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Des investisseurs courtisés

Prudence des assureurs, face aux produits estampillés Solva 2

Créé le

20.01.2012

-

Mis à jour le

31.01.2012

Réassureurs, banquiers et asset managers proposent de nombreux produits censés aider les assureurs à se préparer à Solvabilité 2. Ces offres sont passées au crible par les institutionnels.

D’un côté se trouvent les consultants, banquiers, réassureurs, gérants d’actifs et autres prestataires qui cherchent à montrer que leurs produits et services peuvent aider les assureurs à respecter Solvabilité 2. De l’autre, les assureurs, investisseurs très sollicités par ces demandes, souhaitent comprendre ce qu’on leur vend et rester maîtres du jeu.

Une première partie est d’ores et déjà pliée, remportée par les consultants (cabinets d’actuariat, consultants en organisation…). Pour ces prestataires de services, les jeux sont faits et le bilan Solva 2 est largement positif : il a occasionné moult missions (en réorganisation de la gouvernance, etc.). Mais une nouvelle partie demeure ouverte : quels produits vont profiter de Solvabilité 2 ? Réassureurs, BFI et sociétés de gestion sont sur les rangs pour tenter de convaincre les assureurs d’investir dans leurs solutions « Solvency 2 compliant ». Mais qu’en pensent les institutionnels ?

Réassurance : des avantages et des inconvénients

Les réassureurs estiment que Solvabilité 2 peut constituer une opportunité pour leur métier. En effet, en achetant un contrat de réassurance, l’assureur cède une partie de ses risques et réalise ainsi une économie de fonds propres. Ce mécanisme fonctionne mieux sous Solvabilité 2 que dans le régime prudentiel antérieur, ce que font valoir les réassureurs (voir l’interview de Ivo Hux de Swiss Re).

L’argument semble fondé, à en croire l’analyse de Dominique Godet qui dirige la mutuelle Sham : « La réassurance en quote-part [1] constitue à mes yeux une solution intéressante dans un contexte de préparation à Solvabilité 2 et nous y avons recours. » Il souligne toutefois les inconvénients : « En cédant au réassureur par exemple, 45 % de nos contrats en assurance RCM (responsabilité civile médicale), nous nous privons également de 45 % des bénéfices qui pourraient venir alimenter nos fonds propres. »

L’avis est également mesuré à l’ UMR [2] où le directeur des investissements, Vincent Ribuot, estime que la réassurance est une piste intéressante, même s’il pondère ses propos en rappelant qu'« elle induit aussi un risque de contrepartie, donc il faudra diversifier et recourir à plusieurs réassureurs. »

Autre inconvénient: le réassureur, avant d’accepter d’assumer les risques d’un assureur, cherche à connaître son fonctionnement économique (ses tarifs, sa façon de gérer…) et cette intrusion n’est pas toujours appréciée par les assureurs.

Enfin, le contrat de réassurance représente un coût que l’assureur compare au bénéfice en termes d’économies de fonds propre. La partie n’est donc pas gagnée. Le groupe MACSF, par exemple, juge qu’il n’a pas besoin de la réassurance, en l’état, pour faire face à ses besoins en capitaux. « Nous ne pensons pas devoir recourir davantage à la réassurance quand Solvabilité2 sera en vigueur », affirme Marcel Kahn, directeur général du groupe. Pourtant, « les réassureurs sont très actifs, poursuit-il. Certains viennent nous voir avec des modèles très élaborés qui ont pour objectif de nous démontrer que la réassurance peut résoudre les questions d’adéquation Actif-Passif sous Solvabilité 2. Mais pour cela, il faut leur faire part de nos données, ce que nous n’avons pas fait. Nous sommes autonomes. »

Les réassureurs proposent généralement de prendre en charge des risques situés au passif des assureurs. Or Solvabilité2 demande aux organismes de maîtriser également les risques que présentent leurs actifs financiers. Dans ce domaine, les acteurs les plus présents sont les banques et les gérants d’actifs.

Limiter le coût des stratégies optionnelles

Proposées par les BFI, et dans une moindre mesure par les asset managers, les options de couverture des risques permettent de réduire l’exigence de fonds propres (voir l’interview de Société Générale et l’article de CPR AM).

La compagnie Axa France n’hésite pas à recourir aux produits vendus par les BFI, mais dans des conditions bien particulières. « Nous sommes très attentifs aux travaux des banquiers de BFI sur les problématiques Solvabilité 2, car ils ont beaucoup d’idées et de solides équipes de recherche, témoigne Odette Césari, directrice des investissements d’AXA France. Les BFI proposent souvent des produits “packagés”, par exemple un portefeuille actions qui, grâce à une combinaison d’options plus ou moins sophistiquées, voit son risque de baisse réduit ce qui diminue l’exigence en capital à mettre en face. Derrière ce type de produits se cachent souvent des marges importantes. Donc, nous décortiquons chaque produit packagé jusqu’à identifier les options que nous demandons à la BFI de nous vendre séparément. Acheté brique par brique, le schéma est beaucoup moins coûteux, notamment grâce à la mise en concurrence des banques sur chaque option. » Outre l’effet sur le prix, cette décomposition permet de comprendre parfaitement le montage.

Mais certains investisseurs repoussent purement et simplement les offres bancaires. Ainsi, Vincent Ribuot affirme qu’il préfère se tenir à l’écart des produits structurés ou packagés contenant des options : « Je ne crois pas à ces produits qui non seulement coûtent cher mais en plus induisent un risque de contrepartie ».

Même volonté de rester à l’écart des BFI de la part de Sham. Cette mutuelle a étudié des scénarios où un risque important se matérialise sur ses actifs. Elle souhaite construire elle-même (avec l’aide d’un consultant en finance) des stratégies de couverture, « mais nous ne les avons pas encore mises en œuvre car aujourd’hui tout le monde cherche à se protéger contre les mêmes risques (baisse brutale du marché actions, hausse brutale des taux obligataires ), ce qui rend les couvertures très chères ». Pour rendre ce coût plus supportable, Société générale (voir Interview) et CPR AM (lire l’article) proposent aux assureurs des solutions.

Les sociétés de gestion coopèrent

Les asset managers proposent eux aussi des stratégies optionnelles (voir CPR AM) mais, selon Odette Césari, ils n’ont pas les moyens de fournir ces solutions car « ils ne sont pas banquiers et ne peuvent donc pas nous vendre les options séparément ».

Sur les produits structurés également, les asset managers proposent des offres proches de celles des BFI. Ces produits financiers effrayent certains investisseurs : « Des banques ou des asset managers nous proposent des produits structurés qui sont moins consommateurs en fonds propres que les actifs sous-jacents, décrit Dominique Godet. Ce type de produits ne m’intéresse pas car le risque intrinsèque demeure. Si un sous-jacent me coûte trop cher en fonds propres, je préfère y renoncer. »

Sur leur terrain plus traditionnel (gestion taux, actions, etc.), les sociétés d’asset management se sont, là aussi, mises au diapason de Solvabilité 2. Selon Vincent Ribuot, « il y a une vraie coopération entre les sociétés de gestion et les investisseurs. Elles nous aident à calculer le besoin en capital induit par un investissement dans tel ou tel fonds. »

Les asset managers déploient d’importants efforts pour, au minimum, compenser la baisse de revenus qu’induit le passage à Solvabilité 2 qui dissuade d’investir en actions (les investisseurs remplacent ces actifs par des obligations qui génèrent moins de frais de gestion). Pour reconquérir le terrain perdu (et peut-être aller au-delà), les asset managers mobilisent leur recherche afin d’élaborer des fonds qui répondent à la logique Solvabilité 2 en tenant compte de la consommation en capital qu’ils génèrent et non plus seulement du ratio rendement/risque. Ils préconisent aussi certaines classes d’actifs, telles que les obligations convertibles (OC) par exemple. Ces actifs hybrides présentent bien des vertus (voir CPR AM). « Le seul problème est l’étroitesse du marché des OC », commente un assureur. En effet, si tous les investisseurs s’y intéressent, ils ne trouveront pas assez de ces actifs sur le marché.

Private equity : diversification et performance

À première vue, Solvabilité 2 semble désastreuse pour l’offre des sociétés de capital investissement, cette classe d’actifs étant très coûteuse en fonds propres. En réalité, à petite dose, les assureurs sont preneurs. Odette Césari explique que « le Private equity procure de la diversification, bénéfique sur le plan économique mais aussi prudentiel, et surtout de bonnes performances ». L’assureur investit intégralement au travers de Axa Private Equity pour accéder à cette classe d’actifs.

Les institutionnels sont donc attentifs au discours des asset managers ; parmi eux, Claire Bourgeois, responsable de la gestion actif-passif au sein de Groupama AM (Asset Management) explique : « En introduisant une petite dose d’actions non-cotées dans un fonds actions grandes capitalisations, l’effet est très intéressant sur un plan prudentiel sous Solvabilité 2. Nous avons calculé des portefeuilles optimaux en termes de capital réglementaire. Par exemple, le coût en capital d’un fonds actions est de 39 % ; en introduisant jusqu’à 17 % de non-coté, classe d’actifs qui est chargée à 49 %, le besoin en capital de l’ensemble du portefeuille demeure à 39% et peut même être abaissé. »

Pour l’ensemble de ces prestataires, les jeux ne sont pas faits. Bien des décisions d’investissement sont en suspens, étant donné que la version finale de Solvabilité 2 se fait attendre. Quant aux offres, elles sont elles aussi susceptibles d’évoluer en fonction des textes réglementaires.

1 La réassurance en quote-part entre dans la catégorie de la réassurance proportionnelle qui se distingue de la réassurance non-proportionnelle : cette dernière permet à l’assureur de céder uniquement les risques extrêmes ; avec la réassurance proportionnelle l’assureur cède une partie -par exemple 40%- d’un portefeuille - par exemple l’assurance automobile. 2 Union Mutualiste Retraite.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº745
Notes :
1 La réassurance en quote-part entre dans la catégorie de la réassurance proportionnelle qui se distingue de la réassurance non-proportionnelle : cette dernière permet à l’assureur de céder uniquement les risques extrêmes ; avec la réassurance proportionnelle l’assureur cède une partie -par exemple 40%- d’un portefeuille - par exemple l’assurance automobile.
2 Union Mutualiste Retraite.