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Money 20/20 Las Vegas 2017 : moins de show, plus de business

Créé le

20.11.2017

-

Mis à jour le

20.12.2017

À Las Vegas, les années se suivent et ne se ressemblent pas. Cette nouvelle édition de Money 20/20 était moins flamboyante et pétillante d’annonces que l’année passée, mais non moins intéressante. FinTechs contre acteurs traditionnels du secteur ou FinTechs s’alliant avec les grandes institutions financières ? Chacun se jauge et tous se mettent en ordre de bataille pour la conquête des clients et des marchés.

« Je suis comme mon petit garçon. J’adore jouer avec les dinosaures… » Cette citation de Carl-Nicolai Wessmann, le patron de la FinTech Spiff, donne le ton de l’édition 2017 de Money20/20 à Las Vegas. L’arrogance – voire l’agressivité – a changé de camp. Face aux bonnes vieilles institutions bancaires, les FinTechs se voient gagnantes. Reste que, contrairement à il y a seulement deux ou trois ans, les dinosaures sont venus voir de leurs propres yeux la menace. Les banques sont à Money 20/20. Faites vos jeux ! Vu du monde des analystes, des startupers et même des investisseurs, les grandes institutions traditionnelles n’ont pas encore réalisé l’importance d’un phénomène qui se déroule sous leurs yeux et les concerne directement. Si l’on en croit Andrei Cherny, CEO et cofondateur de la start-up de finance éthique Aspiration, « les banques continuent de croire que se digitaliser signifie simplement appliquer quelques couches de technologie sur le business as usual. Alors qu’il faut complètement repenser les services proposés ! Cela revient à mettre du rouge à lèvres sur des cochons ! »

Si le constat est violent, il trouve un écho dans les chiffres exposés dans les différentes présentations. Seuls 6 % des membres de conseils d’administration bancaires auraient une expérience technologique. Ils connaissent parfaitement la régulation de leur secteur, mais n’ont aucune idée de ce que sont l’intelligence artificielle (IA) ou la blockchain… Une carence qui peut devenir fatale quand les attaques viennent de toutes parts. Un autre défaut de taille revient souvent dans les discours : celui des systèmes d’information historiques. Le secteur, un des premiers à s’être informatisé dès les années 1960, fonctionne encore dans sa grande majorité avec des programmes en Cobol (c’est le cas pour 43 % des banques américaines dont 92 % d’entre elles travaillent avec de grands systèmes IBM). Outre l’absence totale d’agilité de ces infrastructures, elles organisent les données en silo, ces dernières étant aujourd’hui le nerf de la guerre. En conséquence, les intervenants sont très pessimistes quant à l’emploi dans les banques. Tout le monde semble valider la disparition des agences et la statistique de la perte d’un emploi sur trois dans le secteur d’ici à 2025 a été entendue plusieurs fois.

L’intelligence artificielle au cœur des préoccupations, moins des réflexions

Même si tout le monde parle de la révolution de l’IA, les débats ne sont pas encore à la hauteur des engagements. Money 20/20 a consacré une session d’une journée dans sa partie conférence sur le sujet, sans que soient faites de véritables révélations pour autant. Seul Steve Wozniak, cofondateur d’Apple et qui fait depuis la tournée des conférences, estime que « Siri est comme un ami humain, mon meilleur ami ». Un peu triste comme conclusion. Si tous s’accordent à considérer que l’apport de l’IA au secteur financier n’en est qu’à ses débuts et ressassent les mêmes pistes de développement (lutte contre la fraude, aide au trading ou améliorations de la connaissance et de la relation avec le client), il a fallu attendre l’après-midi pour que soient enfin abordées des questions plus globales comme l’éthique, la transparence et les problèmes que posent l’IA en matière de conformité bancaire. En effet, comme le note Pedro Bizarro, directeur scientifique d’une start-up spécialisée dans la détection des fraudes, Feedzai : « les algorithmes et les modèles sont désormais si complexes qu’ils vont au-delà de notre compréhension, ce qui pose un problème pour la conformité. Il faut passer du machine learning au machine teaching où l’IA explique ce qu’elle fait et comment elle est arrivée à ces conclusions. » Il faudra également s’assurer de l’égalité de traitement en anonymisant les données, afin que les clients ne soient pas jugés pour ce qu’ils sont, mais pour ce qu’ils font. « Même en suivant rigoureusement ces principes éthiques, il y aura des erreurs », prévient Pedro Bizarro. Pour aller plus loin qu’une vision à court terme de l’IA, il fallait attendre la dernière conférence de la session, celle du Dr Michio Kaku, physicien américain chouchou des plateaux télé [1] . Loin de ressasser son passé à la manière d’un Steve Wozniak ou d’un Ray Kurtweil, directeur de l’ingénierie de Google et fervent promoteur du transhumanisme, Michio Kaku a compilé le point de vue de 300 scientifiques pour le restituer de façon très vivante à une salle comble. Pour lui, « quand les IA deviendront aussi intelligentes que des singes, alors elles pourront devenir conscientes d’exister et devenir dangereuses pour nous, bien plus tard dans ce siècle ». En attendant, l’avènement de ce qui se définit comme le « Brainnet », « une nouvelle ère où, grâce à la réalité augmentée et l’IA, nous pourrons parler, échanger et argumenter avec des systèmes experts », aura des avantages et des inconvénients. « Il y aura des perdants dans ce système : les intermédiaires. Nous aurons toujours besoin d’avocats humains, mais plus de secrétaires juridiques. » Et en attendant cet avenir éventuel, les cas pratiques d’IA se croisaient dans les allées du salon. Le gros de la troupe était constitué de logiciels de détection des fraudes et de conseillers virtuels, mais également avec quelques programmes intéressants pour des expériences clientes innovants et surtout « seamless » [2] .

Un combat banques vs FinTechs pas encore tranché

Mais Money 20/20 n’est pas pour autant devenu le fossoyeur de la civilisation actuelle, et encore moins celui des bonnes vieilles banques traditionnelles ! Loin de là. Pour preuve, alors qu’elles ne daignaient pas se déplacer il y a encore deux ou trois ans, elles sont présentes à Las Vegas, et plus seulement les banques étrangères — dont de nombreuses délégations françaises venues prendre incognito le pouls de la FinTech. On les rencontre sur les stands et dans les tables rondes, signe qu’elles ont au moins compris qu’il fallait observer et réagir.

D’autant qu’elles gardent clairement l’avantage à plusieurs niveaux. Avec leur maîtrise de la régulation pour commencer. Même les start-up et non des moindres – l’Allemand N26 et le Britannique Revolut – font valoir l’importance de la régulation. Elles insistent sur la nécessité d’avoir une licence bancaire pour vraiment disrupter le secteur et venir sur le terrain des banques. À moins que… la blockchain ne vienne renverser toutes les quilles.

Au fil des discours, il devient évident que rien n’est encore tranché dans cette bataille entre banques traditionnelles et FinTechs. D’abord, parce que deux visions du service s’opposent et que les consommateurs n’ont encore privilégié ni l’une ni l’autre. La première considère qu’il vaut mieux proposer une seule fonction au client, mais une fonction parfaite dans les moindres détails, comme le paiement P2P, par exemple, ou l’encaissement… C’est la méthode de nombreuses start-up présentes sur le salon. À l’opposé, les soutiens des banques, mais aussi de FinTechs plus ambitieuses, misent sur l’idée que le client doit pouvoir trouver tout ce dont il a besoin en un seul point d’entrée. Un point de vue qui pourrait être mis à mal par les jeunes générations. Moins fidèles, elles zappent d’une banque à l’autre comme d’une épicerie à l’autre. Et ce n’est pas tout. De nouveaux outils ont pointé le bout du nez à Money2020 : des IA, autrement dit des bots, qui aideront ces clients volages, à choisir à chaque moment, en temps réel, le meilleur service, quel qu’en soit le fournisseur.

Pourquoi le Netflix de la banque n’est-il pas encore sorti du bois ?

En 2017, entre banques et FinTechs, le cœur de Money2020 balance donc. Au point de se poser une question tout à fait pertinente : alors que les FinTechs, les néobanques, la pression de la digitalisation se font de plus en plus lourdes pour le secteur, pourquoi le secteur financier n’a-t-il pas encore trouvé son Netflix ? Si la situation est si désespérée, où est donc le grand disrupteur de la banque ? Bien sûr, certains nouveaux venus crèvent l’écran comme Stripe avec sa valorisation de 9,2 milliards de dollars. Mais, alors qu’AirBnB menace les plus grandes chaînes d’hôtels et qu’Amazon a tué Toys’r’us, quel grand établissement anété dévoré pour ce faire ? Aucun. Étonnamment, c’est Valentin Stalf, le jeune patron de la star des FinTechs N26, qui fournit l’une des pistes. Pour l’instant, les start-up innovent plutôt dans l’expérience utilisateur, le tout mobile, l’interface… Elles privilégient l’usage à la rupture sur le fond ou sur les services. Ou presque. Il est un sujet qui concentre toutes les ruptures. Il suffisait de se vagabonder entre les stands pour s’en rendre compte : au royaume de l’argent numérique, le paiement est roi.

