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Structure des banques

La proposition de Michel Barnier mécontente les banques françaises

Créé le

14.02.2014

-

Mis à jour le

07.03.2014

Déception parmi les banquiers français. Ils pensaient que la loi bancaire votée en 2013 par l'Hexagone et sa sœur jumelle adoptée en Allemagne donneraient le « la » de la réglementation européenne sur la structure des banques, le principal enjeu étant pour eux de maintenir la tenue de marché dans l'entité qui reçoit les dépôts ; or ils jugent la proposition de Michel Barnier (présenté le 29 janvier) trop éloignée de l'initiative franco-allemande et trop proche de Liikanen, qui préconise la séparation des activités (voir Interview).

À mi-chemin entre ces deux approches, le texte de Michel Barnier est également critiqué par les partisans de la séparation, comme l'association Finance Watch. Celle-ci regrette que, dans cette proposition, la décision de séparation ne puisse être prise qu'en cas de menace pour la stabilité financière. Et elle ajoute : « qui plus est, la décision de séparer ou non revient aux autorités compétentes, alors que les principaux États membres ont déjà exprimé leur soutien inconditionnel à leurs champions nationaux trop gros pour faire faillite, manifestant leur opposition à l'idée même de séparation. Par conséquent, il est extrêmement difficile à l'heure actuelle de prédire si oui ou non la législation proposée parviendra à remplir son objectif de séparation des banques “too big to fail”. »

Quant au gouverneur de la Banque de France, Christian Noyer, il a bruyamment fait connaître sa position – « Les idées qui ont été mises sur la table par le Commissaire Barnier sont […] irresponsables » –, avant d'expliquer, dans une tribune parue dans Le Monde, que « la séparation des activités, y compris sous forme de filialisation, telle que proposée par la Commission européenne conduirait probablement à de très grosses difficultés de financements pour nos entreprises ».

Si la tenue de marché est au centre des préoccupations, bien d'autres activités de marché sont concernées par la séparation, comme la titrisation hypothécaire ou les investissements dans des produits dérivés complexes. Dans la proposition Barnier, les superviseurs peuvent décider de séparer certains pans de ces activités. Pour Anatole de la Brosse de Sia Partners, cabinet de conseil en management dans le secteur financier, « cette règle crée une insécurité difficilement compatible avec le pilotage d'une banque qui nécessite une certaine visibilité. De plus, si les exigences de capitalisation de la filiale sont élevées, cette mesure de séparation pourrait signer l'arrêt de mort de la Place de Paris et ouvrir un boulevard aux banques américaines. »

En outre, Michel Barnier suggère d'introduire en Europe la règle Volcker, c'est-à-dire le bannissement du trading pour compte propre. La Commission européenne indique que cette interdiction s'appliquera à toutes les banques européennes, y compris anglaises. Cela méritait d'être précisé car la règle sur la séparation n'aura pas à s'appliquer outre-Manche si la règle Vickers entre en vigueur. S.G.

Interview de Laurent Quignon, Responsable Économie bancaire chez BNP Paribas

« Le principe retenu a priori est celui de la filialisation »

Dans la proposition de Michel Barnier, la filialisation de la tenue de marché n'est pas systématique… Ce texte se rapproche-t-il de la loi bancaire française ?

Les deux textes sont très différents. Dans la loi française, la norme est le maintien de la tenue de marché dans l'entité qui reçoit également les dépôts. Si cette activité dépasse un certain seuil, une filialisation est envisagée. Dans la proposition de la Commission européenne, le fonctionnement est inversé : la rédaction du texte montre bien que le principe retenu a priori est celui de la filialisation pour les établissements dits « à caractère systémique », concernés par ce projet. C'est seulement si cette activité n'excède pas certaines limites « calculées à partir des données utilisées dans le cadre de la supervision » que l'établissement pourra échapper à la séparation.

Ces seuils seront peut-être élevés !

Peut-être, ou au contraire excessivement bas. Le risque zéro n'existe pas et vouloir contenir toute menace pour la stabilité financière peut conduire à des solutions ayant des conséquences dommageables pour le financement de l'économie. La réglementation bancaire doit être le fruit d'un équilibre entre ces deux objectifs. Selon la priorité retenue, cette inconnue peut tout aussi bien constituer un espoir qu'un risque.

La séparation de la tenue de marché est-elle le seul reproche que vous faites à ce texte?

D'autres activités sont concernées par la séparation, notamment les dérivés qui sont indissociables des activités de financement de l'économie et répondent le plus souvent à des besoins de couverture (si nombre de ces instruments ne sont pas comptablement classés en tant que « dérivés de couverture » au sens des normes IAS, c'est en raison de la définition excessivement restrictive de cette catégorie). De plus, les activités pour compte propre sont strictement interdites. Ce principe, inspiré de la règle Volcker, ne sera toutefois guère contraignant pour les banques françaises qui effectuent peu de proprietary trading.

Comparée à la proposition Liikanen, celle de la Commission n'est-elle pas moins radicale ?

Le projet de règlement Barnier n'est pas allé jusqu'à reprendre fidèlement le rapport Liikanen qui propose de séparer systématiquement toutes les activités de marché dont le market making puisque des exceptions au principe sont prévues. Il reste à voir selon quels critères. Mais nous pouvions raisonnablement espérer une proposition plus équilibrée, plus proche des initiatives française et allemande.

Pourquoi est-il si important de maintenir la tenue de marché dans la partie qui reçoit les dépôts ?

Si la tenue de marché est filialisée, elle sera plus coûteuse en fonds propres et donc probablement moins pratiquée. Or cette activité est complémentaire des émissions sur le marché primaire obligataire que dirigent les banques pour le compte des émetteurs. Si la liquidité d'un titre obligataire n'est pas assurée dans de bonnes conditions, les investisseurs seront moins enclins à souscrire aux émissions, au moment précis où les contraintes prudentielles de Bâle III encouragent la désintermédiation des financements, c'est-à-dire la substitution de financements de marché aux financements bancaires pour les grandes entreprises. Ceci illustre bien le fait que la superposition de règles d'origines différentes aboutit à des incohérences.

Propos recueillis le 12 février par Sophie Gauvent

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº770