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Moyens de paiement : nouvelle vague ou onde de choc?

Créé le

17.06.2011

-

Mis à jour le

08.04.2019

Les règles du jeu dans les services de paiement ont changé, les enjeux ​sur les revenus et business models sont considérables : après Internet, ​c’est aujourd’hui le téléphone mobile qui achève de destructurer la ​chaîne traditionnelle des paiements fortement intermédiée par les ​banques. Anciens et nouveaux acteurs doivent se (re)positionner.

En un peu plus d’une décennie, Internet a généré de nombreuses nouvelles industries et façons de faire du business, notamment à destination du grand public : e-commerce, monétisation de contenus et d’audience, banque et bourse en ligne, réseaux sociaux, moteurs de recherche, galeries marchandes, affiliation, marketing viral, gratuité ou freemium [1] , comparateurs, achats groupés, cashback, Peer-to-Peer, etc. Un tel phénomène a conduit à la naissance de leaders nationaux, régionaux ou globaux, pure players (Facebook, Google, ebay, Pixmania, Lastminute, Amazon, Priceminister, Vente-privée, Meetic...) ou filiales de sociétés « mortars ».

En matière de paiement, outre les cartes bancaires domestiques et internationales, les moyens prolifèrent (voir Encadré 1), correspondant à autant de besoins et d’usages nouveaux ( tunnel d’achat [2] , anonymat, praticité, sécurité, montant, coût…). Dans la chaîne de gestion des flux de paiement, de nouveaux acteurs ont fait leur apparition :

  • des e-Payment Services Providers (e-PSPs), naguère indépendants et aujourd’hui pour la plupart aux mains de grands groupes ou de fonds d’investissement : Cybersource (Visa Inc), Bibit (WorldPay), Global Collect, Netgiro (Digital River), Dibs, Datacash (MasterCard), Pago, Ogone, Atos Worldline ou Paybox (Point Intl)… ;
  • ou des géants du web, des télécom, de l’IT tels que e-bay/PayPal, Amazon, Google, Apple, Facebook, Orange, et des spécialistes comme Rentabiliweb, CellfishMedia ou Hi-Media.
Les banques ont bien sûr profité de cette croissance continue :

  • la carte bancaire est de loin le premier mode de paiement en ligne ;
  • le dénouement de la transaction, même avec des e-wallets ou des moyens privatifs, s’effectue en grande partie par l’utilisation d’une carte ou d’un compte bancaire ;
  • les volumes de transactions en vente à distance n’ont cessé d’augmenter ;
  • les banques contrôlent l’essentiel du marché de l’acquisition et de l’émission en France.

Les risques de désintermédiation

Mais il n’empêche que les risques de désintermédiation ou de relative banalisation existent, comme le montrent plusieurs signaux et événements :

  • baisse de la rémunération unitaire ;
  • moindres services à valeur ajoutée et moindre visibilité face à des acteurs « non bancaires » qui valorisent le poids et la notoriété de leur marque ;
  • compétition accrue avec l’avènement des établissements de paiement et de monnaie électronique, arrivant de l’Europe entière ;
  • enfin, le phénomène le plus remarquable est la capacité qu’ont les sociétés venues de l’IT et du Web de recruter leur audience en l’espace de quelques années, de l’augmenter continuellement – voire exponentiellement –, et de la monnayer dans les meilleures conditions, en apprivoisant ou réinventant les modèles les plus vertueux.
Ces nouveaux compétiteurs encapsulent volontiers les supports et systèmes de paiement gérés par les banques en y apportant valeur ajoutée et revenus supplémentaires. Par exemple, alors que l’industrie musicale est en crise prolongée, i-tunes s’est imposé comme le premier revendeur de musique au monde, et accessoirement comme l’un des plus grands détenteurs de numéros de cartes de crédit. Facebook, fort de ses 600 millions de membres tend à exploiter son audience et prétend se rémunérer à hauteur de 30 % avec ses Facebook Credits, monnaie virtuelle à acheter avec de la monnaie bien réelle grâce à sa carte de crédit ou via Paypal, utilisable pour acheter des biens virtuels sur le site (jeux, applications..). Sur Internet, le processus de l’affiliation [3] se paie jusqu’à 10 ou 20 % du chiffre d’affaires généré. PayPal applique des commissions commerçants de l’ordre de 3 %… alors que les banques sont « contraintes » de négocier leur rémunération au dixième de pourcent près, vis-à-vis des clients ou des régulateurs. Ironie de l’histoire : n’était-ce pas une des vertus principales de la carte, il y a 20 ans, que d’attirer le chaland au point de vente ?

