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Financement participatif

Quel futur pour la réglementation du crowdfunding ?

Créé le

13.07.2016

-

Mis à jour le

31.08.2016

Le jeune cadre réglementaire des FinTech du financement participatif, né en 2014, connaît déjà des modifications cette année. Il devrait continuer à évoluer, alors que le secteur entend changer d’échelle.

Lors des Troisièmes Assises de la finance participative à Bercy le 29 mars 2016, Emmanuel Macron, ministre de l’Économie, de l’Industrie et du Numérique, a annoncé plusieurs évolutions de la réglementation concernant le crowdfunding. Entrés en vigueur le 1er octobre 2014, les textes régissant l’activité du secteur voient déjà leur portée étendue, signant la reconnaissance d’un développement ordonné.

Désormais, les prêteurs particuliers pourront prêter jusqu’à 2 000 euros par projet au lieu de 1 000, lorsque ces projets seront présentés par un intermédiaire en financement participatif (IFP). Les projets souhaitant lever des capitaux par l’entremise d’un conseiller en investissement participatif (CIP) ne seront plus limités à 1, mais à 2,5 millions d’euros sans obligation d’établir un prospectus. Ils pourront désormais le faire en émettant d’autres titres que les actions et les obligations simples : seront autorisés les titres participatifs et les obligations convertibles, par exemple. L’ensemble de ces évolutions implique une modification des décrets d’application de 2014.

Ordonnance du 28 avril 2016

À cela s’ajoute la rénovation d’un titre de créance oublié par beaucoup, le bon de caisse, pour le destiner au financement des entreprises sous forme de financement participatif. C’est l’objet de l’ordonnance du 28 avril 2016 pris en application de l’article 168 de la loi pour la Croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques. Remis au goût du jour en 2013 pour permettre le prêt à des petites entreprises, le bon de caisse a donc gagné ses galons d’instrument de référence pour le financement participatif sous forme de dette. Ce mérite lui vaut la dénomination nouvelle de « minibon ». Il y perd toutefois une partie de ses facultés, son émission auprès du public étant obligatoirement réalisée par l’entremise des conseillers en investissement participatif et des prestataires de services d’investissement, dans la limite de 2,5 millions d’euros par an et par projet. Le minibon devient donc régulé par l’Autorité des marchés financiers (AMF), alors même qu’il n’est pas un instrument financier et, partant, ne relève ni de la directive MIF ni de la directive Prospectus. Il conserve néanmoins la faculté d’être souscrit par des personnes morales et par des personnes physiques sans limitation de montant. Il devient désormais, pour les entreprises, le sous-jacent naturel des émissions de dette non bancaire de moins de 2,5 millions d’euros.

La finance participative française est ainsi structurée sous la forme de deux statuts permettant la commercialisation des sous-jacents utilisés : IFP pour les prêts des personnes physiques sous la tutelle de l’ACPR, CIP pour les instruments financiers et les minibons sous la tutelle de l’AMF. De surcroît, elle est soumise à une deuxième réglementation, souvent oubliée, alors qu’elle est tout aussi fondamentale pour la sécurisation des opérations : la Directive sur les services de paiement. L’ensemble des flux découlant des opérations organisées par les plateformes s’effectue en effet via des prestataires de services de paiement, ce qui impose aux plateformes un second statut : celui d’agent prestataire de services de paiement, encadré par l’ACPR. Ce statut impose un corpus de procédures encadrant notamment la connaissance du client (KYC), la lutte antiblanchiment et contre le financement du terrorisme (LCB/FT) et la stricte séparation entre les fonds détenus par les clients et les comptes d’exploitation des plates-formes.

Réglementer sans étouffer

La réglementation sur la finance participative est le fruit d’un développement empirique, l’activité elle-même s’étant développée malgré l’absence d’un cadre juridique adapté. Le législateur a pris conscience de la nécessité de la réglementer, tant la volonté des acteurs de faire émerger un mode de financement alternatif était forte et le mouvement inexorable.

Le paradoxe vient de ce que le financement par la foule est né d’un courant de désintermédiation de la vie économique et que la réponse donnée par le législateur a été de créer des intermédiaires propres à cette activité.

Quels enseignements peut-on en tirer ?

  • le premier est que les schémas juridiques traditionnels devront à terme être repensés ;
  • le second est qu’un équilibre difficile doit être trouvé entre réglementer sans étouffer, protéger sans décourager ;
  • le troisième est que les contours de cette activité en pleine expansion ne sont pas définitivement tracés et que le législateur devra inévitablement corriger une réglementation naissante pour l’adapter à la pratique.
Or, quiconque est familier du secteur financier sait que sa réglementation a tendance à se renforcer plutôt qu’à s’alléger. S’il est peu probable que la finance participative déroge à cette règle, quelles peuvent être les prochaines évolutions et dans quel cadre peuvent-elles survenir ? Deux visions peuvent ici être envisagées, non exclusives l’une de l’autre.

Harmonisation d’un cadre européen

La première défendrait une certaine stabilité pour les années à venir, le temps que le secteur se structure davantage. La régulation française est en fin de compte assez proche de celle des pays plus développés en la matière comme le Royaume-Uni qui n’a pas rencontré d’écueil significatif en dépit de la très forte croissance du secteur depuis cinq ans. Dès lors, la question porterait plutôt sur l’harmonisation d’un cadre européen, en dépit de la décision britannique de quitter l’Union européenne. Les directives DSP2 et MIF2 permettent en théorie l’émergence d’acteurs européens dans le domaine des titres financiers. Reste que les codes de la consommation, du commerce, des impôts, sans parler des approches du monopole bancaire, sont très différents d’un pays à l’autre. Ces divergences rendent complexe l’émergence d’un cadre européen en matière de prêt, puisque ce dernier est par nature exclu des règles européennes sur les instruments financiers.

La seconde vision proposerait un renforcement, au moins dans l’application des principes existants, pour tenir compte des dérives observées outre-Atlantique, notamment après les déboires de la plate-forme Lending Club, son conseil d’administration ayant dû révoquer son président après la découverte de cas de fraudes internes et de conflits d’intérêts au début du mois de mai 2016. Cette affaire doit servir de leçon pour éclairer la vraie nature des plates-formes de financement participatif, tant le terme, en vogue, semble pouvoir être aisément galvaudé pour tirer bénéfice de l’engouement qu’il suscite auprès du public et des médias. Les dysfonctionnements constatés sont la conséquence directe d’un mélange des genres au cœur même du modèle économique et financier de Lending Club. Il apparaît en effet que la société a « stocké » des prêts avant de les « revendre » en bloc à un investisseur. Or « stocker » des prêts signifie les détenir sur son bilan ; les revendre signifie les gérer soi-même. Ces deux activités sont celles respectivement d’un établissement de crédit et celle d’une société de gestion de portefeuille, pas d’une plate-forme. Elles devraient donc être régulées comme telles.

Le métier de la finance consiste essentiellement à diriger des ressources vers des emplois. Pour cela, il existe, et ce n’est pas nouveau, trois manières de procéder :

  • décider souverainement de prêter son propre argent : c’est le métier des établissements de crédit ;
  • décider souverainement de prêter l’argent de ses clients : c’est le métier des sociétés de gestion de portefeuille ;
  • décider souverainement de qui peut librement prêter/investir ou emprunter/émettre : c’est le modèle des places de marché, les systèmes multilatéraux de négociation pour les instruments financiers cotés, les plates-formes de finance participative pour les instruments non cotés.
Aucun n’est supérieur à l’autre, mais chacun doit être régulé différemment et de manière appropriée car ses règles de fonctionnement et ses alignements d’intérêt avec ses clients sont par essence différents. Le mélange de trois typologies a inéluctablement mené à des conflits d’intérêts qui sont indubitablement la source première des déboires de Lending Club. Cette affaire doit servir de repère pour envisager durablement le cadre dans lequel pourra s’exercer sereinement le développement de la finance participative en France et en Europe. Si l’on veut tirer les leçons de cet épisode malheureux, il est vraisemblable que les évolutions réglementaires futures s’inspireront des enseignements des marchés réglementés, notamment en ce qui concerne la prévention des conflits d’intérêts, la transparence des règles de marché, l’égalité d’information des investisseurs, etc.

La réglementation de la finance participative française, élaborée depuis trois ans, s’est donc à la fois élargie et renforcée, toujours en concertation avec les acteurs de la place et avec cette double préoccupation de favoriser l’essor d’un secteur solide et de protéger les intérêts des épargnants. Ses évolutions toucheront sans doute sa dimension européenne et le sain exercice du rôle de place de marché des plates-formes. Elle ne pourra toutefois pas s’exonérer d’un fait incontestable : seule une poignée d’acteurs survivront, ceux qui auront réussi à concilier exigences réglementaires, croissance commerciale et profitabilité. Car la FinTech reste de la finance.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº799