissière.

En somme, lors d’un drawdown, la corrélation négative « volatilité-spot » est tangible et forte sur la volatilité court terme, mais s’efface lorsqu’on la regarde sur le long terme, où l’offre et la demande sur l’échéance sont peu impactées.

Du point de vue de la microstructure des marchés, Arié Assayag observe une distorsion pendant les heures de cotation. Pour lui, la volatilité quotidienne n’est pas nécessairement une unité de mesure pertinente et on lui préférera la volatilité mensuelle. En effet, la volatilité quotidienne peut être trompeuse puisqu’elle est biaisée par le poids du rebalancement des ETFs qui passent leurs ordres en début ou en fin de journée. Cela crée une asymétrie des flux qui a un impact sur la liquidité intraday et donc sur la volatilité.

Les investisseurs face au retour de la volatilité : je t’aime… moi non plus

Avec des taux historiquement bas et des contraintes réglementaires limitant les possibilités d’investissement, la hausse de la volatilité n’est pas une mauvaise nouvelle pour tous car elle crée de nouvelles opportunités d’investissement. C’est le cas des gérants actifs, comme le souligne Arié Assayag, par opposition aux gérants passifs, aux ETF, qui par définition subissent les mouvements du marché. Il est par exemple possible d’utiliser le skew reflétant l’« overpricing » des puts. Si l’on prend une allocation actions et qu’on la couvre en vendant 50 % de futures, on peut se dire que les investisseurs de long terme n’ont pas vocation à rester vendeurs et on vend alors un put en face des futures. Ainsi, l’investisseur est assuré de pouvoir (voire, dans ce cas, de devoir) racheter sa position si le sous-jacent passe en dessous du strike. Le roll du put a donc vocation à capter la surévaluation de la volatilité implicite des puts vendus.

Le retour de la volatilité est également positif pour les structureurs qui identifient les opportunités qui en découlent et créent des nouveaux produits.

Par ailleurs, on sait qu’en cas de drawdown, la corrélation entre les classes d’actifs classiques a tendance à sensiblement augmenter. Beaucoup d’investisseurs se sont donc tournés vers des investissements de plus en plus exotiques et de moins en moins liquides.

Pour le gestionnaire institutionnel, le retour de la volatilité est un défi face auquel il faut protéger ses positions à coût optimal. Au FRR, le choix a été d’adosser une stratégie put-spread collar à un portefeuille actions, explique Olivier Rousseau. Cela permet une exposition moindre à la baisse en abandonnant une partie de l’upside. Des ajustements tactiques peuvent être effectués en fonction des paramètres de marché et on voit alors que les investisseurs institutionnels mènent également des stratégies optionnelles afin de gérer leur exposition à la volatilité.

Ces stratégies peuvent donc être systématiques ou non et avoir une fin de couverture ou d’arbitrage.

Conclusion

En comparaison des années précédentes, on pourrait parler d’un marché actuel plus « apaisé », notamment du fait du soutien des BC, mais plus facilement « irritable », d’abord par crainte du retrait de ce soutien mais aussi en conséquence d’autres changements structurels.

Ainsi, on peut penser que le retour de la volatilité n’est pas nécessairement acté de manière durable, mais l’apparition de sauts de volatilité est désormais plus fréquente.

En creux, la volatilité est devenue plus volatile.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nºhof2019