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Innovation

Le monde étrange des Qbits à l’assaut de la finance

Créé le

13.07.2016

-

Mis à jour le

09.09.2016

Au-delà de l’informatique binaire traditionnelle avec ses 0 et ses 1 se niche l’informatique quantique. En partant sur des principes totalement différents, cette informatique promet une puissance de calcul incroyable. Et pourrait trouver des débouchés du côté de la finance et du trading.

Il n’est pas surprenant que la finance et la Bourse en particulier portent une affection toute particulière aux nouvelles technologies. Dans les années soixante, bien avant l’avènement de l’ordinateur personnel, Wall Street était déjà un client privilégié des sociétés de haute technologie, dont certaines étaient dans ce qui deviendrait bientôt la Silicon Valley. On pourra par exemple citer Quotron, une société de Los Angeles fondée par Jack Scantlin qui développa l’un des tout premiers systèmes d’affichage électronique en temps réel − c’est-à-dire à la minute près − dans les années soixante, des cotations des valeurs boursières à destination des traders. La firme est d’ailleurs devenue tellement iconique qu’on retrouve l’écran du Quotron, produit éponyme de la marque, dans le bureau de Michael Douglas, alias Gordon Gekko dans le film Wall Street de 1987. Et l’appétit de la finance pour des systèmes informatiques toujours plus efficaces, plus rapides et plus sûrs ne s’est pas démenti depuis. La finance est un secteur d’activité qui n’a eu de cesse d’attirer à lui les esprits les plus brillants, depuis qu'il s’est découvert une passion pour les mathématiques et de concrétiser des investissements technologiques conséquents, que ce soit pour gagner quelques précieuses microsecondes dans une transaction boursière numérisée ou pour améliorer, encore et toujours, la capacité des centres de calcul à modéliser le comportement d’un marché.

En 2016, la tendance informatique fondamentale qui semble être incontournable pour les acteurs de la finance est apparemment l’ordinateur quantique. C’est un ordinateur qui exploite les bizarreries de la physique quantique qui se produisent dans certains matériaux lorsqu’on les plonge à très basse température et qu’on les isole du monde extérieur. Sans être forcément versé dans la physique quantique, on pourra reprendre l’expérience de Schrödinger comme base du fonctionnement de l’ordinateur quantique. L’expérience imaginaire du chat de Schrödinger, physicien allemand né en 1887 est la suivante : si vous enfermez un chat dans une boîte hermétique avec une fiole de poison, qui se brise selon des conditions déterminées par un phénomène quantique, alors l’utilisateur ne peut pas savoir si le chat dans la boîte est mort ou vif. Pour Schrödinger, le chat est à la fois mort ET vivant. Ces deux états existent avec une certaine probabilité et c’est l’utilisateur, en ouvrant la boîte qui matérialise l’une de ces probabilités. L’ordinateur quantique exploite ce phénomène : il fonctionne non pas avec des bits (qui valent 1 ou 0), mais avec des Qbits (voire lexique), qui valent à la fois 1 et 0, de façon superposée. Cet état de superposition couplé à un nombre de qubits élevés permet de réaliser des opérations massivement parallèles pour résoudre des problèmes complexes à de multiples variables.

Pour qu’un ordinateur quantique fonctionne, il faut qu’il ait accès à un objet matérialisant le Qbit et disposant de propriété quantique. C’est le cas des photons, trop peu pratiques à isoler. Mais c’est aussi le cas des électrons dont le spin (haut ou bas) est une propriété quantique. Ce qui est intéressant avec le spin de l’électron, c’est qu’avant que l’utilisateur ne le mesure, le spin de l’électron est à la fois haut ET bas, avec un certain degré de probabilité. En d’autres termes, si l’on est capable d’isoler deux électrons, on dispose de 4 états superposés, contre 2 seulement pour l’informatique traditionnelle. De façon plus importante encore, si l’on est capable d’affecter des probabilités à chacun de ses spins, on peut alors effectuer des calculs sur ces probabilités grâce à un ordinateur quantique.

 

Des limitations d’usage

À l’heure actuelle, bien peu de sociétés se sont penchées sur le sujet. C'est que, techniquement, la chose est complexe, notamment pour l’isolation du monde extérieur, et des perturbations électromagnétiques (ondes radio, GSM, Wifi, par exemple), autant de précautions nécessaires pour maintenir chaque électron du processeur à Qbit dans un état de superposition quantique. Une société de Vancouver, D-Wave System commercialise une version simplifiée de l’ordinateur quantique, appelée « Quantum Annealer » permettant de résoudre certaines équations de façon quantique, notamment des problèmes d’optimisation à une multitude de variables. Certains scientifiques mettent en doute les performances de la machine de D-Wave, voire le fait qu’elle tire parti d’effets quantiques dans sa méthode de calcul. Pourtant, la NASA et Lockheed-Martin utilisent déjà une première version de l’appareil. Google, bon client de la maison, annonce que la version 2X du D-Wave est 100 millions de fois plus rapide que les ordinateurs du commerce. Google s’est même fendu d’une publication prouvant que le Quantum Annealer offrait bien un avantage sur les architectures traditionnelles en bénéficiant d’effets vraiment quantiques. Mais le doute subsiste. Selon Matthias Troyer, de l’Institut fédéral de technologie de Zurich, interrogé par The New Scientist en décembre dernier, la revendication de Google est au mieux douteuse : « L’amélioration de 100 millions par rapport à des algorithmes existants n’est vraie que pour certains problèmes connus pour être particulièrement difficile pour les ordinateurs classiques. » Le fait est que l’ordinateur quantique n’est pas fait pour tout le monde ni pour tous les problèmes. Vous n’en aurez pas sur votre bureau. Mais dans le calcul scientifique ou financier, il a son intérêt. Tout le problème réside surtout dans une conception assez radicale de l’informatique. Il n’existe pas vraiment de langage de programmation ou de compilateurs matures, aussi est-il délicat de comparer avec ce que nous connaissons. En plus, l’ordinateur quantique est une machine probabiliste. C’est-à-dire que si vous lui donnez le même problème à résoudre 100 fois, il devrait vous donner 100 fois la même réponse… Mais rien n’est certain, car chaque résultat ou état des différents Qbits, est assorti d’une probabilité d’existence. On le voit ici, beaucoup de chemin reste à parcourir sur le sujet, jusque dans l’interprétation des résultats livrés par l’étrange machine.

 

Le trading en ligne de mire

Si les premiers à adopter l’ordinateur quantique sont des industriels, les instituts financiers ne sont pas en reste. Parmi les investisseurs de D-Wave, on trouve des entreprises comme Goldman Sachs. En 2014 déjà, Ovidiu Racorean, du département de mathématique financière de SAV-Integrated Systems, publiait l'article suivant : « Décoder le comportement des marchés financiers à l’aide d’un ordinateur quantique », une affirmation pour le moins audacieuse, mais confirmée en 2015 par Marcos Lopez de Prado, de Guggenheim Partners, et Peter Carr, directeur du département Modélisation des marchés chez Morgan Stanley, qui publiaient également un article dans ce sens intitulé « Résoudre l’optimisation des trajectoires de trading en utilisant un Quantum Annealer ». L’article scientifique publié très récemment dans le sérieux IEEE Journal of Selected Topics in Signal Processing propose justement un problème classique d’optimisation adapté aux ordinateurs quantiques : comment faire pour qu’un investisseur disposant d’une somme donnée et ayant accès à un grand nombre de valeurs différentes optimise sa trajectoire d’investissement dans un portfolio multi-périodique ? Et l’équipe de chercheurs de proposer une méthode utilisant le Quantum Annealer de D-Wave. Les auteurs font également état des limitations actuelles du matériel. Notamment, le nombre de Qbits des processeurs quantiques devrait être porté à 1 000 pour rendre la procédure tout à fait utilisable dans l’industrie financière, mais les résultats sont encourageants, ce qui explique sans doute le vif intérêt des sociétés précitées dans la technologie quantique.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº799