Dans un objectif de libre concurrence à l’échelle européenne, MiFID I visait à supprimer le monopole des marchés réglementés nationaux sur les transactions boursières principalement actions en permettant le développement de places de négociation alternatives. Ainsi en plus des marchés réglementés (qui restent le point d’entrée pour les introductions en Bourse) et le gré à gré, une action peut être négociée sur :
- les systèmes multilatéraux de négociations (SMN ou, en anglais, Multilateral Trading Facility – MTF) qui organisent la confrontation multilatérale des intérêts vendeur et acheteur ;
- les « internalisateurs systématiques » (IS), le plus souvent des banques ou brokers qui, de façon organisée, fréquente et systématique, exécutent les ordres de leurs clients face à leur compte propre.
Le bilan de cette première directive reste très mitigé, avec des conséquences non anticipées par le régulateur.
Un bilan mitigé de MiFID 1, 10 ans après sa mise en œuvre
Les dérogations aux règles de transparence ont ainsi permis l’émergence de nouveaux pools de liquidité :
- les Dark Pools, MTF qui opèrent sans transparence prénégociation en application des dérogations prévues par la MIF (notamment en cas de négociation d’ordres dont la taille pourrait entraîner un décalage de cours s’il était rendu public) ;
- les Brokers Crossing Networks (BCN) qui sont des systèmes d’appariement internes d’ordres clients. Ils sont opérés par les banques et les brokers qui exécutent les ordres des clients face à ceux d’autres clients. Non spécifiés par MiFID, ils tombent sous le régime des marchés OTC et échappent à l’obligation de transparence.
Par ailleurs, les participants de marché ont dû lancer des investissements coûteux pour intervenir sur ces multiples lieux d’exécution. La baisse observée des coûts unitaires d’exécution (environ 30 %) n’a pas profité aux investisseurs, le coût moyen final par transaction ayant augmenté de 12 % du fait de l’augmentation des « spreads » et l’obligation de fractionner les transactions sur plusieurs niches de
Enfin, la baisse des coûts unitaires et la multiplication des lieux d’exécution (avec des pas de cotation parfois hétérogènes) ont facilité le développement du trading algorithmique à haute fréquence qui, en l’absence d’encadrement spécifique, a accru la volatilité des marchés. Selon une étude de l’ESMA il représente aujourd’hui près de 45 % des volumes et 75 % des ordres exécutés sur les marchés actions
Le modèle économique de la négociation et de l’intermédiation sous pression avec MiFID II
Ce contexte a conduit les régulateurs à corriger le cadre de MiFID 10 ans après et à l’étendre à la quasi-totalité des classes d’actifs, en particulier obligataires et dérivés : la deuxième directive sur les marchés d’instruments financiers, dite MiFID II, est ainsi entrée en vigueur le 3 janvier 2018. Les exigences de transparence ont été refondues pour les actions et étendues aux autres classes d’actifs : taux, change, dérivés… (voir Tableau 1). Un dispositif a été défini pour organiser la diffusion des données d’exécution (prix, volume…) à l’ensemble du marché avec la création des
Les coûts de mise en conformité ont été significatifs et représentent un réel défi pour l’ensemble des acteurs. Les clarifications tardives de
Par ailleurs une hausse de la structure des coûts est à craindre avec le renforcement de la fonction conformité (avec un périmètre de contrôle et de responsabilité accru). La multiplication des rapports à produire par les équipes opérationnelles (pour le régulateur, les clients et le marché), au fil de l’eau ou périodiques, avec des données sensibles, va s’accompagner d’une inflation des contrôles qualité.
La transparence accrue et la publication des coûts et frais chargés aux clients vont peser de manière progressive sur les marges à terme. Ces mesures doivent permettre aux investisseurs de mieux faire jouer la concurrence entre les fournisseurs de services. Elle se fera en revanche de manière très progressive. En effet, d’une part les obligations de transparence ne s’appliquent qu’aux instruments liquides. Or, l’ESMA a considéré comme liquide une minorité des instruments pour le démarrage (moins de 5 % des obligations sont liquides selon
D’autre part les investisseurs vont devoir se familiariser et s’équiper pour exploiter la masse de données qui va être disponible. Par exemple, l’affichage des coûts et charges est certes normé en termes de typologie, en revanche le format des rapports et les méthodologies de calcul sous-jacentes risquent d’être hétérogènes rendant la comparaison complexe (voir Tableau 2).
Vers une évolution majeure des modes de négociation
Les modes de négociations vont évoluer de manière significative pour répondre aux nouvelles obligations avec, pour les opérateurs, des incertitudes quant à leur capacité à conserver les clients, les volumes et les marges.
La négociation de gré à gré devient très limitée pour les actions. Elle va se réduire progressivement pour les autres instruments (obligations, taux, change…) en fonction de leur statut de liquidité (donné par l’ESMA) et de la taille des ordres. Les opérateurs doivent décommissionner leurs BCN et opter pour le statut d’IS pour leurs activités bilatérales (en compte propre). Les activités d’exécution des ordres des clients face à ceux d’autres clients (« matched principal
Les activités historiques de tenue de marché devront s’inscrire soit dans le cadre d’IS ou dans l’opération de MTF ou OTF. Le choix entre ces deux options sera principalement dicté par la capacité d’investissement et les contraintes capitalistiques de ces acteurs. Le statut d’IS nécessite peu d’investissement mais impose une prise de risque réel engageant le compte propre. A contrario, l’opération de plateformes est certes moins risquée mais repose sur des technologies souvent coûteuses.
Ces mouvements nécessitent un travail significatif de pédagogie auprès des clients. Bien que le périmètre des instruments éligibles à la négociation OTC reste large, on constate une pression des clients, des régulateurs (notamment la FCA) et de la concurrence pour basculer dès à présent les activités OTC vers les IS, MTF et OTF (voir Tableau 3). Ce mouvement va accélérer la réduction de la négociation OTC, le développement des plateformes électroniques et la pression sur les marges (les brokers devant passer d’un modèle « en écart de cours » à un modèle de commissions).
La publication des données de négociation va être plus large et mieux organisée avec la création de nouveaux acteurs régulés (les « APA » et les « CTP »). Convenablement exploitées, elles pourraient donner une plus grande autonomie aux acteurs du buy-side et remettre en question le rôle de l’intermédiation qui avait traditionnellement un accès privilégié à ces informations. Cependant, les négociateurs et teneurs de marché devraient rester incontournables pour la formation des prix des instruments les moins liquides. Par exemple sur l’obligataire, très peu d’instruments sont liquides et même les titres les plus échangés ont une liquidité limitée dans le temps. Un carnet d’ordre transparent n’est pas un canal adéquat contrairement au teneur de marché traditionnel qui affiche un prix en permanence.
Enfin, l’exigence de reporting parfois en temps réel d’un volume important de
Un projet réglementaire très ambitieux
La portée de ces mouvements reste parfois difficile à évaluer du fait d’incertitudes juridiques et d’un projet réglementaire très ambitieux. Toutefois, les acteurs du marché s’attendent à ce que ces nouvelles dispositions bouleversent le mécanisme de découverte des prix – qui est au cœur de l’activité de la négociation – au cours des prochaines années. Il est essentiel pour les acteurs de repenser leur modèle économique, opérationnel et technologique dans un environnement encore plus ouvert et concurrentiel.
Dans un prochain article nous étudierons les orientations stratégiques s’offrant aux acteurs de marché pour se positionner face à ces changements majeurs.