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Risque systémique

La politique macroprudentielle serait-elle l’Arlésienne des réformes financières ?

Créé le

08.07.2014

-

Mis à jour le

02.09.2014

Les avancées en matière de politique macroprudentielle sont à l'heure actuelle bien trop timides pour espérer contrer le risque systémique, estiment les experts du Labex-Réfi, qui appellent de leurs voeux un policy-mix plus équilibré.

Le risque systémique, c’est-à-dire le risque d’un effondrement du système bancaire et financier, est suffisamment coûteux (en terme de destruction d’emplois et de capacités productives, de dégradation des finances publiques), pour que l’on se dote des instruments permettant d’y parer. S’il fallait tirer une seule leçon de la crise financière dont on paie encore aujourd’hui les conséquences, c’est sans doute celle-ci. Les rapports d’experts et la littérature académique ne manquent plus sur le sujet : pour prévenir le risque systémique, la supervision micro-prudentielle ne suffit pas ; il faut mettre en place une politique macroprudentielle. De nombreux instruments sont identifiés. Ils se répartissent en deux grandes catégories :

  • l’une rassemble ceux qui visent à contrer le cycle du crédit et/ou des prix d’actifs  (instruments contracycliques, ratios prêt/valeur, prêt/revenu, service de la dette/revenu…) ;
  • l’autre concerne les institutions financières qui contribuent au risque systémique (au moyen de surcharges systémiques).
Mais on en parle beaucoup plus qu’on ne voit la politique macroprudentielle se mettre en place, en Europe comme aux États-Unis. Les avancées sont timides en effet. Bâle III prévoit une micro-touche de macroprudentiel avec un petit coussin supplémentaire de fonds propres contracycliques que les autorités compétentes (nationales pour les petites banques, la BCE pour les grandes banques) pourront décider d’élever jusqu’à 2,5 % lorsqu’elles détecteront un emballement du crédit. Le Financial Stability Board a par ailleurs été chargé de lister les grandes institutions financières systémiques : on en dénombre actuellement 29 dont 8 aux États-Unis, 4 en France (BPCE, BNP Paribas, Crédit Agricole, Société Générale) et au Royaume-Uni. Toutes seront soumises à des surcharges variant en théorie entre 1 % et 3,5 %.

Au plan institutionnel, ont aussi été mis en place des conseils de risque systémique ou de stabilité financière au niveau européen, dans les États membres ou aux États-Unis. Mais ils n’ont pour l’instant pas de véritable vocation opérationnelle, à l’exception notable du Royaume-Uni, où la banque d’Angleterre a la charge des politiques monétaire et macroprudentielle. En Europe, au-delà des recommandations du Comité européen du risque systémique concernant le mandat macroprudentiel des autorités nationales, il n’y a pour le moment ni objectif, ni instruments clairement dévolus à ces conseils ou aux banques centrales en matière macroprudentielle. Il n’est pas sûr, en outre, que l’Union bancaire aide à bien installer la politique macroprudentielle en Europe car, certes, la BCE prend en charge la supervision des grandes banques de la zone euro (ce qui constitue, il est vrai, un pan de la politique macroprudentielle). Mais ce faisant, la politique macroprudentielle contracyclique, celle qui au-delà des surcharges systémiques vise à contrer le cycle financier et limiter l’emballement des prix immobiliers pourrait bien passer à la trappe au risque sinon de constituer la mission de trop, celle qui ré-enflammerait le débat sur l’absence de légitimité démocratique de la BCE. C’est pourtant bien d’une politique macroprudentielle dont la zone euro a besoin pour rééquilibrer son policy-mix. Pas seulement pour restaurer la stabilité financière de la zone, mais également pour redonner aux pays de la zone euro, qui n’ont pas d’autonomie en matière de politique monétaire et dont la politique budgétaire est bridée pour assez longtemps, un instrument d’ajustement macroconjoncturel dont ils manquent cruellement. Pilotée à l’échelle de la zone et ajustée par pays, la politique macroprudentielle viendrait alors compléter la politique monétaire unique en atténuant son impact hétérogène sur les économies de la zone euro. En effet, un taux nominal unique en réponse à des taux d’inflation différents d’un pays à l’autre se traduit nécessairement par des taux intérêts réels également différents d’un pays à l’autre et à l’aune desquels la politique monétaire est accommodante pour certains et simultanément restrictive pour d’autres. Des mesures macroprudentielles rendues plus contraignantes (plus souples) seraient à même de corriger le biais accommodant (restrictif) de la politique monétaire unique [1] . C’est de ce policy-mix dont la zone euro a besoin pour retrouver son unité.

1 Voir J. Couppey-Soubeyran et S. Dehmej (2014), « Pour un nouveau policy-mix en zone euro : La combinaison politique monétaire/politique macroprudentielle au service de la stabilité économique », Policy Paper n° 4 du Labex Réfi, mars 2014.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº775
Notes :
1 Voir J. Couppey-Soubeyran et S. Dehmej (2014), « Pour un nouveau policy-mix en zone euro : La combinaison politique monétaire/politique macroprudentielle au service de la stabilité économique », Policy Paper n° 4 du Labex Réfi, mars 2014.