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Pilotage

Ressources rares, risques, rentabilité : le triptyque des stratégies bancaires de demain

Créé le

19.02.2013

-

Mis à jour le

23.04.2013

Confrontés à un contexte économique et réglementaire durablement contraint, les établissements financiers doivent adopter un dispositif de pilotage intégré, fondé sur le triptyque « R3 » : Ressources rares, Risques et Rentabilité. Ce dispositif s’appuie sur un décloisonnement des missions des fonctions stratégie, risques et finance.

La crise économico-financière débutée en 2007 a marqué une véritable rupture dans les modèles de rentabilité des établissements bancaires. De 17 % à fin 2006, le ROE [1] moyen du secteur a chuté à un niveau historiquement bas de 6 % à fin 2011 (voir Encadré 1), avec des marges (résultat net/PNB) passant d’une moyenne de 25 % à 12 %.

Les établissements qui tiraient leurs surperformances des activités de banque de financement et d’investissement ont subi les plus fortes dégradations. Pour les banques présentant un profil plus équilibré, la crise a fortement freiné la croissance des activités dans la banque de détail.

Un point est acquis : l’évolution du cadre réglementaire et les contraintes macroéconomiques devraient durablement impacter les établissements, avec un niveau de ROE « normatif » qui devrait s’établir à 8-10 % pour l’ensemble du secteur au niveau européen. Pour la France, ce niveau pourrait connaître une dégradation supplémentaire, eu égard à la morosité de la conjoncture économique domestique.

Des initiatives « radicales » pour continuer à survivre

Pour faire face à cette situation, les établissements ont tous lancé des initiatives plus ou moins radicales, allant du renforcement du niveau et de la qualité de leurs fonds propres jusqu’à la réduction de la taille de leur bilan. La liquidité est devenue un enjeu majeur pour les prochaines années et la priorité donnée à la collecte de ressources bilancielles est observée depuis plus d’un an. L’éventualité d’une hausse du coût du risque liée aux incertitudes économiques (voir Encadré 2) a amené les établissements à durcir leurs politiques d’octroi et à optimiser leurs processus de recouvrement. En banque de financement et d’investissement, la réduction des portefeuilles d’actifs et le niveau de risque du secteur bancaire mettent mécaniquement sous pression les coûts de refinancement, et donc les marges d’intérêt. De son côté, la banque de détail connaît également une pression sur les tarifs (baisse des commissions) et sur les taux. Au final, une dégradation du PNB et du coefficient d’exploitation est à anticiper, alors même que les marges de manœuvre à la main des différents établissements restent limitées.

Des plans de réduction des coûts

Comme première réponse « naturelle » à cette situation, les plans de réduction des coûts annoncés par les banques se chiffrent en centaines de millions d’euros d’économies annuelles, atteignant parfois le milliard d’euros sur le périmètre domestique. Devenus quasi systématiques et permanents, on peut s’interroger sur la réelle portée de ces plans, dans la durée, en matière d’économies générées. Les leviers « classiques » ne sont pas inépuisables et l’on est en droit de se demander si l’ensemble de ces initiatives sera efficace sur le long terme, les réductions de capacité parfois drastiques sur certains métiers pouvant limiter les capacités de rebond post-crise.

Piloter une vision à long terme…

Les différents stakeholders des banques sont de plus en plus exigeants en matière de communication financière, notamment en termes de transparence et de délais. Les établissements doivent en effet être en mesure d’exprimer clairement leurs stratégies et de démontrer leur capacité à les exécuter, en cohérence avec leur profil de risque.

Ainsi, les établissements se doivent de piloter leur vision à long terme en optimisant le triptyque stratégie-risques-finance et ce, dans un contexte qui les conduit à accélérer la transformation de leur business model.

