La microfinance en Afrique : une convergence vers le digital

Avec plus de 600 acteurs en UEMOA [1] et 800 en CEMAC [2] , l&rsquo;Afrique subsaharienne pr&eacute;sente un paysage tr&egrave;s morcel&eacute; et &eacute;volue dans des contextes r&eacute;glementaires h&eacute;t&eacute;rog&egrave;nes. La plupart des institutions de microfinance (IMF) y sont des coop&eacute;ratives pour pr&egrave;s d&rsquo;un tiers, suivies par les institutions financi&egrave;res non bancaires (25 %), et, &agrave; &eacute;galit&eacute;, par les ONG (20 %) et les banques (20 %) [3] . Les IMF appartenant au secteur formel (les banques de microfinance ou les institutions financi&egrave;res non bancaires) sont soumises &agrave; une r&eacute;glementation et une supervision sp&eacute;cifiques par les autorit&eacute;s de tutelle, Banque centrale et/ou minist&egrave;re des Finances. Le secteur semi-formel r&eacute;unit les organisations non gouvernementales, les mutuelles, les coop&eacute;ratives parfois regroup&eacute;es en conf&eacute;d&eacute;ration, qui ne sont pas toujours soumises &agrave; une r&eacute;glementation et une supervision bancaire. Le secteur informel inclut des initiatives &agrave; base communautaire n&rsquo;ayant pas d&rsquo;existence juridique mais avant tout un r&ocirc;le d&rsquo;entraide locale. Pour les experts des Nations Unies, la microfinance est aujourd&rsquo;hui une composante essentielle du syst&egrave;me financier dans les pays du Sud, mais elle a encore de nombreux d&eacute;fis &agrave; relever : &agrave; commencer par rester un outil au service du d&eacute;veloppement et de l&rsquo;inclusion financi&egrave;re des populations, en maintenant l&rsquo;&eacute;quilibre entre sa mission sociale et sa viabilit&eacute; &eacute;conomique. Un march&eacute; de plus en plus concurrentiel Que ce soit les &laquo; tontines &raquo; du Cameroun, les &laquo; susu collection &raquo; du Ghana ou les &laquo; banquiers ambulants &raquo; du B&eacute;nin, une part importante des services de microfinance appartient au secteur informel dans des pays o&ugrave; l&rsquo;inclusion bancaire est tr&egrave;s faible. Ces interm&eacute;diaires op&egrave;rent depuis toujours dans les zones urbaines et p&eacute;riurbaines et pr&ecirc;tent aux personnes &agrave; faibles revenus contre des taux d&rsquo;int&eacute;r&ecirc;t plut&ocirc;t &eacute;lev&eacute;s et sans aucun agr&eacute;ment. Selon les chiffres du World Council of Credit Unions [4] , les Unions de cr&eacute;dit ont connu un essor important sur le continent. A fin 2016, le nombre de ces coop&eacute;ratives atteignait 21 724 pr&eacute;sentes dans 25 pays. Elles font toutefois face &agrave; une concurrence des banques qui deviennent de plus en plus engag&eacute;es dans la microfinance, des caisses d&rsquo;&eacute;pargne aux banques commerciales traditionnelles. Les premi&egrave;res (y compris les banques postales) datent de l&rsquo;&egrave;re coloniale et s&rsquo;appuient aujourd&rsquo;hui sur un large r&eacute;seau pour servir les plus pauvres et les petits &eacute;pargnants, d&rsquo;Afrique du Nord &agrave; l&rsquo;Afrique du Sud. Alors que de plus en plus de banques commerciales introduisent des produits de microfinance dans leur gamme, motiv&eacute;es par les perspectives de profitabilit&eacute;, plusieurs IMF ont &eacute;merg&eacute; dans des pays africains en tant qu&rsquo;institutions financi&egrave;res non bancaires mobilisant des d&eacute;p&ocirc;ts et proposant du microcr&eacute;dit. La plupart des ONG de microfinance ont quant &agrave; elles une activit&eacute; centr&eacute;e autour du microcr&eacute;dit et appartiennent pour la plupart &agrave; des r&eacute;seaux internationaux, avec un caract&egrave;re humanitaire ou social. Enfin, certains groupes bancaires internationaux ont fait le choix de s&rsquo;appuyer sur leurs filiales locales pour nouer des liens de partenariat avec des IMF dans le but de financer des projets en devises locales. C&rsquo;est le cas du Groupe BNP Paribas, dont les experts en microfinance de chaque territoire s&eacute;lectionnent les IMF &agrave; soutenir sur la base de la qualit&eacute; des op&eacute;rations, de la transparence et de la performance sociale des institutions. C&rsquo;est le cas &eacute;galement de la Soci&eacute;t&eacute; G&eacute;n&eacute;rale de Banques au S&eacute;n&eacute;gal (SGBS) avec la cr&eacute;ation de sa filiale Manko, interm&eacute;diaire en op&eacute;rations de banque, qui diffuse le cr&eacute;dit &agrave; la consommation via son r&eacute;seau d&rsquo;agents en scooter [5] . Notons aussi que plusieurs banques interviennent en refinan&ccedil;ant des IMF, tels que la Banque Nationale de D&eacute;veloppement Agricole (BNDA) au Mali, Ecobank ou encore le Groupe Bank of Africa (BOA). Une mutualisation n&eacute;cessaire Les IMF n&rsquo;ont souvent d&rsquo;autres choix que de mutualiser leurs forces avec d&rsquo;autres. C&rsquo;est ce que l&rsquo;on constate actuellement avec des regroupements op&eacute;r&eacute;s en Afrique de l&rsquo;Ouest par Pamiga qui, depuis sa cr&eacute;ation en 2005, a d&eacute;velopp&eacute; un r&eacute;seau de 14 IMF implant&eacute;es dans 10 pays d'Afrique subsaharienne. La Conf&eacute;d&eacute;ration des institutions financi&egrave;res d&rsquo;Afrique de l&rsquo;Ouest (CIF) au Burkina Faso est, aujourd&rsquo;hui, un regroupement r&eacute;gional de coop&eacute;ratives financi&egrave;res, fond&eacute; sur la solidarit&eacute; de six grandes f&eacute;d&eacute;rations nationales de coop&eacute;ratives d&rsquo;&eacute;pargne et de cr&eacute;dit dans cinq pays de la zone UEMOA. Au d&eacute;but de l&rsquo;ann&eacute;e 2018, Microcred S&eacute;n&eacute;gal a annonc&eacute; l&rsquo;int&eacute;gration de FIDES Microfinance S&eacute;n&eacute;gal au sein de son r&eacute;seau. D&rsquo;autres exemples incluent la FUCEC au Togo, le R&eacute;seau des caisses populaires au Burkina Faso, les MUCODEC au Congo ou les CECAM &agrave; Madagascar. Une pression r&eacute;glementaire qui s&rsquo;accentue Les IMF doivent respecter une s&eacute;rie de r&eacute;glementations nationales (reporting financier et comptable) et internationales, notamment celles li&eacute;es &agrave; la lutte antiblanchiment ou la lutte contre la fraude. Or on constate une surench&egrave;re dans les obligations de reporting r&eacute;glementaire. Le professeur Fulbert Amoussouga Gero, de l&rsquo;universit&eacute; d&rsquo;Abomey-Calavi, expliquait en 2016 cette pression par le risque syst&eacute;mique qu&rsquo;elles font courir au syst&egrave;me financier : &laquo; en prenant plus de maturit&eacute;, la plupart des IMF cherchent &agrave; am&eacute;liorer le financement de leur croissance, en vue d&rsquo;offrir une gamme plus large de services financiers &agrave; leurs client&egrave;les. En proc&eacute;dant ainsi, elles font courir d&rsquo;importants risques &agrave; l&rsquo;&eacute;pargne publique, d&rsquo;o&ugrave; l&rsquo;int&eacute;r&ecirc;t que leur portent, au plus haut degr&eacute;, les autorit&eacute;s en charge de la r&eacute;gulation et de la supervision du secteur financier, dans l&rsquo;optique de prot&eacute;ger les int&eacute;r&ecirc;ts des clients et le syst&egrave;me financier dans son ensemble &raquo; [6] . Compte tenu de la diversit&eacute; de situations de ces IMF, la question qui se pose est de savoir si ces institutions peuvent et doivent &ecirc;tre toutes soumises au m&ecirc;me type de r&eacute;glementation et de supervision. Actuellement, la Banque centrale est l&rsquo;organe de r&eacute;glementation et de supervision des IMF dans 31 pays, certaines d&rsquo;entre elles &eacute;tant supervis&eacute;es par le minist&egrave;re des Finances ou un autre organisme gouvernemental. En zone UEMOA, une loi dite PARMEC, adopt&eacute;e en 1993, visait &agrave; harmoniser le statut juridique des IMF au sein de la zone tout en permettant aux minist&egrave;res des Finances nationaux de d&eacute;livrer des licences d&rsquo;exploitation aux coop&eacute;ratives de cr&eacute;dit et aux coop&eacute;ratives financi&egrave;res exclusivement. En 2007, la loi PARMEC a &eacute;t&eacute; r&eacute;vis&eacute;e pour favoriser le d&eacute;veloppement d&rsquo;entreprises &agrave; but lucratif en uniformisant la d&eacute;livrance des licences &agrave; tous types d&rsquo;acteurs de microfinance. Quant &agrave; l&rsquo;Afrique centrale, pour pallier la situation de vide juridique qui avait accompagn&eacute; le d&eacute;veloppement de la microfinance dans les ann&eacute;es 1990, le r&eacute;gulateur des &Eacute;tats de la CEMAC a r&eacute;glement&eacute; ce secteur d&egrave;s 2002 en distinguant trois cat&eacute;gories d&rsquo;&eacute;tablissements de microfinance, en les soumettant &agrave; des r&egrave;gles et obligations sp&eacute;cifiques. Aujourd&rsquo;hui encore, la r&eacute;glementation est appel&eacute;e &agrave; &eacute;voluer. C&rsquo;est notamment la demande d&rsquo;acteurs de march&eacute; qui souhaitent qu&rsquo;elle accompagne leur d&eacute;veloppement. C&rsquo;est le cas en Tunisie o&ugrave; Essma Ben Hamida, fondatrice et directrice d&rsquo;Enda Tamweel, expliquait en mai 2017 : &laquo; Aujourd&rsquo;hui, le minist&egrave;re des Finances et la Banque centrale disposent d&rsquo;un cadre l&eacute;gislatif, ce qui est un grand pas en avant. M&ecirc;me si la loi est favorable, elle ne nous autorise qu&rsquo;&agrave; accorder des microcr&eacute;dits alors que nous aspirons &agrave; &eacute;voluer [7] . &raquo; Et de citer comme nouveaux modes de refinancement, dans la palette du possible des IMF, l&rsquo;acc&egrave;s aux capitaux. Une volont&eacute; d&rsquo;innovation Pour r&eacute;duire les co&ucirc;ts, augmenter leur port&eacute;e dans les zones difficiles d&rsquo;acc&egrave;s et am&eacute;liorer le confort des clients, le t&eacute;l&eacute;phone mobile est vite apparu comme la panac&eacute;e. En 2011, une &eacute;tude chiffrait d&eacute;j&agrave; que la microfinance sur mobile pouvait permettre de r&eacute;duire les co&ucirc;ts op&eacute;rationnels des IMF de 20 % &agrave; 50 % [8] . Microcred, un groupe de finance digitale sp&eacute;cialis&eacute; dans l&rsquo;inclusion financi&egrave;re pr&eacute;sent notamment en Afrique, a par exemple cherch&eacute; &agrave; se d&eacute;velopper en multipliant ses activit&eacute;s dans le domaine des nouvelles technologies appliqu&eacute;es aux services financiers avec le lancement, du r&eacute;seau Baobab, qui permet de simplifier l&rsquo;ouverture d&rsquo;un compte bancaire par le biais d&rsquo;un r&eacute;seau de commer&ccedil;ants locaux partenaires. Sa filiale Microcred Madagascar (MBM) a annonc&eacute; en f&eacute;vrier 2017 vouloir aller encore plus loin et donner une place centrale &agrave; la t&eacute;l&eacute;phonie, en permettant &agrave; ses usagers non seulement d&rsquo;effectuer des paiements depuis leur mobile, mais aussi de contracter des cr&eacute;dits [9] . Malgr&eacute; son potentiel, la banque mobile a essentiellement &eacute;t&eacute; port&eacute;e par des op&eacute;rateurs de t&eacute;l&eacute;phonie mobile et, dans une moindre mesure, par certaines grandes banques. Jusqu&rsquo;ici, les IMF n&rsquo;ont, sauf exception, pas jou&eacute; de r&ocirc;le d&eacute;terminant dans la mise en œuvre de ces services. Pour le think tank CGAP (Consultative Group to Assist the Poor), les deux mondes ne convergent pas suffisamment pour permettre aux IMF de profiter pleinement du d&eacute;veloppement de la monnaie mobile, en l&rsquo;&eacute;tat. &laquo; La plupart des dispositifs de banque mobile offrent des transferts, un service rarement propos&eacute; par les IMF. &Agrave; vrai dire, les IMF et les entreprises de banque mobile qui r&eacute;ussissent &eacute;voluent aujourd&rsquo;hui dans deux univers bien distincts. L&rsquo;univers des IMF est ax&eacute; sur le cr&eacute;dit, et dans une moindre mesure sur l&rsquo;&eacute;pargne ; celui de la banque mobile sur les transferts et les paiements. L&rsquo;univers des IMF utilise des syst&egrave;mes &ldquo;back-end&rdquo; peu sophistiqu&eacute;s ; celui de la banque mobile emploie certains des syst&egrave;mes &ldquo;back-end&rdquo; les plus perfectionn&eacute;s qui soient (plus encore que ceux de certaines banques). L&rsquo;univers des IMF est tourn&eacute; vers la cr&eacute;ation d&rsquo;infrastructures &agrave; faible co&ucirc;t reposant sur l&rsquo;intervention humaine ; celui de la banque mobile est intrins&egrave;quement li&eacute; &agrave; une infrastructure de syst&egrave;mes de paiement. Il n&rsquo;est donc pas surprenant que ces deux univers ne soient pas encore en phase &raquo;, selon une note du think tank [10] . L&rsquo;une des options consiste &agrave; d&eacute;velopper son propre syst&egrave;me de monnaie &eacute;lectronique, &agrave; l&rsquo;image d&rsquo;Equity Bank : la banque k&eacute;nyane a indiqu&eacute;, lors de la publication de ses r&eacute;sultats en mars 2017, avoir octroy&eacute; 85 % de ses pr&ecirc;ts en volume de fa&ccedil;on automatique, la conversion en esp&egrave;ces se faisant aupr&egrave;s d&rsquo;un r&eacute;seau d&rsquo;agents locaux. &Eacute;quip&eacute;s d&rsquo;une simple tablette, les agents des IMF ont aujourd&rsquo;hui la possibilit&eacute; d&rsquo;ouvrir des comptes en ligne via une proc&eacute;dure digitalis&eacute;e (photo du client, signature &eacute;lectronique, scan des cartes d&rsquo;identit&eacute;), de remplir les demandes de pr&ecirc;ts via un formulaire d&eacute;mat&eacute;rialis&eacute; et de renseigner la base de donn&eacute;es avec les informations sur les conditions de vie de chaque foyer. Les coop&eacute;ratives de microfinance comme les banques doivent d&eacute;sormais s&rsquo;appuyer sur des structures organis&eacute;es ayant recours &agrave; des syst&egrave;mes d&rsquo;information de type bancaire, g&eacute;rant la tenue des comptes, l&rsquo;octroi et la gestion des dossiers de cr&eacute;dit de mani&egrave;re fiable et s&eacute;curis&eacute;e. Comme la plupart de ces structures disposent de faibles ressources techniques et financi&egrave;res, l&rsquo;acc&egrave;s au syst&egrave;me d&rsquo;information en mode licence appara&icirc;t peu adapt&eacute;. En revanche, l&rsquo;acc&egrave;s en mode service internet pr&ecirc;t &agrave; l&rsquo;emploi permet d&rsquo;englober l&rsquo;ensemble des briques du syst&egrave;me d&rsquo;information (infrastructure, progiciels, prestations de mise en œuvre et d&rsquo;exploitation, s&eacute;curit&eacute;&hellip;). Dans tous les cas, un socle robuste est indispensable pour une digitalisation compl&egrave;te de bout en bout des op&eacute;rations de microfinance. Il devrait garantir une meilleure s&eacute;curisation des avoirs et par l&agrave; m&ecirc;me une acc&eacute;l&eacute;ration de la diffusion des produits de microfinance. 1 Union &eacute;conomique et mon&eacute;taire ouest africaine &ndash; https://www.bceao.int/sites/default/files/2018-02/Indicateurs%20%C3%A0%20fin%20septembre%202017-1.pdf . 2 Communaut&eacute; &eacute;conomique et mon&eacute;taire de l'Afrique centrale. 3 https://www.slideshare.net/MIXdsheth/2012-subsaharan-africa-regional-snapshot. 4 https://www.woccu.org/impact/global_reach/region/af. 5 Lire aussi le reportage sur Manko, p. 5. 6 Pr&eacute;face du rapport &laquo; R&eacute;glementation et supervision des institutions de microfinance en Afrique centrale &raquo;, Elias T. Ayuk et Georges Kobou, Editions CRDI, juillet 2016. 7 https://www.ideas4development.org/uploads_old/2017/07/2017-05-30-Conference-Vulnerabilites-et-crises-quels-roles-pour-les-entreprises.pdf . 8 Beyond Payments: Next Generation Mobile Banking for the Masses, PlaNet Finance, Oliver Wyman, 2011. 9 L&rsquo;offre de cr&eacute;dit digital est disponible au S&eacute;n&eacute;gal. Lire p. 12. 10 https://www.cgap.org/sites/default/files/CGAP-Focus-Note-Microfinance-and-Mobile-Banking-The-Story-So-Far-Jul-2010-French.pdf .

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La microfinance en Afrique : une convergence vers le digital

Pour répondre à la demande croissante – plus de 130 millions de clients à travers le monde –, la microfinance s’est progressivement structurée, réglementée, et a élargi sa palette d’acteurs. En Afrique, où le secteur est en plein boom, la digitalisation bat son plein.

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