Gafa et Natu…

Pour une vraie rupture, tout le monde est d’accord, il manque une « killer app ». Un service innovant, jamais vu avant, qui résoudrait un problème rencontré par tous… Et si ce moment Netflix venait de là où on ne l’attend pas ? Certains observateurs l’ont rappelé à Money20/20 : les banques – anciennes et néo- – et les FinTechs ne sont pas les seules alléchées par les perspectives de récolter les fruits de la transformation du secteur. Et s’il ne venait pas d’une start-up, mais d’une entreprise venue d’une tout autre planète, avec ses propres atouts, comme un Orange ou un Uber (voir notre encadré) ? Et s’il venait d’un géant qui, lui, n’est pas venu à Money20/20. Car s’ils ne sont pas officiellement présents, les Apple, Amazon, Facebook et autres Google n’en sont pas moins sur toutes les lèvres. Bien sûr, il y a longtemps qu’ils tentent leur chance. Mais le terrain est bien plus favorable aujourd’hui avec un smartphone dans chaque main et des habitudes de paiement qui ont totalement changé. Et lorsque l’on parle plate-forme, il faut aussi se projeter vers l’Est et l’Asie. Si le Chinois Tencent et son WePay sont absents, Ant Financial a promu son Alipay sur scène et sur un petit stand envahi de petits pandas en caoutchouc. Mieux encore, il a profité du salon pour faire tester son service aux clients du Caesar’s Palace et de ses restaurants, et dans les taxis. Discret, mais efficace !

La globalisation, une question cruciale de régulation

« La globalisation est une vraie tendance » a insisté Anju Patwardhan, directrice du fonds asiatique spécialisé dans les FinTechs Creditease, à l’occasion d’une table-ronde sur le sujet. « Ces entreprises chinoises veulent proposer leurs outils de paiement dans le monde entier. Mais des sociétés américaines et britanniques s’installent aussi ailleurs. » L’internationalisation des FinTechs rend les frontières beaucoup plus floues, en créant un véritable casse-tête pour les régulateurs. Pour Anju Patwardhan, il est très important de regarder la situation géographique quand on se préoccupe de la régulation. La Chine laisse le business se développer, sans réguler fortement pour l’instant. En Inde, en revanche, le gouvernement, les banques, les régulateurs réagissent plutôt en top down. Au Japon, pourtant globalement très régulé, le pays est plutôt pionnier du bitcoin, de la blockchain en général ou des prêts en ligne… Melissa Guzy, cofondatrice du VC Arbor Ventures, a tenu à lancer un avertissement au secteur : « La question d’une régulation globale est devenue cruciale. Si on ne s’en préoccupe pas, on va se réveiller un jour et Alipay se sera occupé de bâtir tout seul ce système global, en deux ou trois ans à peine ! »

À Money20/20, les FinTechs sont sorties de leurs frontières. De toutes leurs frontières. On ne parle plus uniquement des start-up, mais de la régulation, de la fraude, de la sécurité, des données et même du commerce. Tout est complètement croisé. Anju Patwardhan, qui a cité les opérateurs télécoms comme Orange ou Sintel à Singapour, raconte ainsi une autre histoire : « La société indonésienne Go Jek, par exemple, fournit un service de transport (taxis et motos-taxis), mais propose des services de paiement qui changent la façon dont les gens échangent argent. C’est ça, la définition de FinTech. » Et Melissa Guzy d’emboîter le pas à sa collègue : « la plus grande banque du monde, c’est WeChat et ses 600 millions de clients ! Il faut aussi regarder chez Uber qui propose des prêts, du leasing à ses chauffeurs, des e-wallets, et maintenant une carte. » Avant qu’une conclusion définitive s’impose à elle, et sans doute à tout l’événement : « Quoiqu’il en soit, celui qui va gagner cette guerre, c’est la Chine. »

 

1 Titulaire de la Chaire Henry Semat et professeur en physique théorique au City College de New York.
2 Fluide, intégrée.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº814
Notes :
1 Titulaire de la Chaire Henry Semat et professeur en physique théorique au City College de New York.
2 Fluide, intégrée.