…en intégrant la planification financière et les risques

La crise aura démontré que les établissements bancaires doivent gagner en lisibilité et cohérence dans leurs décisions stratégiques et sécuriser leur exécution dans le temps. Dans cet objectif, le dispositif de pilotage « R3 » (Ressources rares, Risques, Rentabilité) permet de :

  • doter les établissements et leurs métiers d’une vision quantitative sur la rentabilité attendue, les risques encourus et les ressources sollicitées dans un horizon de temps déterminé ;
  • mener les analyses critiques d’évolution des métiers et d’anticipation des dégradations à venir ;
  • définir des scénarios de repositionnement du portefeuille d’activités à moyen ou long terme (mix métiers/produits/géographie/clients) en veillant à la bonne utilisation des ressources rares (fonds propres, liquidité) tout en respectant l’équilibre risques-rentabilité ;
  • fixer ex ante des seuils de performance économiques et des limites de risque de plus en plus affinés.
La formalisation du triptyque « R3 » permet donc d’alimenter la réflexion stratégique d’un groupe en intégrant dans sa planification financière l’ensemble des indicateurs devenus incontournables post-crise (fonds propres, liquidités, risques, rentabilité). Ces indicateurs de niveau groupe peuvent en outre être déclinés par métiers et par types de risques, afin de pouvoir encadrer de manière opérationnelle les différentes activités.

La mise en œuvre concrète de ce dispositif implique un fonctionnement plus intégré, au niveau groupe et au niveau des métiers, des trois fonctions stratégie, risques et finance. Cela présuppose, sans remettre en cause leurs missions traditionnelles, de revisiter le rôle et les responsabilités de chacune d'elles.

Une fonction stratégie plus robuste

Au-delà de son rôle classique de définition de scénarios de repositionnement du portefeuille d’activités à moyen et long terme, la fonction stratégie doit veiller à fournir des grilles de lecture plus objectivées et quantifiées, permettant de hiérarchiser les options stratégiques envisagées. Cela passe notamment par :

  • une mesure affinée des ROE attendus au niveau du groupe et de ses métiers et des ROI [2] des investissements réalisés, dans le cadre de la démarche de pilotage « R3 » ;
  • une comparaison des ROE par métier ou par territoire avec le ROE de référence du groupe ;
  • une mesure de la contribution des choix stratégiques à la diminution du risque global du groupe.
Au-delà des optimisations en cours, d’autres scénarios peuvent exister, comme un désengagement d’activités qui ne répondent pas à la logique stratégique ou, au contraire, un engagement plus offensif dans d’autres activités, une fois les liquidités générées.

La fonction risques doit étendre son périmètre

La fonction risques a vocation à étendre ses capacités de mesure et d’analyse de l’ensemble des risques en intégrant notamment les risques ALM et de liquidité, ainsi que les risques des activités d’assurance traditionnellement moins suivis en central.

Plusieurs raisons militent en faveur de cette évolution :

  • les directions des risques ont acquis, notamment suite aux évolutions réglementaires Bâle II, Bâle 2,5 et Bâle III, des capacités de modélisation et de production d’indicateurs avancés de plus en plus fortes ;
  • la production de l’ensemble des ratios prudentiels et des indicateurs est de plus en plus assurée par les équipes risques, qui ont pu fortement développer leurs capacités d’analyse et de recommandation ;
  • enfin, cette évolution permettra également une rationalisation des ressources et des systèmes.
Ce faisant, les directions des risques pourront mieux asseoir leur fonction régalienne par un pilotage plus intégré de l’ensemble des risques.

La fonction finance et son rôle accru dans la planification du capital

Outre son rôle de contrôle de gestion stratégique, la fonction finance doit mettre en valeur la planification du capital (capital planning) et de la liquidité (« liquidity planning »), insuffisamment industrialisée aujourd’hui. Cela permettra de :

  • mettre en perspective, via le capital planning, ce que lui communiquera la direction des risques au regard des aspects budgétaires et financiers ;
  • déclencher et optimiser les mesures d’ajustement financier lorsque la situation le nécessite (notamment en cas de dégradation des indicateurs ou d’atteinte de seuils d’alerte) ;
  • renforcer le pilotage stratégique « R3 » en intégrant également les inputs de la fonction stratégie (acquisitions, cessions, déploiements géographiques, etc.).

Une vision à moyen et long terme

Dans une crise macroéconomique européenne laissant entrevoir des perspectives incertaines sur un marché de plus en plus contraint par la réglementation, les établissements bancaires n’ont d’autre choix que d’adapter leurs plans stratégiques dans une vision à moyen-long terme. Ils doivent s’inscrire dans un cadre concret, afin de réconcilier leurs objectifs avec la réalité de leur profil de risque et ainsi sécuriser les décisions et leur mise en œuvre.

 

1 Return on Equity. 2 Return on investment.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº760
Notes :
1 Return on Equity.
2 Return on investment.