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Après le « too big to fail »

Ne pas laisser triompher l’idée d’un « too small to comply »

Créé le

21.11.2017

-

Mis à jour le

27.11.2017

Pour l’OCBF, qui regroupe en France quelque 150 établissements financiers indépendants ou filiales de grands groupes, le principe européen du « one size fits all » porte préjudice à la diversité du secteur. Le principe de proportionnalité doit être défendu.

L’OCBF porte beaucoup d’intérêt à la proposition allemande de la « small banking box ». Cette démarche pose opportunément la question de la proportionnalité et de la subsidiarité. Au nom de la combinaison de l'efficacité et du « primum non nocere », l’Europe ne doit-elle pas diversifier son modèle de supervision ? Ce serait mis au crédit d’une Europe ne réduisant pas une approche fédérative à une verticalisation centralisatrice.

La raison d’être du principe de proportionnalité

Les banques étant d’abord des entreprises, pourquoi ne bénéficieraient-elles pas du régime de proportionnalité qui existe en Europe pour les entreprises non financières [1] ?

Le principe du « one size fits all » affecte déjà la diversité du secteur et en particulier les banques privées. Le dernier rapport de McKinsey montre ainsi un effritement significatif de la croissance de l’activité du secteur bancaire qui passe de 5,6 % en moyenne sur la période 2010-2015 à 2,7 % en 2016 que l’on peut largement associer au fardeau réglementaire. Toujours selon McKinsey, la marge bénéficiaire des banques privées s’est contractée de 30 % depuis le début de la crise en 2007, pour ne représenter aujourd’hui que 0,25 % contre 0,40 % en moyenne il y a 10 ans. Une uniformisation du modèle opérationnel des banques peut être délétère pour la résilience de l’économie et la souveraineté économique de l’Union Européenne. La présence des banques au niveau local est indispensable pour irriguer les territoires et financer les entreprises existantes ou de nouveaux projets.

De plus, l’émergence de nouveaux acteurs technologiques pose la question du traitement équivalent des opérateurs par le régulateur. À défaut, les petites et moyennes banques seront, d'un point de vue opérationnel, prises en étau entre les banques systémiques mondiales qui ont les moyens de s’adapter au tsunami réglementaire et les FinTechs qui sont très agiles et favorisées, au nom du renforcement la concurrence en faveur du consommateur. À cet égard, l’OCBF souligne le rôle majeur des superviseurs nationaux, l’ACPR et l’AMF avec la création du pôle FinTech Innovation en juillet 2016, qui ont invité la Commission européenne lors de sa dernière consultation à ne pas créer de distorsion réglementaire entre les acteurs historiques susceptibles d’innover et les start-up [2] .

Les aspects politiques de la proportionnalité

Les petites et moyennes banques attendent des responsables politiques et des régulateurs qu’ils s’engagent sur un objectif : la prévention intelligente empreinte de discernement plutôt que l’accumulation des strates de régulation. Une réglementation européenne unique (« single rule book »), qui nous différencie des États-Unis, est compatible avec la subsidiarité et la proportionnalité.

La Commission européenne s’est engagée sur la question de la proportionnalité au sein du « paquet bancaire », il y a tout juste un an [3] . La défense de la proportionnalité comme élément de la politique de « better regulation » est un enjeu important pour les banques petites et moyennes au plan national comme européen. C’est pour cela qu’il faut profiter de la révision de CRR/CRD 4 pour introduire des visions alternatives comme le fait la profession bancaire allemande. Les banques coopératives françaises sont au cœur de cette problématique car leurs organes centraux atteignent une taille systémique du seul fait de l’agrégation de leurs petites ou moyennes entités qui se trouvent individuellement pénalisées…

Pour autant, nous ne considérons pas la proportionnalité comme la possibilité d'être automatiquement exemptés d’exigences prudentielles, en particulier de capital ou de liquidité. Par conséquent, la future réglementation prudentielle, issue de la révision du paquet CRR/CRD 4, devrait permettre aux superviseurs d'adapter le suivi et l’application des exigences selon les profils de risque des établissements.

La coordination des autorités de contrôle nationales au sein de l’Union, acquise par la reconnaissance du rôle de la BCE, est la bonne voie pour éviter les risques d’une fragmentation par pays. Ceci milite pour une définition claire du principe de proportionnalité pour les banques.

Les aspects pratiques de la proportionnalité

La proportionnalité est un concept conciliant plusieurs objectifs : la réduction du fardeau de la régulation avec une approche adaptée à la taille et aux business models, tout en se conformant aux plus hautes exigences de comparabilité et de protection de la clientèle. Cela impose au régulateur de poser la finalité d’un texte de loi et aux banques la responsabilité de démontrer que leur application proportionnée respecte l’esprit du texte, avec des voies possibles par exemple sur :

  • l’intensification de l'utilisation des seuils déclenchant des exemptions sur base individuelle ;
  • la granularité des exigences en matière de reporting ou de publication ;
  • les approches adaptées de mesure des risques ;
  • l’adaptation des règles en matière de gouvernance interne à la diversité des modèles.
Particulièrement, sur la gouvernance, l’Europe doit reconnaître la force que confère la diversité des entreprises (familiales ou coopératives au côté des sociétés cotées en bourse). La question de l’exercice du pouvoir comme celle des droits de votes ou de la réduction des conflits d’intérêts doivent être traitées sans présupposé de supériorité d’un modèle. Le droit de propriété comporte d’autres dimensions que la seule approche patrimoniale, notamment le dynamisme entrepreneurial.

Reconnaître les forces du modèle fédératif américain

Sans a priori, l’Europe doit examiner certaines forces du système américain. Notons que la démographie bancaire est similaire des deux côtés de l’Atlantique, (12 G-SIBs pour l’UE, 13 G-SIBs pour les États-Unis). Mais contrairement au système européen, les petites banques américaines actives sur un territoire très défini se rattachent à un système de supervision et de prise en charge des défaillances adaptés à leurs caractéristiques.

Ainsi, la régulation bancaire aux États-Unis s’exerce via des régimes spécifiques en fonction du statut juridique de la banque, de l’existence d’activités à l’international, de la taille des actifs consolidés, de celle du trading book, du type de produits/services distribués. Ce système dual, combinant une supervision de la Fed et de la FDIC, traduit une tolérance plus élevée pour la diversité économique des acteurs, couplée à un véritable attachement aux petites banques.

Lors de son intervention en août dernier, à Jackson Hole, Janet Yellen, présidente de la Fed, a mis en avant les progrès réalisés depuis la crise en matière de renforcement du système financier. Tout en insistant sur la nécessité de préserver la logique du cadre actuel, celle-ci a exprimé l’ouverture de la Fed à réviser certaines des règles pour améliorer l’efficacité du système et simplifier le cadre, notamment pour les petites et moyennes entités.

Afin d'éviter de se pénaliser, l'examen de la proposition allemande de « small banking box » peut être l’occasion pour l’Europe de respecter dans le secteur bancaire sa devise : « unis dans la diversité ».

 

1 L’Europe a introduit le concept de TPE, PME et entreprises cotées, ces trois niveaux résultant d’une segmentation par taille de bilan, chiffre d’affaires et nombre de salariés.
2 Le 23 mars dernier, la Commission européenne a publié un document de consultation portant sur les FinTechs intitulé : « Vers une Europe de services financiers plus concurrentiels et innovants ». Cette publication s’inscrit dans le prolongement d’autres initiatives récentes, en particulier, la stratégie en faveur d’un marché unique.
3 Projet de révision de la CRR, CRD et BRRD, présenté par la Commission le 23 novembre 2016.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº814
Notes :
1 L’Europe a introduit le concept de TPE, PME et entreprises cotées, ces trois niveaux résultant d’une segmentation par taille de bilan, chiffre d’affaires et nombre de salariés.
2 Le 23 mars dernier, la Commission européenne a publié un document de consultation portant sur les FinTechs intitulé : « Vers une Europe de services financiers plus concurrentiels et innovants ». Cette publication s’inscrit dans le prolongement d’autres initiatives récentes, en particulier, la stratégie en faveur d’un marché unique.
3 Projet de révision de la CRR, CRD et BRRD, présenté par la Commission le 23 novembre 2016.