Square

Supervision Review and Evaluation Process (SREP) et BCE

Pour une meilleure intégration des processus de pilotage dans les décisions stratégiques

Créé le

22.05.2017

-

Mis à jour le

29.06.2017

Les processus de surveillance et d'évaluation prudentielle (Supervision Review and Evaluation Process – SREP), menés en 2015 et 2016, montrent des écarts significatifs dans la mise en œuvre des dispositifs d’appétence au risque (Risk Appetite Framework), d’évaluation de l’adéquation du capital interne (ICAAP) et d’évaluation de l’adéquation de la liquidité interne (ILAAP).

 

Suite à la mise en place effective du Mécanisme de supervision unique (MSU), 125 banques sont supervisées en direct par la Banque Centrale Européenne (BCE). Depuis 2015, elles sont soumises à un exercice annuel appelé SREP (Supervision Review and Evaluation Process) dont l’objectif est d’effectuer une évaluation approfondie des quatre thématiques suivantes : le modèle d’activité, la gouvernance et la gestion des risques, le risque pesant sur le capital et le risque de liquidité et de financement. Sans rentrer dans le détail du contenu de ces quatre composantes, le SREP a impliqué pour chaque institution la refonte et le renforcement de l’interaction des processus stratégiques suivants : le Risk Appetite Framework (RAF), l’Internal Capital Adequacy Assessment Process (ICAAP) et l’Internal Liquidity Adequacy Assessment Process (ILAAP).

Les deux premiers exercices SREP, réalisés en 2015 et 2016, ont démontré des écarts significatifs en matière de supervision prudentielle entre les différents pays de la zone euro. Le recensement de ces disparités a notamment mis en lumière des inégalités sur les dispositifs RAF, ICAAP et ILAAP, par exemple en matière de gouvernance et pilotage. Depuis près de deux ans, toutes les institutions se mettent en conformité avec les attentes de la BCE qui, de son côté, les précise de plus en plus.

Une clarification de la BCE en matière de conformité prudentielle

Le 15 décembre 2016, la BCE a publié les priorités de supervision du MSU pour 2017 en réaffirmant de nouveau l’importance (comme c’était le cas pour les priorités du MSU en 2016) de la mise en œuvre et de l’harmonisation des processus ICAAP et ILAAP au sein des banques de la zone euro.

Plus récemment, le 20 février dernier, la BCE a publié pour la première fois un guide pluriannuel sur l’ICAAP et l’ILAAP, afin de clarifier de manière plus détaillée ses attentes en s’appuyant sur le constat de différentes lacunes au cours de ces dernières années. Ce guide comprend sept principes détaillés tant pour l’ICAAP que pour l’ILAAP. En attente de commentaires des banques jusqu’au 31 mai 2017, la BCE publiera alors une version consultative de ce guide, début janvier 2018 et mis en œuvre début 2019 pour toutes les banques de la zone euro.

Dans ce guide, l’ICAAP est présenté comme un processus qui « vise à préserver en permanence la viabilité de l’établissement par la réalisation d’évaluations à court et moyen termes suivant différentes approches ». D’autres éléments mis en avant manifestent la volonté de la BCE de fixer des exigences encore plus élevées. Par exemple, la proposition faite aux banques de développer deux approches court et moyen terme (respectivement sur des horizons 1 et 3 ans) d’évaluation de l’adéquation en capital demeure une nouvelle exigence forte. En particulier, la nécessité de redévelopper des approches dites « de capital interne » (voire économique), abandonnée en France depuis de nombreuses années, représente un réel enjeu pour les banques françaises. Enfin, d’autres attentes fortes ressortent, comme la production de reportings ICAAP à fréquence trimestrielle (au minimum), une meilleure gouvernance interne de l’ICAAP et une amélioration du rôle de l’ICAAP dans l’évaluation de l’appétence au risque et à la calibration des seuils de tolérance.

Le guide pluriannuel du MSU clarifie et renforce également les attentes de la BCE pour le processus d’évaluation du risque de liquidité et de financement. En effet, l’ILAAP, quant à lui, « vise à préserver en permanence la viabilité de l’établissement en garantissant une offre adéquate de liquidité et la stabilité du financement à court et moyen terme ». Il en ressort des attentes récurrentes en matière de gouvernance, d’identification des risques à prendre en compte, de cohérence avec l’appétence au risque, etc. D’autres éléments sont particulièrement mis en lumière comme la nécessité de développer un programme global de stress-testing, incluant des scénarios adverses, une qualité de composants constituant le coussin de liquidité et une diversification des sources de financement.

Des axes d’amélioration

Les deux premiers exercices de soumissions de l’ICAAP et l’ILAAP ont fait ressortir un certain nombre d’axes d’amélioration pour toutes les banques de la zone euro.

Dans un premier temps, il a été souligné de manière quasi systématique des faiblesses en matière de gouvernance et en particulier un manque d’implication du senior management. En effet, le rôle de la direction générale est particulièrement suivi, notamment dans le challenge des résultats de ces processus et de la façon dont ils s’insèrent dans les décisions stratégiques à travers un certain nombre d’indicateurs de pilotage.

Dans un deuxième temps, un manque de cohérence et d’intégration de ces processus stratégiques a été identifié, que ce soit au travers d’un alignement des méthodologies, des scénarios, et de la gouvernance interne, ou de la calibration des seuils de tolérance.

Dans un troisième temps, les difficultés opérationnelles de ces institutions à projeter leur bilan, ainsi que diverses métriques selon plusieurs scénarios, sont aussi ressorties. En particulier, la BCE attend que les banques soient en capacité de produire une trajectoire de solvabilité et un plan financement sur un horizon pluriannuel et selon plusieurs hypothèses (notamment à travers des stress-tests), et ce en cohérence avec leurs modèles d’activité et selon différents niveaux de granularité.

Enfin, un certain nombre de thèmes récurrents reviennent, en matière d’identification et de quantification des risques, d’industrialisation des infrastructures et de validation indépendante, notamment à travers des revues menées par l’inspection générale.

La maturité des processus ICAAP et ILAAP au sein des banques de la zone euro

Bien que la nature et la typologie des écarts évoqués plus haut convergent, il existe des enjeux liés à l’ICAAP et à l’ILAAP spécifiques à chaque pays. Cet héritage s’est construit par la différence de structure du secteur bancaire de chaque pays, du bilan bancaire de ces institutions et enfin par le degré de maturité de celles-ci quant à l’ICAAP et l’ILAAP.

Par exemple, les banques néerlandaises font face à des défis liés à la quantification du risque de crédit, en particulier vu le poids des « Low Default Portfolio » ( LDP – portefeuille avec taux de défaut faible) au sein de leur bilan. En effet, ces portefeuilles sont parfois difficiles à quantifier en modèle interne au titre du pilier 1. Concernant l'ILAAP, il s’agit d’un processus introduit aux Pays-Bas depuis de nombreuses années et relativement mature au sein des institutions néerlandaises. Aujourd’hui, les principaux enjeux résident dans la nécessité d’industrialiser ce processus à travers la mise en place d’infrastructures robustes pour renforcer le processus et la gestion du risque de liquidité « intraday ».

En Belgique, l’ICAAP et les modèles de capital économique s’y associant sont déjà mis en œuvre depuis de nombreuses années. Malgré une certaine maturité de ce processus, des enjeux demeurent sur le lien entre le RAF et le modèle d’activité, mais aussi sur le rôle et l’investissement de la direction générale dans celui-ci.

En Allemagne, le superviseur local (BaFin) avait insisté, dès les accords de Bâle II, sur la mise en place effective d’un dispositif ICAAP robuste, avant de devenir par la suite un instrument clé de supervision. De ce point de vue, les banques allemandes sont donc déjà en ligne avec les attentes de la BCE. Par contre, les travaux restant à mener sur l’ILAAP et sur le lien et la cohérence de ces processus stratégiques avec le modèle d’activité de l’institution restent encore significatifs et nécessiteront encore beaucoup de travail avant de satisfaire les attentes du superviseur unique.

La maturité des processus ICAAP et ILAAP au sein des banques françaises

En France, la mise en place du MSU a entraîné une modification significative des pratiques de supervision par rapport à celles pratiquées sous l'égide de l'ACPR, l'autorité de contrôle prudentielle et de résolution. En pratique, cela demeure un réel challenge pour les banques françaises contraintes d’appréhender une nouvelle philosophie de supervision prudentielle impliquant pour celles-ci une phase d’adaptation, et non sans défi en pratique.

Les premiers exercices SREP et autres revues thématiques plus spécifiques menés au cours des deux dernières années ont démontré comment les banques françaises avaient délaissé le pilier 2 au profit du pilier 1, par rapport à leurs pairs de la zone euro. L’exemple le plus frappant est probablement celui de l’ICAAP, complètement abandonné par une grande partie des acteurs et le lien très partiel entre le modèle d’activité et les processus stratégiques de pilotage (notamment le RAF et l’ICAAP), que ce soit en termes de gouvernance, de pilotage et d’intégration aux prises de décisions stratégiques.

D’une certaine façon, ce constat peut trouver ses origines dans la première vague de mise en œuvre des accords de Bâle II qui a débuté en 2007. À ce moment-là, l’exigence quantitative au titre du pilier 1 – en particulier la quête d’économie potentielle en fonds propres induite par la mise place de modèles internes en particulier au titre du risque de crédit (IRBF, IRBA), canalisait toute l’attention des banques mais aussi du superviseur.

Les initiatives au titre du pilier 2 à travers la mise en œuvre de modèles de capital économique ont été très vite mises de côté, voire complètement abandonnées. En effet, la crise financière, la mise en place de Bâle 2.5 et l’arrivée des accords de Bâle III entraînant un renforcement de la quantité et de la qualité des fonds propres ont successivement favorisé cette négligence corroborée par le fait que les fonds propres réglementaires étaient in fine beaucoup plus élevés que les fonds propres économiques.

Les constats récents démontrent cependant un changement de paradigme, résultant des nouvelles exigences associées à l’ICAAP et ILAAP. La constitution et l’envoi, à fréquence annuelle, de dossiers ICAAP et ILAAP représentent une réelle nouveauté pour les banques françaises. Au-delà de la volumétrie documentaire très importante, un certain nombre de travaux doivent être conduits chaque année et nous constatons que de nombreux axes d’amélioration demeurent. Par exemple, l'exercice d’identification des risques réalisé en amont de l’ICAAP et de l’ILAAP est souvent perçu comme un simple exercice de cartographie au lieu de ce qui doit être réalisé, à savoir un vrai processus d’identification et d’analyse de la matérialité de tous les risques de la banque. Bien que les attentes de la BCE se clarifient au fil de l’eau, le périmètre de risques à prendre en compte au titre du pilier 2, et surtout leur « capitalisation » interne, fait encore débat en interne.

Également, l’idée de redévelopper des méthodologies internes (« économiques ») de quantification de certains risques pilier 2 (voire de risques pilier 1) fait son chemin ; de nombreux arbitrages demeurent.

Finalement, la gouvernance, l’alignement et l’interconnexion entre les processus stratégiques de la banque en matière de méthodologies et de processus restent encore très partiels.

Quelles sont les prochaines étapes ?

Comme mentionné dans les priorités du MSU ou dans son guide pluriannuel, la BCE inscrit ses attentes sur l’ICAAP et l’ILAAP dans la durée. En insistant sur le rôle de ces dispositifs dans la viabilité des institutions et leur lien avec le modèle d’activité de celles-ci, la BCE cherche à les inscrire au cœur du pilotage des banques. Cela implique donc pour chaque institution une prise de conscience au niveau du senior management de l’importance de l’ICAAP et l’ILAAP. Il ne s’agit pas dans ce cas d’énièmes reportings réglementaires, mais bien de cadres de pilotage et de gestion à part entière. Plus généralement, les banques vont être appelées à se renforcer afin d’ajuster leur gouvernance, leurs capacités en termes de modélisation et de projection, d’infrastructure, de capacité de production de reportings et de validation indépendante.

Il est intéressant de souligner que l’ensemble des attentes de la BCE sont souvent formulées pour les  « établissements importants » (« significant institutions ») sans forcément clarifier les attentes pour les établissements  « établissements moins importants » (« less significant institutions »), pour lesquels la BCE n’occupe qu’un rôle de supervision indirecte. À ce titre, et au nom d’une convergence des pratiques au sein de la zone euro, la BCE va être amenée dans les années à venir à s’immiscer davantage auprès des superviseurs nationaux, s’appuyant sur les leçons tirées au niveau des institutions significatives, tout en appliquant le principe de proportionnalité.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº810