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Protection des épargnants

« Nous soutenons les mesures qui stimulent l’investissement en actions »

Créé le

19.11.2018

-

Mis à jour le

04.12.2018

Défenseur des épargnants, Guillaume Prache estime que, dans l’intérêt même des particuliers, l’investissement en actions doit être proposé par les conseillers bancaires. Or il déplore la situation inverse, dont MIF2 serait en partie responsable.

En tant que défenseur des épargnants, estimez-vous justifié que la sphère publique cherche à stimuler les placements en actions des particuliers ?

L’investissement diversifié en actions est un très bon placement à long terme ce qui n’est pas suffisamment mis en avant par les conseillers bancaires. Voici une situation que j’ai moi-même expérimentée : à la demande de mon banquier, j’ai récemment rempli mon questionnaire MIF2, j’ai répondu que j’avais une très bonne connaissance des produits financiers, notamment des actions, et que j’acceptais les risques maximums. Le conseiller bancaire m’a proposé une allocation d’actifs cible comprenant des produits intermédiés tels que des fonds mais il ne m’a pas proposé d’acquérir des actions ou des obligations en direct. Quand je le lui ai fait remarquer, il m’a affirmé que MIF2 l’empêche de vendre ces titres en direct.

Cela est tout à fait regrettable et j’ai pu constater que mon expérience n’est pas un cas isolé. De nombreuses banques (et d’autres distributeurs), ont une interprétation très restrictive de MIF2 et estiment que cette réglementation leur interdit de proposer des actions en direct aux clients dans les agences. Elles orientent vers la banque privée les clients qui souhaitent des actions en direct.

Les conseillers bancaires n’ont jamais beaucoup encouragé leurs clients à acheter des titres (actions mais aussi obligations) en direct car les commissions sont beaucoup plus faibles sur ces actifs que sur les produits intermédiés (fonds, épargne retraite individuelle, produits structurés ou assurance vie) donc ils n’ont souvent pas les compétences requises pour les décrire.

Et maintenant, la réglementation constitue elle aussi un frein. Cela est confirmé par les visites mystère de l’AMF. Faiblement chargés, les fonds indiciels ne sont pas non plus proposés ni expliqués aux particuliers.

Les banques cherchent-elles un prétexte dans MIF 2 pour ne pas vendre de titres en direct ou s’agit-il d’un frein réel ?

Il n’est pas écrit noir sur blanc dans MIF2 que la vente d’actions en direct est interdite mais cette réglementation a un effet dissuasif en raison des nombreuses contraintes qui s’imposent désormais aux banques et aux autres distributeurs (devoir de conseil renforcé, vérification des compétences du client, de son appétence au risque, exploration de son horizon de placement…).

Est-ce regrettable à l’heure où les institutions européennes cherchent à construire l’UMC (Union des marchés de Capitaux) ?

L’objectif de l’initiative UMC est de favoriser le financement de l’économie par les marchés de capitaux, notamment en incitant les particuliers à orienter leur épargne vers les marchés actions et obligations. La Commission a fait une étude sur les produits d’épargne qui montre que les actions et les ETF sont peu proposés et que l’assurance vie est très proposée aux épargnants. Dans le volet de l’UMC consacré aux particuliers, il est martelé qu’il faut favoriser le développement des placements en actions. La création du PEPP (Pan-European Pension Product) en fait partie, et la loi PACTE en France s’en inspire. Les autres mesures sont non réglementaires et portent par exemple sur la façon de favoriser l’actionnariat salarié ou les plans d’épargne en actions. Les mêmes autorités européennes, quand elles rédigent MIF2 ou PRIIPS, créent des règles qui dissuadent les établissements de commercialiser des titres en direct. C’est incohérent et c’est dommage car les investissements des particuliers en actions, que ce soit en France ou en Europe, ont diminué assez fortement au cours des dernières décennies (les particuliers européens détenaient près de 40 % des titres des sociétés cotées à la fin des années 1960, contre environ 13 % en 2012) ; ce n’est pas le moment de les pénaliser.

Prenez-vous en considération les besoins de l’économie ?

L’économie a besoin de financements à plus long terme et plus risqués (par exemple pour financer les infrastructures). L’investissement en actions est nécessaire à la fois pour financer l’économie et pour préserver le pouvoir d’achat à long terme des épargnants. Aujourd’hui presque tous les comptes d’épargne bancaires perdent de l’argent en valeur réelle (après inflation). Les obligations sont devenues peu rémunératrices. Les fonds euros (investis essentiellement en obligations), qui concentrent une grande partie de l’épargne, sont de moins en moins rémunérateurs et afficheront probablement en 2018 en moyenne un rendement négatif après inflation. Donc pour l’épargne retraite, si les épargnants veulent protéger leur pouvoir d’achat, ils doivent diversifier cette épargne vers des placements à plus long terme comme les actions.

Donc protéger les épargnants n’implique pas forcément de les tenir éloignés du risque actions ?

Selon moi, protéger les épargnants c’est leur éviter de perdre de l’argent quand ils investissent à long terme pour leur retraite. Mais certains professionnels de l’épargne considèrent que les fonds monétaires sont protecteurs, même sur le long terme. C’est selon moi une vision fausse des risques. En réalité, investir en fonds monétaire à long terme est dangereux : l’épargnant est certain de perdre de l’argent. La protection des épargnants ne doit pas entraîner une érosion du pouvoir d’achat de l’épargne. Sur le long terme (20 ou 30 ans), un fonds monétaire ou même obligataire est moins performant et plus risqué qu’un fonds actions.

Nous soutenons les mesures qui stimulent l’investissement en actions comme la disposition qui, dans la loi PACTE en France, instaure un forfait social réduit visant à favoriser l’investissement d’une partie des plans d’épargne retraite en titres éligibles au PEA-PME. Cette mesure est d’ailleurs passée en première lecture à l’Assemblée Nationale. C’est excellent à tous points de vue. Ce sont les PME qui créent le plus d’emplois, se développent et, en bourse, les petites et moyennes capitalisations réalisent de bien meilleures performances que les grandes capitalisations : sur 18 ans [1] , dividendes réinvestis, le CAC 40 a gagné 60 % et le CAC all tradable a gagné 91 %. Au niveau européen, nous constatons le même type d’écart entre les indices qui ne regroupent que les grandes entreprises et ceux qui reflètent l’évolution de l’ensemble des valeurs cotées (y compris petites et moyennes capitalisations).

Êtes-vous favorable au fait que les assureurs vie poussent leurs clients à investir sur des UC (donc potentiellement sur des actions) plutôt que sur des fonds en euro ?

La réglementation prudentielle Solvabilité 2 incite les assureurs à porter moins de risques et donc à les faire porter par les clients. Si ce contexte réglementaire constitue la raison pour laquelle un assureur vie conseille à un client d’acquérir des UC, c’est gênant. Dans notre rapport sur l’épargne longue en Europe, nous avons étudié notamment l’assurance vie en France. Depuis, 18 ans, les fonds en euros ont rapporté, après inflation, 39 % quand les UC perdaient 14 %. La raison principale de cette contre-performance est le poids des frais sur les UC : elles sont 3 à 4 fois plus chargées que les fonds en euros. Ainsi, l’assurance vie française en UC constitue l’un des produits à long terme les moins performants de toute l’Union européenne depuis le début de ce siècle.

Nous sommes donc choqués par les ventes liées qui proposent par exemple à un détenteur d’un fonds en euro de voir sa rémunération augmentée s’il acquiert par ailleurs des UC.

Pensez-vous que la culture financière des épargnants doit être améliorée ?

Les Français pensent que les actions sont très risquées, car ils n’en ont pas une bonne connaissance. Si une certaine culture financière doit s’acquérir dès l’école, pour les adultes, il faut améliorer l’information et l’éducation sur le point de vente. Or ce dernier peut être l’entreprise, quand elle pratique par exemple l’actionnariat salarié, encouragé dans la loi PACTE. L’entreprise est alors susceptible de constituer le cadre d’une formation des salariés aux caractéristiques des actions. Mais l’acteur le plus crucial est l’intermédiaire financier, c’est-à-dire le conseiller bancaire, le conseiller en gestion de patrimoine, le courtier, l’agent général, etc. Tous ces acteurs doivent eux-mêmes connaître les actions, ce qui n’est bien souvent pas le cas, les proposer quand cela est pertinent et expliquer leurs caractéristiques.

Les intermédiaires financiers sont-ils suffisamment objectifs ?

Ils peuvent être tentés de confondre pédagogie et marketing. Aussi, nous préconisons que les programmes de formation organisés par les banques ou les compagnies d’assurance en direction des épargnants soient supervisés par des organismes indépendants, comme des associations d’épargnants, des institutions publiques ou des fondations.

Plus globalement, quel bilan faites-vous des évolutions récentes des principales réglementations qui protègent les épargnants ?

D’importants progrès ont été réalisés à l’échelle européenne mais aussi française. Malgré les réserves que je viens d’émettre sur la distribution de titres en direct, MIF2 (qui a démarré le 1er janvier) est très positive, tout comme la DDA (Directive Distribution de l’Assurance), qui vient d’entrer en application en octobre. Globalement, la réglementation visant à protéger les épargnants est bonne à ce jour, avec deux grands acquis :

  • la distinction est faite entre le conseil indépendant qui ne touche pas de commissions des fournisseurs et le conseil non indépendant;
  • la gouvernance des produits, c'est-à-dire comment les fournisseurs doivent fabriquer des produits financiers, a progressé.
En revanche, PRIIPS (Packaged Retail Investment and Insurance products) est décevante et elle est entrée en application le 1er janvier 2018 pour les produits d’assurance vie et les produits bancaires structurés. L’objectif de départ était de prendre modèle sur les fonds qui sont dotés d’un DICI [2] (depuis 2010), de remplacer ce cadre par un DIC [3] applicable non seulement aux fonds mais aussi à l’assurance vie (fonds euros et UC) et aux produits structurés. Comme les fonds disposaient déjà d’un DICI, ils ont un moratoire pour adopter le DIC, en principe jusqu’à fin 2019.

En assurance vie et pour les produits bancaires structurés, les premiers DIC sont apparus depuis le 1er janvier 2018 et ils sont catastrophiques ; les changements par rapport au DICI sont importants et dégradent la situation. Par exemple, les informations sur les performances passées ont disparu, tout comme la comparaison avec la performance des indicateurs de référence (benchmark) au profit de scénarios de performances futures (4 scénarios) avec des informations sur les frais qui sont très difficiles à comprendre. Un autre exemple : pour les fonds en euros, la durée recommandée de placement est de 1 an, ce qui est absurde pour un produit qui, fiscalement, doit être conservé 8 ans.

 

 

1 Rapport de Better Finance sur l’épargne longue en Europe: de fin 1999 à fin 2017.
2 Document d’information clé pour l’investisseur.
3 Document d’information clé ou, en anglais, KID.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº826
Notes :
1 Rapport de Better Finance sur l’épargne longue en Europe: de fin 1999 à fin 2017.
2 Document d’information clé pour l’investisseur.
3 Document d’information clé ou, en anglais, KID.