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Gel des avoirs

La lutte contre le financement du terrorisme est-elle efficace ?

Créé le

23.08.2016

-

Mis à jour le

12.10.2016

Les lignes directrices publiées conjointement par l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) et la Direction générale du Trésor (DG Trésor), autorité nationale compétente en matière de sanctions économiques et financières, concernent les mesures de gel des avoirs applicables en France et apportent des clarifications aux établissements financiers. Néanmoins, l’efficacité de leur mise en application, notamment le filtrage des noms des clients et bénéficiaires effectifs, pourrait être améliorée par une mutualisation des outils et des contrôles centralisés au niveau national.

L’ACPR et la DG Trésor ont diffusé au mois de juin des lignes directrices conjointes, fort utiles pour clarifier les obligations en matière de gel des avoirs. Sur ce sujet, devenu majeur à l’aune des événements dramatiques qui ont secoué la France comme d’autres pays, force est de constater que le sujet est épineux, sensible, et que l’on est en droit de s’interroger sur l’efficacité des mesures mises en œuvre depuis les premiers règlements européens de 2001.

Les lignes directrices rappellent que « les mesures de gel s’inscrivent dans le cadre de régimes de sanctions économiques ou financières. Les sanctions sont décidées par l’Organisation des Nations Unies (ci-après ONU), l’Union européenne (ci-après UE) ou par des États pour restreindre les relations économiques et financières avec un État, des personnes, des entités ou des groupements de fait. Les sanctions décidées par l’UE sont qualifiées de mesures restrictives […] les régimes de sanctions économiques et financières poursuivent différents objectifs d’intérêt général, tels que la lutte contre le terrorisme, la lutte contre la prolifération nucléaire, la coercition en réaction à des violations graves des droits de l’homme ou à des actes menaçant la paix. Les mesures prises dans le cadre de ces régimes sont diverses, le gel des avoirs n’en constituant qu’une catégorie. »

Des textes européens…

Les avoirs, selon les règlements européens, portent sur les fonds et les ressources économiques des personnes et entités désignées.

La définition de « fonds » est rappelée : il s’agit des « actifs financiers » et d’« avantages de toute nature, y compris, mais pas exclusivement :

  • le numéraire, les chèques, les créances en numéraire, les traites, les ordres de paiement et autres instruments de paiement ;
  • les dépôts auprès d'institutions financières ou d'autres entités, les soldes en comptes, les créances et les titres de créances ;
  • les instruments de la dette au niveau public ou privé, et les titres négociés notamment les actions et autres titres de participation, les certificats de titre, les obligations, les billets à ordre, les warrants, les titres non gagés, les contrats sur produits dérivés ;
  • les intérêts, les dividendes ou autres revenus d'actifs ou plus-values perçus sur des actifs ;
  • le crédit, le droit à compensation, les garanties, les garanties de bonne exécution ou autres engagements financiers ;
  • les lettres de crédit, les connaissements, les contrats de vente ;
  • tout document attestant la détention de parts d'un fonds ou de ressources financières,
  • tout autre instrument de financement à l'exportation. »
Les ressources économiques, quant à elles, désignent «  les avoirs de quelque nature que ce soit, corporels ou incorporels, mobiliers ou immobiliers, qui ne sont pas des fonds mais peuvent être utilisés pour obtenir des fonds, des biens ou des services. »

La notion de « gel » est ainsi précisée : « toute action visant à empêcher tout mouvement, transfert, modification, utilisation, manipulation de fonds ou accès à ces fonds qui auraient pour conséquence un changement de leur volume, de leur montant, de leur localisation, de leur propriété, de leur possession, de leur nature, de leur destination ou toute autre modification qui en permettrait l'utilisation, notamment la gestion de portefeuille. »

…au dispositif national

Le périmètre du gel des avoirs fixé par le dispositif national en application des textes européens recouvre les fonds remboursables du public détenus ou versés sur des comptes de dépôts, des comptes courants ou des comptes d’épargne tels que les livrets A et les livrets de développement durable, les fonds déposés ou détenus sur des comptes de paiement, les fonds versés pour charger des instruments de monnaie électronique et les valeurs monétaires stockées sur ces instruments, les fonds versés dans le cadre d’un contrat individuel ou collectif de gestion d’actifs.

Par ailleurs, les lignes directrices apportent une clarification des institutions concernées par le dispositif national de gel des avoirs : il s’agit des organismes financiers assujettis aux obligations de LCB-FT et qui détiennent ou reçoivent des fonds, instruments financiers ou ressources économiques.

Il est également précisé que « les succursales établies en France des organismes financiers dont le siège social est situé dans l’EEE sont également assujetties à ces obligations. Il en est de même des établissements de paiement et de monnaie électronique européens qui exercent en France en libre établissement en ayant recours à des agents ou des distributeurs. De plus, les organismes financiers dont le siège social est situé dans l’EEE et qui agissent sur le territoire national en libre prestation de services (par exemple, sur internet) sont assujettis aux obligations nationales de gel des avoirs. »

En revanche, les plates-formes de crowdfunding ne sont pas soumises au gel des avoirs en tant qu’intermédiaires, mais les établissements de paiement avec lesquels elles ont un contrat d’agent le sont : « si les intermédiaires en financement participatif sont soumis aux mesures européennes de gel des avoirs puisque les services qu’ils proposent permettent de mettre des fonds à la disposition d’une personne ou entité désignée ou à celle-ci de les utiliser, ces intermédiaires ne sont pas soumis aux obligations nationales de gel des avoirs. Leur activité consiste, en effet, à mettre en relation les porteurs d'un projet déterminé et les personnes finançant ce projet, sans recevoir de fonds. Il leur appartient de prendre en compte les mesures nationales de gel dans le cadre de leur dispositif LCB-FT (classification des risques, adaptation des mesures de vigilance, déclaration de soupçon), notamment lorsqu’une personne ou entité a été désignée en raison d’activités terroristes. En outre, l’obligation de mise en œuvre des mesures de gel incombe aux prestataires de services de paiement au nom et pour le compte duquel les intermédiaires en financement participatif agissent comme agents ou distributeurs. »

Au-delà de ce rappel sur les personnes concernées, les lignes directrices précisent que les systèmes de filtrage doivent permettre de couvrir à la fois les bases clients (le stock) mais également les opérations de réception et mise à disposition de fonds, instruments financiers et ressources économiques (les flux).