Les paiements dans un monde mobile, multicanal et convergent

Nul besoin d’être gourou pour prédire qu'avec le recours toujours plus universel aux terminaux communicants, les tendances actuelles vont s’amplifier. Avec le téléphone mobile, comme hier avec Internet, les clients voudront toujours plus s’informer, se former, travailler, se divertir, communiquer, acheter, gérer leur argent, payer… Mais loin de n'être qu'un nouveau canal de communication et de distribution, le téléphone mobile recèle en lui-même un potentiel propre à renouveler la relation client et le business sous-jacent, grâce à certaines de ses caractéristiques :

  • sa portabilité et son universalité (rares sont ceux qui ne possèdent pas de téléphone portable ou « osent » s’en séparer, ne serait-ce qu'un court instant) ;
  • il permet de réagir à des décisions ou des souhaits de façon instantanée et impulsive ;
  • il intègre des services de géolocalisation, à savoir la capacité de recevoir et d’utiliser des services ciblés en fonction du lieu (voir le succès de Foursquare, qui permet à l’utilisateur de localiser ses contacts ou ses amis) ;
  • il offre une richesse de fonctionnalités et d’interactions à portée de la main, dont certaines personnalisées : identifiant, pass, authentification forte, services multimédia (texte, voix, image, vidéo…) ;
  • il propose de nouveaux modèles économiques différents et astucieux, à l’instar de l’« AppStore » qui est en lutte frontale avec le système proposé jusqu’alors par Google ;
  • son usage est multi-canal : rebond d’une situation à une autre (point de vente, Internet, en mobilité).

Les stratégies bancaires

On a déjà pu observer dans de nombreux pays émergents ou développés la multitude de services et d’offres de paiements mobiles (en phases pilote ou généralisée, en modes NFC ou autre, en solo ou en compétition) et le nombre croissant de prétendants qui multiplient les initiatives, en proposant innovations et nouvelles offres : Google, Apple, PayPal, opérateurs télécom, de services (transport, parking…), chaînes de la distribution (Starbucks), spécialistes du transfert d’argent tels Western Union ou Moneygram, schemes internationaux Visa, MasterCard, Amex… sans oublier des start-up de tout poil qui annoncent chaque jour un service pouvant, à leurs yeux, révolutionner le marché des paiements mobiles (l’effet bulle est de retour…).

Evidemment, les banques ne sont pas en reste, en particulier en France :

  • leurs applications mobiles sont largement plébiscitées, qu’il s’agisse de services informationnels ou mieux encore transactionnels ;
  • certaines banques n’ont pas hésité à devenir MVNO (voir Encadré 2) ou à inventer un nouveau moyen de paiement tel que i-deal [4] aux Pays-Bas ou le dernier-né Kwixo ;
  • elles prennent part à de nombreux projets de m-payment ;
  • et bien sûr elles exploitent leurs atouts en matière de services de paiement : légitimité, expertise, fiabilité, taille et surtout gestion des risques, tant vis-à-vis du grand public que des professionnels, entreprises et commerçants.
Mais force est de constater que, malgré des réalisations concrètes, elles manquent parfois de flexibilité et de rapidité d’action sur les nouveaux canaux (Internet et désormais mobile), à cause de leur polyvalence (que faut-il prioriser ?) et de leur tiraillement entre initiatives collective et individuelle (quel parapluie commun éventuel, quelle marque, quel bassin de clients ?).

Les règles du jeu ont changé

Et pourtant, surtout en matière de services de paiement mobile, il s’agit bien d’un nouveau « Far West » à conquérir où tout est encore possible, même si nombre de projets ne trouveront jamais leur voie, leur public ou leur business model.

Ce qui est en train de se produire oblige à considérer le marché des paiements sous de nouveaux angles, car il ne s’agit pas d’un épiphénomène. En effet, les règles du jeu ont bien changé, les enjeux sur les revenus et business models sont considérables (partage des rôles et de valeur, arrivée de nouveaux larrons aux moyens conséquents, potentiel de croissance prometteur, modèles disruptifs…), les effets constatés jusqu’alors ne vont que s’exacerber, les frontières entre paiement de proximité, à distance et en mobilité vont progressivement s’estomper (Ebay annonce déjà réaliser un chiffre d’affaires annuel supérieur à 2 milliards dollars en m-commerce et se lance dans les services de proximité).

Pour les prétendants à ce business, deux familles majeures de contraintes ou de stratégies semblent se dessiner :

  • savoir gérer les services de paiement en grande quantité, au meilleur coût, de façon fiable et sur plusieurs géographies ;
  • savoir proposer, voire imposer, sur ces modes de paiement de la valeur ajoutée, un autre modèle, des relations nouvelles avec ses clients et partenaires.
C’est sans doute parmi ceux qui trouveront la meilleure alchimie entre ces doubles exigences que se compteront les gagnants de demain, à savoir ceux qui auront su créer cette combinaison d’offres conjuguant des services de paiement simples, intuitifs, rapides, sûrs pour une ou plusieurs catégories de paiement (achats de proximité ou à distance, petits ou gros montants, factures, prépayé, paiements récurrents, transit, biens matériels et immatériels, droits, transfert d’argent, PtoP, etc.) avec des services et bénéfices complémentaires destinés aux utilisateurs ou aux commerçants, comme l’affiliation et l’apport de chiffre d’affaires, des services affinitaires, de CRM, de fidélisation, personnalisés ou des publicités ciblées grâce à la géo-localisation, des discounts, des garanties (fraude, livraison, paiement, SAV…). Ceci avec l’objectif de capter au mieux les besoins du client, en particulier dans les pays matures où nous ne sommes guère démunis de moyens de paiement disponibles.

Les futurs vainqueurs

Il n’y aura pas de sitôt de modèle unique, mais plutôt pléthore de systèmes qui vont cohabiter. En effet, tant les technologies (NFC, SMS, Application, SIM, MicroSD, biométrie…) ainsi que les approches, modèles et partenariats possibles (entre fabricants de cartes, SIM, TPE, téléphones, éditeurs de logiciels, marchands, processeurs, banques, schemes, opérateurs télécom ou de services…) sont aussi nombreux que les segments de marché et niches adressables.

Qui saura le mieux maîtriser tout ou partie des relations et des données dans ces écosystèmes, en les rendant encore plus efficientes et rémunératrices ? Qui saura monétiser ces offres ? Pour désigner les futurs vainqueurs de cette épopée (parmi lesquels sans aucun doute, on retrouvera des noms bien connus et quelques néo-entrants de dernière heure), on ne pourra s’empêcher de souligner certains facteurs clés de succès ​:

  • la puissance de la marque et de la plate-forme ;
  • une large audience d’usagers, de membres ou de clients ;
  • la capacité à façonner des services en phase avec les attentes des prospects, clients et partenaires (bon dosage entre juste exploitation des données, services et bénéfices rendus, niveau d’intrusion, prix, valeur, affinité, sens, « air du temps ») ;
  • l’apport d’avantages distinctifs vis-à-vis d’autres habitudes et modes de paiement, en exploitant les atouts du téléphone portable sans en oublier quelques limites ;
  • la mobilisation d’investissements significatifs ;
  • l’agilité et vitesse d’exécution ;
  • l’innovation, non pas seulement technologique mais aussi dans l’instauration de règles et modèles inédits, dans l’enrichissement continu de l’offre (passer de l’online à l’offline, du e-wallet à la carte ou vice-versa…) ou dans la mise en place d’alliances.

Les jeux sont loin d’être faits

La partie est ouverte et les jeux sont loin d’être faitss. En effet, les domaines d’application sont vastes et les variables multiples, les modes de paiement « traditionnels » ont encore de beaux jours devant eux, et les perspectives de business aiguisent les appétits ou éveillent la clairvoyance de nombreux acteurs, en mode défensif ou offensif. Dès lors, rendez-vous dans quelque temps et d'ici-là, que les meilleurs gagnent…

1 Le freemium est un modèle économique associant une offre gratuite, en libre accès, et une offre « Premium », haut de gamme, en accès payant (source : Wikipédia). 2 Le tunnel d’achat sur un site d’e-commerce est le parcours que suit un internaute de son arrivée sur le site à la page de confirmation de la commande (source : definitions-webmarketing.com). 3 L’affiliation est le principe par lequel un site marchand propose à un réseau de sites partenaires affiliés de promouvoir ses produits ou services par le biais de bandeaux, de liens, de moteurs de recherche ou tout autre support. Selon les cas, les affiliés sont rémunérés pour leur rôle de prescripteur par une commission sur les ventes, sur les visites ou les contacts commerciaux générés à partir de leurs liens. 4 Standard néerlandais de virement par Internet.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº738
Notes :
1 Le freemium est un modèle économique associant une offre gratuite, en libre accès, et une offre « Premium », haut de gamme, en accès payant (source : Wikipédia).
2 Le tunnel d’achat sur un site d’e-commerce est le parcours que suit un internaute de son arrivée sur le site à la page de confirmation de la commande (source : definitions-webmarketing.com).
3 L’affiliation est le principe par lequel un site marchand propose à un réseau de sites partenaires affiliés de promouvoir ses produits ou services par le biais de bandeaux, de liens, de moteurs de recherche ou tout autre support. Selon les cas, les affiliés sont rémunérés pour leur rôle de prescripteur par une commission sur les ventes, sur les visites ou les contacts commerciaux générés à partir de leurs liens.
4 Standard néerlandais de virement par Internet.
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