La loi 2016-1691 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption, et à la modernisation de la vie économique a été publiée au Journal Officiel du 10 décembre dernier. Portée par Michel Sapin, déjà à la manœuvre sur le sujet de la lutte contre la corruption en
Un retard à combler par rapport aux standards internationaux
Alors que la loi de 1993 avait fortement mis l’accent sur le renforcement de la transparence dans le champ de la politique et des pouvoirs publics, la France accuse un retard certain dès lors qu’il s’agit de montrer qu’elle attend l’exemplarité des acteurs économiques en la matière, et notamment de ses fleurons nationaux. Le retard s’avère encore plus significatif lorsqu’il s’agit de punir les mauvais élèves. Les amendes records dont la presse s’est fait l’écho, visant Total ou
Le Foreign Corrupt Practices Act (FCPA), bien que publié en 1977 dans un environnement très chahuté marqué par l’affaire du Watergate, reste ainsi plus que jamais d’actualité. Sa mise en œuvre demeure aux États-Unis une des priorités conjointes du Department of Justice (DOJ) et de la Securities and Exchange Commission (SEC). Le Royaume-Uni n’est pas en reste : le UK Bribery Act, publié en juillet 2011, est reconnu comme un des textes les plus exigeants en matière de lutte contre la corruption.
Les États-Unis sont connus pour le caractère extraterritorial de leurs lois, dès lors que sont impliqués des entreprises américaines, des citoyens américains, des transactions en dollars… Le UK Bribery Act intègre également une portée extraterritoriale : ainsi, les entreprises françaises y sont soumises dès lors qu’elles exercent une activité au Royaume-Uni (sous forme de filiale ou de succursale), ou qu’elles sont partenaires de sociétés qui y sont pleinement assujetties, et ce quel que soit le lieu de commission de l’infraction. Ceci étant dit, les grands acteurs français de l’économie devraient donc déjà disposer d’un dispositif solide en matière de lutte contre la corruption, et la loi Sapin ne devrait pas donc réinventer la roue… Qu’exige donc la loi de la part des entreprises ?
Les dispositions majeures introduites par la loi Sapin 2
En préambule, signalons que la loi prévoit la création d’une Agence française anticorruption (AFA). L’AFA remplacera l’actuel Service central de prévention de la corruption (SCPC) et devrait se voir allouer des moyens renforcés pour répondre à ses missions, notamment celle de contrôle, en cohérence avec son pouvoir de sanction : 70 personnes devraient ainsi rejoindre les effectifs de l’AFA. Ce chiffre peut sembler dérisoire par rapport à l’étendue de la tâche, mais constitue une envolée par rapport à la situation actuelle : le SCPC compte 12 personnes !
L’AFA aura, entre autres, pour mission de contrôler le respect, par les personnes assujetties, des mesures prévues au titre de l’article 17 de la loi. Cet article vise à ancrer le dispositif de lutte contre la corruption au sein de l’économie, par des mesures concrètes à la charge des entreprises :
- élaboration d‘un code de conduite, intégré au règlement intérieur et illustrant les types de comportements à proscrire ;
- mise en place d’un dispositif d’alerte interne à l’attention des salariés ;
- réalisation d’une cartographie des risques visant à piloter les risques de corruption, en fonction des activités exercées et des zones géographiques ;
- mise en œuvre de procédures d’évaluation des clients, fournisseurs de premier rang et intermédiaires au regard des risques potentiels identifiés ;
- mise en place de procédures de contrôles comptables visant spécifiquement à s’assurer que des cas de corruption ne sont pas masqués par des artifices comptables ;
- déploiement d’un dispositif de formation à l’attention des personnels concernés,
- définition d’un régime disciplinaire permettant de sanctionner les salariés de la société en cas de violation du code de conduite de la société ;
- déploiement d’un dispositif de contrôle interne permettant de s’assurer de la réalité de la mise en œuvre de l’ensemble de ces points.
La loi a donc pour ambition de créer un véritable dispositif préventif, visant à éviter les manquements en matière de lutte contre la corruption, et ce même si aucun cas de corruption avérée n’est à signaler, ce qui va plus loin que les exigences du Bribery Act ou du FCPA. Ces deux textes de loi ont certes été complétés par des principes ou lignes directrices visant à illustrer les mesures attendues des législateurs, mais ces dernières ne présentent pas de caractère impératif. Dans l’esprit, certains points sont proches de Sapin 2, avec toutefois quelques nuances : un des six principes clés du Bribery Act est ainsi la formalisation et la révision régulière d’une cartographie des risques. Le DOJ et la SEC vont également dans ce sens et précisent quelques critères d’appréciation : industries concernées, pays, partenaires potentiels, degré d’implication de gouvernements dans l’opération… Néanmoins, s’agissant du Bribery Act, deux principes sont clairement exposés et absents de la loi en France : l’engagement fort du top management, qui se matérialise par un soutien affiché et une exemplarité, et le principe de proportionnalité, qui embarque les notions de flexibilité et de pragmatisme dans la mise en œuvre. Le DOJ et la SEC mettent également en avant, dans un guide publié en
Faut-il s’attendre à de réels impacts ?
Les grandes entreprises, tant dans le secteur industriel que financier, disposent déjà, au moins ose-t-on l’espérer, de cartographie des risques, de programmes de contrôles comptables et de formations – pas forcément établies, à l’origine, dans l’optique de prévenir le risque de corruption, mais davantage le risque opérationnel ou le risque de fraude. Une révision sous cet angle s’avérera peut-être nécessaire, mais le socle devrait être là. S’agissant des procédures d’évaluation des clients, fournisseurs, intermédiaires, les établissements financiers devraient pouvoir mutualiser l’approche avec la classification des risques établie à des fins de lutte contre le blanchiment des capitaux. Rappelons à ce titre que le sujet de la corruption présente une adhérence forte avec ce sujet, notamment au regard des diligences instaurées il y a quelques années à l’égard des personnes politiquement exposées (PPE). À ce propos, les débats liés aux travaux sur la 4e directive autour de la notion de PPE nationale ou résidante sont assez symptomatiques de l’approche de la corruption chez nous et du tabou qu’elle incarne
Et à de réels changements ?
L’approche française, comme souvent, s’avère didactique : la loi est promulguée, qui édicte les choses à faire. Cette approche est nécessaire, mais non suffisante. En matière de corruption, comme sur bien d’autres sujets, c’est le comportement, individuel et collectif, qui marque la différence. Les guidelines américains insistent sur cette notion d’éthique. La posture individuelle et la culture collective, relayée à chaque niveau de l’organisation, constituent la clé d’un dispositif gagnant. L’enjeu est de faire évoluer les comportements, tant collectifs qu’individuels, à chaque niveau de l’organisation et de promouvoir les comportements vertueux. Convaincus que l’éthique n’est pas qu’une question de conformité aux lois et règlements, certains groupes bancaires ont annoncé récemment la création de fonctions dédiées à la conduite et à l’éthique. Le futur nous dira si les banques qui ambitionnent de relever ce challenge auront réussi à mettre en œuvre cette approche novatrice, au-delà des freins individuels et collectifs… Plus que jamais l’enjeu, pour les établissements, quel que soit leur secteur, est de démontrer qu’ils agissent selon une démarche cohérente, pragmatique et citoyenne, et non pas uniquement dans l’optique d’éviter une sanction administrative potentielle.