Quels outils pour le filtrage ?

Les lignes directrices déjà citées indiquent qu’il n’est pas imposé de se doter d’outils automatisés de filtrage des bases clientèle et des opérations au profit des personnes ou entités désignées, mais en revanche, ce dispositif automatisé est très souhaitable et s’avère nécessaire, lorsque la taille de l’organisme ainsi que la nature et le volume de ses activités ne permettent pas une détection manuelle en temps réel.

Le document rappelle également que l’efficacité d’un dispositif de détection repose sur l’exhaustivité et la qualité des données d’identité de la clientèle figurant dans les bases clients ou dans les messages d’opérations. En outre, « le paramétrage du dispositif, la fréquence de filtrage, le délai de traitement des alertes sont également des éléments essentiels pour l’efficacité du dispositif ».

Pour les opérations qui ne seraient pas couvertes par le dispositif automatisé de filtrage, les organismes financiers peuvent utiliser un dispositif manuel à la condition que cette modalité de filtrage permette une détection efficace et qu’ils puissent justifier de cette efficacité.

Il est également rappelé que non seulement la liste européenne mais aussi la liste nationale des personnes et entités faisant l’objet de mesures de gel des avoirs sont à prendre en compte. Pour ce faire, « il est ainsi recommandé aux organismes financiers de se reporter à la liste unique publiée par la DG Trésor, celle-ci incluant toutes les personnes et entités listées au titre des dispositifs national et européen. » L’application de cette recommandation suppose néanmoins que la liste de la DG Trésor soit actualisée à chaque mise à jour des arrêtés de gel des avoirs.

Enfin, les lignes directrices évoquent les attendus des autorités sur le paramétrage des outils de filtrage.

« Le dispositif automatisé doit permettre de détecter les personnes ou les entités dont le nom, le prénom ou l’alias ou la dénomination sociale sont identiques ou se rapprochent, avec un taux raisonnable de concordance, des éléments d’identification d’une personne ou entité désignée.

Des critères orthographiques trop restrictifs dans le paramétrage de l’outil de filtrage ne permettent pas une détection efficace des opérations au profit des personnes ou entités désignées. Les organismes financiers s’assurent donc que leur outil de filtrage ne repose pas sur une fonction de rapprochement de type “exact match”. Ils sont invités à définir un taux de concordance qui permet de détecter les différentes variations orthographiques des éléments d’identification des personnes ou entités désignées en particulier lorsque ceux-ci sont issus de langues ou d’alphabets étrangers.

Afin d’améliorer l’efficacité du dispositif, les organismes peuvent aussi prévoir une comparaison avec des chaînes de caractères “nettoyés” (suppression des accents, espaces, tirets) ou phonétiques. »

Rappelons que des sanctions prononcées par la Commission des sanctions de l’ACPR avaient déjà mis en exergue, au travers de certains griefs, que le dispositif de filtrage ne devait pas se contenter d’un « exact match ». Ainsi, la sanction rendue le 24 octobre 2012 sur l’établissement de crédit A indiquait, dans le cadre du grief 52, que « les modalités de filtrage de la base clients appliquées au sein de l’entité française du métier banque privée ne permettent pas de détecter de manière satisfaisante les personnes qui font l’objet de sanctions financières, en raison du recours à des critères orthographiques restrictifs (fonction “exact match”) ; qu’un tel paramétrage ne permet en effet de détecter une personne listée que si le nom de la personne correspond parfaitement au nom inscrit sur la liste de sanction, sans prendre en compte les variations orthographiques qui peuvent exister et qui sont en partie mentionnées dans les listes de sanction ». La jurisprudence des sanctions a, en quelque sorte, précédé la soft law des lignes directrices.

Une mutualisation souhaitable

Ces lignes directrices sont donc très utiles pour clarifier les attentes des autorités en matière de dispositifs de lutte contre le financement du terrorisme. Il n’en demeure pas moins que l’efficacité de ces dispositifs n’est pas forcément au rendez-vous, les activités les plus risquées (transmissions de fonds par exemple) étant exercées par des établissements souvent d’une taille modeste, qui n’ont pas les moyens de s’équiper des outils les plus sophistiqués.

Une surveillance centralisée au niveau de TRACFINB ou de la DG Trésor (à partir d’informations remontées par les établissements sur l’identité des clients, des bénéficiaires effectifs, des donneurs d’ordres et des bénéficiaires d’opérations) permettrait probablement de mettre plus de moyens sur la sophistication des outils de filtrage et d’éviter que chaque établissement refasse le même travail de filtrage déjà réalisé par d’autres établissements, avec pour certains une efficacité très limitée. Autant la vigilance sur les comportements atypiques des clients se conçoit au niveau de chaque établissement, autant l’efficacité du filtrage par rapport aux listes officielles serait renforcée par une meilleure mutualisation des contrôles.

Ainsi, les dépenses considérables engagées par chaque établissement dans le cadre du filtrage rapportées aux maigres résultats devraient entraîner une réflexion d’ensemble sur la refonte de ce dispositif de surveillance.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº800