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État des lieux

Quel avenir pour les réseaux bancaires ?

Créé le

15.04.2016

-

Mis à jour le

26.05.2016

Le mouvement de fermeture d’une partie des agences bancaires entamé en 2009, qui s’explique par une conjonction de facteurs, devrait se poursuivre sur un rythme de 3 % par an d'ici 2020, selon le cabinet Sia Partners.

2009 a été l’année du point d’inflexion de la courbe du nombre d’agences en France, qui était jusque-là en progression constante. Cette année-là, Sia Partners publiait une étude qui brisait le tabou des fermetures d’agences dans les banques de détail : le cabinet de conseil en stratégie prédisait alors la fermeture de 750 à 1 100 agences entre 2009 et 2012.

Les annonces de fermetures se sont succédé depuis, et la France a perdu plus de 1 100 agences (-2,8 % du parc) entre 2008 et 2014, selon les statistiques de la Banque centrale européenne (BCE). En 2013, le pays est tombé sous le seuil des 38 000 agences bancaires (points de vente de La Banque Postale compris), et la France passera sous la barre des 37 000 agences courant 2016, en tenant compte uniquement des annonces faites par les différents réseaux.

Malgré cela, la France conserve le parc le plus dense de l’Union européenne, avec 570 agences pour 1 million d'habitants en 2014, selon la BCE. Si on y ajoute les quelque 58 640 distributeurs automatiques de billets recensés en 2014, en constante augmentation (55 000 en 2009, 20 000 en 1994), les Français ont largement de quoi entrer en contact avec leur banque. En outre, 82 % des internautes consultent régulièrement le site Internet de leur banque, et 30 % d’entre eux accèdent à leurs comptes via leurs smartphones.

La France est un des seuls pays qui présente à la fois une telle densité d’agences et autant d’utilisateurs de banque en ligne. Ce paradoxe se traduit par une tendance, irrémédiable, à la baisse de la fréquentation des agences. Les chiffres montrent une tendance nette : 1 client sur 2 se rendait plus d’une fois par mois en agence en 2010, ils ont été moins de 1 sur 5 à maintenir ce rythme en 2015.

PNB sous pression

Ce phénomène est d’autant plus sensible qu’il s’inscrit dans un contexte de baisse des revenus des réseaux et de hausse des coûts des implantations (coût du foncier, sécurité, travaux et infrastructures, frais de personnel, etc.).

Le produit net bancaire (PNB) des banques de détail en France est désormais sous pression. Il a commencé à se contracter en 2012, avec une baisse de 3,2 % sur un an. La pression est réglementaire tout d’abord, avec les impacts de la loi Macron et de MIFID2. S’y ajoute la pression du plafonnement des commissions. Cette pression est concurrentielle également, entre banques traditionnelles mais aussi avec les banques en ligne qui ont réussi à imposer un modèle de gratuité, et avec les nouveaux acteurs FinTech qui sont en train de bouleverser quasiment toutes les activités bancaires (épargne financière, paiement, agrégateurs…), même si on ne sait pas encore mesurer précisément aujourd’hui leurs impacts à venir sur le marché.

La rentabilité de la banque de détail a commencé à baisser en 2012, comme la marge nette d’intérêt, principale composante du PNB, qui avait augmenté entre 2007 et 2011 en raison d’effets opportuns liés aux conditions économiques et de la baisse des taux. Depuis 2012, la marge nette d’intérêt baisse car les taux restent durablement très bas, et elle ne pourra plus compenser les baisses de commissions comme elle l’a fait précédemment. Or ces commissions vont continuer à être fortement sous pression du fait de la réglementation notamment. Les grandes banques françaises ont toutefois réussi à limiter les dégâts en publiant des résultats 2015 en très légère hausse (+1,5 % pour le PNB de la banque de détail) par rapport à 2014.

Reconfiguration

La morosité des résultats des banques de détail traduit également la difficulté à trouver de nouveaux relais de croissance pour cette industrie en France. L’essor des canaux web et mobile ouvre de nouvelles perspectives de consommation bancaire et permet d’envisager de nouveaux schémas de distribution plus rentables, mais il est également probable qu’il accélère le mouvement des fermetures d’agences.

Enfin, la dispersion des effectifs dans de nombreuses agences entraîne des coûts de plus en plus importants. D’une part, la multiplicité des offres commerciales nécessite des efforts en termes d’animation des ventes d’autant plus importants que les déploiements doivent être de plus en plus réactifs par rapport au marché et à la concurrence. D’autre part, les exigences accrues en termes de contrôles et notamment de conformité imposent le renforcement des dispositifs ad hoc au plus près des opérations.

Tous ces facteurs militent pour une reconfiguration des réseaux. Le mouvement de réduction du nombre d’agences est enclenché, c’est une certitude. La question est de savoir comment cette tendance va évoluer.

Réseaux nationaux

On pourrait très bien imaginer que le rythme de fermeture se stabilise ou même que le nombre d’agences en France ait atteint un plancher. L’observation de ce qui se passe chez nos voisins européens peut éclairer la question. Le nombre d’agences en France a baissé « seulement » de moins de 5 % entre 2010 et 2014 (il avait cru en 2008-2009 avec l’arrivée sur le marché de La Banque Postale et de son important réseau de points de contact). Ce chiffre doit être comparé avec ceux de l’Allemagne (-11 %), du Royaume-Uni (-8 %), de l’Italie (-10 %) et de la Belgique (-16 %), sur la même période.

Au-delà de ces exemples, on constate que la France enregistre le plus faible taux de décroissance comparé à l’ensemble des pays d’Europe, alors même que ceux-ci avaient des taux de densité très inférieurs à la France. En 2010, la France comptait 1 676 habitants pour une agence quand cette densité était de 4 997 au Royaume-Uni, 2 077 en Allemagne, 1 771 en Italie et 2 400 en Belgique.

Cette comparaison avec nos voisins européens incite à penser que l’érosion est plus faible en France pour des raisons culturelles et sociales essentiellement, et pas parce que les besoins bancaires le justifient.

Un deuxième élément de réponse peut être cherché dans l’analyse de la typologie des fermetures et des annonces. En effet, aujourd’hui, la baisse provient essentiellement des grands réseaux nationaux : Société Générale, BNP Paribas et LCL sont en tête du nombre de fermetures depuis 2010 (les trois enseignes totalisant 350 fermetures d’agences entre 2010 et 2014). Dans le même temps, les mutualistes n’ont quasiment pas touché à leurs réseaux. Les Banques populaires ayant même légèrement augmenté le nombre de leurs implantations.

Or les trois réseaux nationaux précités ne représentent « que » 18 % du nombre d’agences sur le territoire. Ainsi, quand Société Générale annonce la fermeture de 20 % de son réseau à horizon 2020, cela représente environ 400 agences. Si l’ensemble des banques mutualistes (Caisses d’Épargne, Banques Populaires, Caisses Régionales de Crédit Agricole, Caisses de Crédit Mutuel) adoptait la même tendance, ce serait alors presque 4 000 agences qui disparaîtraient.

Groupes mutualistes

Bien entendu, aucune annonce n’a été faite dans ce sens et les responsables des groupes mutualistes restent très discrets sur la question. Ils se cachent d’ailleurs, à juste titre, derrière la gouvernance spécifique de ces groupes dans lesquels ces choix dépendent du directeur général ou du président de la banque ou de la caisse locale, et non pas au niveau du groupe.

En outre, les banques mutualistes ont une emprise locale souvent plus forte. Ces établissements ont une proximité avec les clients locaux et les pouvoirs publics. Cette présence est un avantage commercial évident mais c’est aussi une difficulté et un frein au redimensionnement des réseaux. Il est en effet difficile de fermer des agences dans une commune alors que vous financez la communauté de communes, le Conseil général ou le Conseil régional. C’est aussi un frein car les négociations politiques vont ralentir la mise en œuvre de cette stratégie.

Toutefois, même si les difficultés existent, les banques mutualistes finiront sans doute par suivre le mouvement. Certainement pas avec la même ampleur que la Société Générale ni avec le même rythme, mais le coût de fonctionnement de leurs petites agences et les contraintes qui leur incombent sont difficilement compatibles avec la baisse de fréquentation constatée. La caisse régionale du Crédit Agricole Ile-de-France a ainsi entamé son plan de fermeture de 50 agences, ce qui représente quand même 15 % de son réseau.

Chez les mutualistes, il ne s’agira pas d’une désertification du territoire. Mais des regroupements de plusieurs petites agences, séparées seulement de quelques kilomètres, vont s’opérer, pour augmenter les plages d’ouverture, améliorer l’accueil client et la qualité du service et de l’expertise proposés. Cette équation n’est pas possible aujourd’hui avec un réseau dans lequel le tiers des agences compte trois collaborateurs ou moins.

Un autre acteur de poids pourrait changer la donne. La Banque Postale, qui porte une partie importante des coûts du réseau des bureaux de poste, pourrait bien chercher à se concentrer afin de déployer plus facilement de l’expertise, dans une logique de baisse des coûts rendus sensibles par la morosité des résultats. Or, aujourd’hui, La Banque Postale compte plus de 17 000 points de vente, c’est-à-dire près du double de LCL, Société Générale et BNP Paribas réunis. Une réduction du maillage de cette banque aurait donc également un impact très significatif sur le nombre total d’agences en France.

Accueil partagé

Ces éléments semblent confirmer la thèse selon laquelle la réduction des réseaux va se poursuivre. Une fois ce fait acquis, la question est de savoir quels seront l’ampleur et le calendrier du mouvement.

Or les fermetures d’agences ne se pensent plus aujourd’hui qu’en termes de « géomarketing ». L’optimisation du réseau nécessite de repenser le parcours clients en agence et d’intégrer celle-ci dans une vision omnicanal. L’agence bancaire conserve en effet une place essentielle dans les nouveaux modèles de distribution, en se recentrant sur la promotion des offres (vitrine commerciale) et sur l’apport d’expertise dans les moments clés de la relation (acquisition immobilière, épargne de précaution, départ en retraite, transmission, etc.).

Cette transition, qui marque le renouveau de l’agence bancaire, se traduit par la redéfinition des parcours client et impose de revisiter les schémas d’accueil pour gagner en simplicité et en efficacité.

De fait, le métier de chargé d’accueil tend à disparaître au profit d’un modèle d’accueil partagé ou l’ensemble du personnel de l’agence s’investit dans l’accueil des clients (On compte moins de 13 000 chargés d’accueil aujourd’hui alors qu’ils étaient plus de 21 000 en 2009). Tous les collaborateurs de l’agence doivent être en mesure d’accueillir la clientèle en couvrant l’ensemble des situations clients, et ce quel que soit le mode de contact (visite en agence ou contact distant via téléphone, mail ou visioconférence).

34 000 agences en 2020

À partir de l’ensemble de ces constats, Sia Partners prévoit que les banques vont accélérer le rythme de fermetures sans toutefois aller au-delà de 3 % de fermetures par an au global. Dans ce scénario, ce serait environ 3 000 points de vente qui seraient supprimés d’ici 3 ans, ramenant leur nombre entre 34 et 35 000 agences en France à horizon 2020.

Même dans l’hypothèse la plus forte, c’est-à-dire en imaginant que la France ne compterait « plus que » 34 000 agences sur son territoire en 2020, elle n’aurait pourtant connu qu’une baisse de 12 % par rapport à 2010, loin de la tendance actuelle de ses voisins européens.

En outre, la France proposerait encore une agence pour 1 800 habitants environ, encore très en dessous de la moyenne européenne (aujourd’hui à 2 120 habitants par agence), alors que dans le même temps cette moyenne va continuer à augmenter.

Il est peu probable que le mouvement ne prenne une forme plus violente d’ici à 2020, compte tenu des freins sociaux et culturels déjà mentionnés. Le mouvement se poursuivra vraisemblablement encore progressivement, même s’il est difficile de fixer un calendrier dès aujourd’hui et de prévoir le niveau final du nombre d’agences en France sans tomber dans la science-fiction.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº796