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BCE

Procédurière Allemagne

Créé le

24.06.2015

-

Mis à jour le

29.06.2015

Alors que la plainte contre le programme OMT de la BCE vient à peine d’être jugée par la Cour de Justice de l’Union européenne, une autre plainte émanant d’outre-Rhin s’en prend au Quantitative Easing de la banque centrale. Et certaines Landesbank vont elles aussi devant les tribunaux pour contester la supervision de la BCE. Les commentaires de Francesco Martucci, professeur à l’Université Panthéon-Assas (Paris II).

Dans son arrêt du 16 juin 2015, la Cour de Justice de l’Union européenne a-t-elle suivi l’avis de l'avocat général [1] ?

Globalement, la Cour a suivi l’avocat général puisqu’elle déclare valide le programme OMT de la BCE. Si l’avocat général a davantage insisté sur la nécessité pour la BCE de respecter le principe de proportionnalité  lorsque celle-ci adopte des mesures non conventionnelles, la Cour est demeurée plus évasive sur les contours de cette proportionnalité. Toutefois, elle reprend l’argumentation de l’avocat général sur la notion de laps de temps à respecter entre l’émission de titres sur le marché primaire et les achats par la BCE sur le marché secondaire.

Comment va maintenant réagir Karlsruhe [2] ?

La décision rendue par la Cour de justice de l’Union européenne est un arrêt. La Cour constitutionnelle de Karlsruhe – qui a été saisie par des citoyens allemands – ne pourra plus affirmer que l’OMT est contraire au droit de l’Union. Toutefois, quand elle a posé la question préjudicielle, la Cour de Karlsruhe a affirmé que même si la Cour de Justice de l’Union européenne validait l'OMT, elle se réservait le droit d’apprécier si l’OMT respecte l’identité constitutionnelle allemande. À mon sens, il est peu probable que Karlsruhe poursuive son combat contre l’OMT. Cela déclencherait une guerre des juges malvenue et remettrait en question les rapports entre le droit de l’Union et le droit allemand.

Que pensez-vous de la nouvelle plainte émanant d’Allemagne contre le Quantitative Easing (QE) lancé par la BCE ?

Substantiellement, le QE est analogue au programme « OMT ». Je vois mal comment la Cour de Karlsruhe peut s’écarter de la solution de l’arrêt OMT. Elle pourrait le cas échéant poser une nouvelle question à la Cour de justice, mais celle-ci peut très bien la déclarer irrecevable, estimant avoir déjà répondu à la question.

Certaines Landesbanks n’ont-elles pas elles aussi engagé un recours, cette fois devant le Tribunal de l’Union ?

Lors de la négociation du Mécanisme de surveillance unique (MSU) de l’Union bancaire, l’Allemagne a fait en sorte que les banques de petite taille – comme il en existe beaucoup outre-Rhin – échappent à la supervision unique. Malgré cela, certaines banques d’outre-Rhin doivent subir la supervision de la BCE alors qu’elles ne l’acceptent pas.

Pour établir la liste des banques supervisées par la banque centrale, le règlement général du MSU de 2013 vise les établissements « les plus significatifs ». Mais ce qui est contesté, ce sont les critères choisis par la BCE pour sélectionner les établissements. Là encore la logique est d’affirmer que la BCE outrepasse ses pouvoirs. Une autre question est soulevée : celle des redevances de surveillance qui peuvent être perçues comme une forme d’impôt ou comme une redevance pour services rendus dont les modalités de calcul peuvent être mises en cause.

L’Allemagne est-elle procédurière ?

Du fait de la tradition fédérale allemande, lorsqu’un conflit ne se résout pas politiquement entre autorités, alors les partis vont devant le juge constitutionnel. De plus, la protection de droits fondamentaux (droit de propriété, liberté d’entreprendre…) est consubstantielle à la tradition allemande. C’est bien cette protection qui est à l’origine de l’affaire OMT et des Landesbank.

1 Conclusions commentées dans Revue Banque de février 2015. 2 Tout en émettant de fortes réserves à l’égard de l’OMT, la Cour de Karlsruhe avait demandé à la Cour Européenne – au travers d’une question préjudicielle – de donner son avis sur ce dispositif.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº786
Notes :
1 Conclusions commentées dans Revue Banque de février 2015.
2 Tout en émettant de fortes réserves à l’égard de l’OMT, la Cour de Karlsruhe avait demandé à la Cour Européenne – au travers d’une question préjudicielle – de donner son avis sur ce dispositif.