Square

Payfair : « Imposer d’héberger plusieurs schémas de paiement sur une même carte »

Créé le

23.05.2012

-

Mis à jour le

30.05.2012

Lancé en 2007, Payfair est, avec Monnet et EAPS, l’un des trois projets de schéma de paiement 100 % européen impulsés par SEPA. Alors que Monnet, le « projet des banques », vient de jeter l’éponge, Payfair, le « projet des commerçants », peine à dépasser les frontières belges. Dominique Buysshaert, son cofondateur, revient sur les difficultés rencontrées et les moyens de les dépasser.

Actuellement, quelle est l’étendue de l’offre de Payfair ?

Nous nous sommes attachés à proposer des solutions pour des marchés de niche : les titres repas électroniques, les cartes cadeaux et les solutions pour le commerce en ligne. Nous nous sommes également adressés à des marchés autres que l’Union européenne : l’Europe centrale et de l’Est, ainsi que la région MENA (Moyen-Orient et Afrique du Nord). Grâce à son offre de titres repas électroniques en Belgique, Payfair est désormais accepté dans la plupart des terminaux de paiement du pays. Les transactions ont démarré fin 2011 et le nombre de transactions augmente avec régularité. Sur les autres projets, divers contrats ont été signés et des pilotes sont en cours.

Les banques partenaires viennent d'annoncer l'abandon du projet Monnet. Voyez-vous cette décision comme une opportunité pour vous ?

Nous avons toujours indiqué que, pour parvenir à créer un schéma de paiement européen fort, il fallait le soutien tant de la partie émission (banques) que de la partie acceptation (distributeurs et marchands). Dans cette optique, nous demeurons ouverts à des discussions, dans un esprit positif et constructif, avec les initiateurs du projet Monnet comme avec ceux du projet EAPS. Nous partageons un même enthousiasme pour une vraie solution européenne, malgré des approches différentes.

Il ne faut jamais se réjouir de l’arrêt d’un projet concurrent, qui ne fait qu’illustrer les difficultés réelles rencontrées par tous les promoteurs d’une offre alternative européenne. La décision des banques d’arrêter le projet Monnet constitue très certainement une nouvelle donne dans le contexte des discussions proposées avec ses initiateurs. Ils demeurent en effet désireux d’une alternative forte vis-à-vis de Visa et MasterCard, et il y a des complémentarités à exploiter utilement pour le bénéfice de tous.

Le niveau des interchanges accepté par la Commission est le principal motif de cet abandon. Le modèle économique de Payfair est-il conforme aux orientations choisies par les instances communautaires ?

L’originalité de notre approche est d’avoir imaginé une solution qui tient compte des intérêts de tous les utilisateurs des paiements électroniques, et pas uniquement de ceux des acteurs opérant traditionnellement dans ce secteur. Ces derniers tentent de défendre leur business model actuel aussi longtemps que possible, ce qui n’a rien d’illogique mais empêche l’innovation.

En outre, nous prônons la transparence sur la question des coûts répercutés aux utilisateurs. Chez Payfair, nous considérons que l’interchange est une partie du coût de transaction qui ne concerne pas le schéma de paiement, car il ne fait que transiter via l’acquéreur. En principe, il est indifférent, pour un schéma, que l’interchange soit élevé ou non. Cela rémunère l’émetteur tout en étant supporté par le distributeur, qui répercute la plupart du temps ce coût sur le consommateur final. Le schéma Payfair, lui, ne perçoit que des fees très transparents, liés à son utilisation, et sensiblement moins élevés que ceux exigés par les schémas traditionnels.

Il est toutefois évident que nous avons intérêt à ce que le niveau d’interchange soit suffisamment attractif pour les distributeurs et les marchands, afin qu’ils soient incités à accepter Payfair, voire à le conseiller à leurs clients. Il s’agit donc de construire un système équilibré. Avec nos coûts de transaction et des scheme fees réduits, Payfair offre une marge suffisante pour rééquilibrer les interchanges sans automatiquement diminuer le revenu pour les différentes parties prenantes. Les émetteurs bancaires profiteront en outre de l’augmentation du volume de paiements réalisés, qui va de pair avec une réduction de l’utilisation du cash, dont la gestion est très coûteuse.

Selon vous, que faudrait-il mettre en place pour que ce cercle vertueux s’enclenche ?

Nous sommes face à des intérêts opposés entre d’une part les marchands, qui veulent payer le moins possible, et d’autre part les émetteurs, qui veulent maximiser leurs profits. Rien d’extraordinaire donc, tant que le schéma de paiement reste « neutre ».

Actuellement, la fixation d’un seuil maximal d’interchange par les autorités est en réalité une réglementation des prix qui ne dit pas son nom, car ce seuil est généralement considéré par les émetteurs comme un minimum, de sorte que l’ensemble du marché se fixe à ce niveau. En réinjectant une dynamique de concurrence, on réglera ce problème.

Il faut pour cela rendre obligatoire le co-badging, c’est-à-dire imposer d’héberger plusieurs schémas de paiement sur une même carte. Cela permettra à de nouveaux entrants comme nous d’avoir accès aux cartes, et donc au marché. Cela déplacera également la concurrence de l’émetteur qui choisit quel schéma embarquer dans sa carte, vers la caisse du magasin, où les différents schémas hébergés seront en compétition afin d’être choisis par le marchand et/ou le consommateur. Les interchanges évolueront alors automatiquement vers un vrai « niveau de marché », sans nécessité d’interventions à répétition de la part des régulateurs.

Pour que ce co-badging fonctionne, il faut que soient présents sur la carte plusieurs schémas réellement « SEPA compatibles », c’est-à-dire non seulement conformes aux nouveaux standards et protocoles techniques, mais aussi disposant d’une couverture géographique englobant au moins plusieurs États membres de l’Union européenne. Sinon, cela reviendrait à organiser la migration de monopoles domestiques existants vers de nouveaux monopoles, ce qui n’était bien entendu ni l’ambition du programme SEPA ni l’objectif de l’Europe.

Enfin, à défaut d’ouvrir la carte aux nouveaux schémas européens entrants, et donc de leur permettre l’accès au compte du consommateur, il faudrait a minima que les banques rendent possible l’accès à l’information relative à la disponibilité de fonds suffisants sur le compte, bien entendu avec l’accord du titulaire du compte, au profit d’un schéma alternatif sous statut d’établissement de paiement. Dans la mesure où les salaires ne peuvent être payés autrement que via un compte bancaire, il est légitime que le mode de paiement alternatif et européen que souhaite utiliser le propriétaire de ces fonds bénéficie de conditions non discriminatoires par rapport aux schémas proposés, en nombre limité, par son institution financière.

RB