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Infrastructures

Quelle supervision pour les chambres de compensation ?

Créé le

14.11.2017

-

Mis à jour le

17.11.2017

Le Brexit et l’exemple de la domination de LCH ltd sur le marché européen des dérivés à Londres, mais aussi les conséquences des obligations de compensation fixées par la réglementation EMIR, renforcent aujourd’hui l’attention sur la supervision des chambres de compensation*.

Le 13 juin dernier, la Commission européenne a publié une proposition pour une centralisation accrue de la supervision des chambres de compensation européennes, ainsi que le renforcement de la supervision des institutions des pays tiers (v. Encadré).

Une préoccupation ancienne

La préoccupation concernant les chambres de compensation n’est pas nouvelle.

Le règlement EMIR de 2012 (v. Encadré) a conféré à ces infrastructures un rôle accru dans la compensation des dérivés OTC, dans le souci d’une meilleure gestion du risque lié à ces transactions, accompagné d’une obligation de transparence en imposant l’enregistrement des transactions sur produits dérivés auprès de trade repositories. Ces mesures sont encore en cours de mises en œuvre, mais elles vont concentrer à terme les risques dans les chambres de compensation, ce qui pour les plus importantes d’entre elles, leur confère un caractère d’acteur systémique. Cette perspective a conduit la Commission à encadrer l’activité de ces dernières par différentes dispositions, inclues dans le règlement EMIR, mais aussi dans des rounds de régulation ultérieurs (v. Encadré) : ont été ainsi fixées des obligations portant sur des échanges de collatéral (sous forme d’appels de marge, initiale ou de variation) auprès des membres des chambres de compensation, le niveau minimum de capitalisation de ces infrastructures, les règles sur la ségrégation et la portabilité des portefeuilles clients, ou encore les mécanismes de résolution.

Pour autant, au sein même de l’Union européenne, le statut des chambres de compensation et le dispositif de supervision qui s’y applique n’ont pas été harmonisés, et peuvent être différents d’un pays à l’autre : certaines chambres de compensation peuvent avoir un statut de banque, ce qui, sur le plan de liquidité, leur donne accès à la monnaie banque centrale, mais les oblige à respecter la réglementation bancaire, notamment prudentielle au travers de la directive CRD 4. D’autres n’ont pas ce statut, ce qui peut avoir un impact significatif sur leur profil de risques. La supervision des chambres de compensation, quant à elle, peut relever selon les pays des attributions d’autorités prudentielles et de marché, de banques centrales, d’autorités de résolution, voire d’entités gouvernementales.

À cette diversité des règles applicables aux CCP, dont l’importance dans le système financier s’est considérablement accrue, s’ajoutent désormais les enjeux soulevés par la décision du Royaume-Uni de quitter l’Union européenne.

Les enjeux du Brexit

En effet, avec le Brexit, le premier marché européen sur instruments dérivés et surtout la principale chambre de compensation pour ces instruments vont échapper aux règles européennes. LCH ltd s’est imposé comme un acteur prépondérant dans la compensation des credit default swaps et des swaps de taux d’intérêt OTC, qui totalisent 95 % du marché des dérivés OTC européens. LCH ltd traite 90 % des transactions européennes compensées sur ces deux produits et draine 81 % des variations de marge sur ces transactions, soit 261 milliards de dollars sur le 1er trimestre 2017 [1] .

Ainsi la localisation des infrastructures systémiques est devenue l’un des principaux enjeux du Brexit : dès le lendemain du référendum britannique, le président de la République française a ainsi affirmé que la compensation en euros ne pourrait rester à Londres lorsque le Royaume-Uni aurait quitté l’Union européenne. Cette préoccupation fait écho à celle bien antérieure de la BCE qui, en juillet 2011, avait publié un cadre de surveillance de l’Eurosystème statuant que les chambres de compensation traitant des montants importants en euros devaient être localisées en zone euro de façon à organiser une meilleure surveillance de la stabilité financière de la zone. Mais le Royaume-Uni avait saisi la Cour de justice européenne qui lui avait alors donné raison dans un arrêt du 4 mars 2015 [2] en annulant le cadre de surveillance fixé par la BCE, constatant que celle-ci ne disposait pas de compétences pour réglementer dans ce domaine.

La plupart des dispositions présentées dans la proposition de juin de la Commission européenne ont été prises en réaction au Brexit. Elles proposent de centraliser la supervision des chambres de compensation au sein d’un nouveau mécanisme de surveillance européen. Un comité baptisé « Executive session » serait créé au sein de l’ESMA et comprendrait un représentant de l’autorité nationale compétente de l’État d’implantation de la CCP concernée, ainsi qu’un représentant de la banque centrale d’émission du pays, des représentants de la BCE et de la Commission européenne, et surtout des membres permanents : le président de ce nouveau comité et deux directeurs indépendants qui doivent exclusivement agir dans l’intérêt global de l’Union européenne.

En outre, si les CCP non systémiques de pays tiers pourront continuer à fonctionner sous le régime actuel d’équivalence prévu par EMIR, les CCP d’importance systémiques devront se soumettre à des exigences plus strictes pour exercer dans l’Union européenne, notamment :

  • se conformer aux règles prudentielles auxquelles sont soumises les CCPs européennes ;
  • se conformer aux exigences des banques centrales de l’Union européenne en termes de liquidité, paiement et règlement ;
  • s’engager auprès de l’ESMA à autoriser les inspections sur place.
Pour autant, la Commission européenne a précisé que ces exigences seraient appliquées selon un principe de proportionnalité, conformément aux standards en la matière fixé par le Financial Stability Board : ainsi la contrepartie centrale du pays tiers peut demander à l'ESMA de comparer les exigences de l'UE applicables aux contreparties centrales avec celles du pays tiers. Si ces exigences sont comparables, l'ESMA peut alors exempter la contrepartie centrale de l'application de la disposition correspondante du règlement EMIR.

Dans le cas où la chambre de compensation d’un pays tiers ne satisferait pas aux contraintes réglementaires requises, l’ESMA pourrait lui infliger des amendes ou des astreintes, voire recommander à la Commission européenne de refuser son agrément. Dans ce cas, la Commission européenne pourrait contraindre une CCP d’un pays tiers qui présenterait un risque particulier élevé pour l’Union européenne ou pour la stabilité financière de son système (CCP systémique), de se localiser et d’être agréée au sein de l’Union européenne pour pouvoir y délivrer ses services.

Le rôle de la BCE

Pour être en capacité d’exercer un pouvoir de supervision dans le domaine de la compensation, le conseil des gouverneurs de la BCE a adopté le 23 juin 2017 une recommandation de modification des statuts de cette dernière ; son article 22 serait ainsi modifié : « La BCE et les banques centrales nationales peuvent accorder des facilités, et la BCE peut arrêter des règlements, en vue d’assurer l’efficacité et la solidité des systèmes de compensation et de paiements, et des systèmes de compensation pour les instruments financiers, au sein de l’Union et avec les pays tiers ». La BCE a précisé que « Ces pouvoirs incluent un rôle nettement accru des banques centrales d’émission dans le système de surveillance des contreparties centrales (central counterparties, CCP), notamment en ce qui concerne la reconnaissance et la surveillance des CCP d’importance systémique de pays tiers, procédant à la compensation de montants significatifs d’opérations libellées en euros ».

La portée des premières mesures

Ces dispositions seront-elles suffisantes ?

N’est-il pas illusoire de penser que la compensation des dérivés en euros puisse être contrainte de se relocaliser en zone euro ? L’activité des dérivés OTC repose sur un écosystème qui inclut de nombreuses parties prenantes : des grandes banques fonctionnant sur un large bilan, des brokers-dealers, des investisseurs institutionnels, des cabinets d’avocats, des conseillers expérimentés, un environnement réglementaire solide, des infrastructures nombreuses, un réseau informatique performant, autant d’éléments qui ne pourront pas facilement se délocaliser. Les détracteurs de cette révision du règlement EMIR affirment qu’il n’existe pas en Europe d’autre centre financier présentant les mêmes caractéristiques que Londres en la matière et qu’une réaction trop protectionniste ne peut que desservir l’Union européenne, tout en avantageant les États-Unis. Ils estiment également que la fragmentation des marchés qui résulterait d’une telle relocalisation de la compensation accroîtrait sensiblement le coût pour les opérateurs de marché.

Par ailleurs, l’ensemble des amendements à la régulation EMIR ne balise pas totalement la supervision des CCP, puisque les nouveaux pouvoirs de supervision confiés à l’ESMA sont largement orientés sur les CCP des pays tiers, alors que la supervision des CCP des États membres reste en grande partie entre les mains des autorités nationales, le rôle de l’ESMA se limitant à favoriser la convergence de la supervision. Cela contribue à maintenir une structure de surveillance fragmentée dans l’Union européenne, ce qui pourrait s’avérer dommageable en cas de résolution d’une CCP.

Enfin, les textes publiés par la Commission soulignent la concentration des risques du marché des dérivés OTC dans les chambres de compensation, ainsi que l’interconnexion accrue entre les acteurs de ce marché, mais ne reviennent pas sur les pratiques en matière de gestion des risques des Chambres de compensation concernant la mise en œuvre des techniques d’atténuation des risques prévues par EMIR, au travers des appels de marges initiales, de variations de marges ou de la participation au « default fund ».

Conclusion

Les préoccupations liées à la régulation et la supervision des chambres de compensation remontent bien avant la décision britannique de quitter l’UE, mais le Brexit remet cette question à l’ordre du jour, tant pour les infrastructures de l’Union européenne, dont la supervision reste fragmentée, que pour celles des pays tiers, avec l’exemple de LCH ltd à Londres. La Commission européenne a proposé de nouvelles règles en la matière, au travers de différents amendements au règlement EMIR, ce qui ne facilitera pas le travail des législateurs : les trois propositions de règlement notamment sont accompagnées par des études d’impact, qui comptent chacune près d’une centaine de pages…

 

1 Source : International Swaps and Derivatives Association (ISDA), Margin Survey, sept. 2017.
2 http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/ALL/?uri=CELEX%3A62011TJ0496.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº814bis
Notes :
1 Source : International Swaps and Derivatives Association (ISDA), Margin Survey, sept. 2017.
2 http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/ALL/?uri=CELEX%3A62011TJ0496.