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Économie

Les trois piliers du système bancaire allemand

Créé le

30.11.2018

-

Mis à jour le

02.01.2019

Très atomisé et constitué en partie d’acteurs publics, le secteur bancaire allemand souffre d’une faible rentabilité. Hors scénario de crise, comme cela a été le cas par exemple en Espagne, une vague de concentration pourrait se produire si des acteurs étrangers acquièrent des banques allemandes ou sous l’effet de la concurrence exercée par les FinTechs.

Compte tenu de sa structure très singulière, il est opportun de commencer par un bref rappel des spécificités du modèle bancaire allemand. Il y avait d’après la Bundesbank, 1 775 institutions financières en Allemagne à la fin de 2015. Il s’agit donc d’un secteur beaucoup plus atomisé que dans d’autres pays européens avec 2,2 établissements pour 100 000 habitants, contre un ratio de seulement 0,7 en France. Les actifs des cinq premières banques représentent 32 % du total en Allemagne, 48 % en France.

Le secteur est organisé autour de trois piliers :

– le premier, classique, est constitué des 271 banques privées ;

– le deuxième, comprend des établissements de crédit coopératif, il regroupe 1 023 institutions et est chapeauté par deux institutions centrales, DZ Bank and WGZ Bank ;

– le dernier pilier est constitué des établissements détenus par le secteur public : on compte essentiellement 414 instituts de crédit locaux (Sparkassen), 7 banques régionales détenues par les Länder (Landesbanken) mais aussi Dekabank dont le capital est détenu par les Sparkassen ainsi que d’autres établissements mineurs régionaux.

Les actionnaires des Landesbanken ont démontré leur volonté et leur capacité à supporter les établissements en difficultés durant la crise soit sous forme d’injection de capital soit sous forme d’octroi de garanties. S’il n’existe pas de chiffre précis en termes de coût pour le contribuable sur cette période, on l’estime en général à plus de 70 milliards d’euros. Quatre des sept établissements du secteur public ont été aidés, Bayerische Landesbank (10 milliards), Landesbank Baden-Wuerttemberg (5 milliards), HSH Nordbank (16 milliards) et NORD/LB, il faut ajouter à cette liste WestLB (18 milliards) et SachsenLB (1,5 milliard).

Pour être complets, il faut ajouter à cette typologie en trois piliers un petit nombre d’établissements particuliers, par exemple KfW banque de financement/développement détenue par le gouvernement.

Un secteur en pleine évolution, mais qui garde ses spécificités

Le nombre d’établissements financiers en Allemagne reste très, trop, élevé. Sur les 5 438 établissements référencés par la BCE en zone euro à fin septembre 2018, 1 614 étaient en Allemagne ; soit 30 % du total, alors que l’Allemagne ne représente « que » 24 % de la population de la zone. Cette fragmentation se retrouve aussi dans les effectifs, 32 % des employés de banque de la zone euro travaillant en Allemagne, une proportion restée redoutablement stable depuis 1999.

Une conséquence chronique de cette situation est le faible niveau de rentabilité du secteur. En 2016, le retour sur fonds propres des banques était de 1,0 % en Allemagne contre 1,5 % au Royaume-Uni, 5,0 % en Espagne, 6,5 % en France et 9,0 % aux États-Unis. Ceci est dû en partie au financement des Sparkassen ainsi qu’à leur objectif de profitabilité : Martin Hellwig de University of Bonn estimait en 2017 que la notation intrinsèque des Landesbanken devrait se situer entre BB- et C, mais grâce à la garantie explicite ou implicite des collectivités locales, leur coût de financement correspond plutôt à d’un AA ou AAA ; d’autre part, l’objectif de rentabilité des fonds propres est aussi moins exigeant que pour des banques privées ce qui leur permet d’accorder des conditions de prêts beaucoup plus avantageuses avec des marges nettes moins importantes. Le même auteur estime que la marge nette d’intérêt des Landesbanken est de 1 % alors que celle des banques commerciales est de l’ordre de 1,5 % en moyenne. La conséquence est évidemment une pression sur les marges qui se ressent sur l’ensemble du secteur. Nous avons calculé les marges nettes d’intérêt en utilisant un échantillon des 44 principales banques cotées européennes, la moyenne pour les banques allemandes est nettement en retrait par rapport à la moyenne pour le reste de la zone euro, même s’il faut souligner une convergence récente.

Il faut rajouter un détail technique : lorsque les Sparkassen et Landesbanken se prêtent entre elles (en raison de l’existence d’un système de garantie des dépôts) le régulateur considère que le risque attaché est très faible (pondération des actifs de 0 % en régime bâlois), ce qui abaisse d’autant leur coût en capital. Cette particularité constitue une différence qui peut s’avérer majeure avec certaines banques qui doivent, elles, avoir recours au marché monétaire ou obligataire.

De la marge d’intérêts à la profitabilité totale il n’y a bien sûr qu’un pas. Les banques allemandes qui ont un retour sur fonds propres supérieur à 5 % ne représentent que 18,4 % du total du pays (en pourcentage du total d’actifs du secteur bancaire allemand, voir graphique). Ce chiffre est particulièrement faible, même comparé aux banques de pays censés être plus à risque.

Il est toutefois à noter que le secteur est en phase de consolidation rapide : s’il existait 1 614 établissements de crédit en septembre 2018, ils étaient plus du double, 3 280, lors de l’introduction de l’euro en janvier 1999. La réduction a été particulièrement rapide durant les 5 premières années qui ont suivi l’introduction de l’euro, avec 200 établissements de moins par an, mais le processus s’est depuis beaucoup ralenti avec environ 50 disparitions par an depuis plus d’une décennie. Il faut donc relativiser l’effort récent de consolidation allemand en particulier en regard des efforts menés ailleurs en Europe : la zone euro a perdu 35 % de ses établissements financiers depuis 2009, l’Allemagne 21 %.

Course à la concentration ou à la « disruption » ?

Une vague de consolidation serait bénéfique pour le secteur, comme l’a rappelé Sabine Lautenschläger de la BCE en novembre 2018. Cependant, il faut reconnaître qu’il existe des freins structurels et conjoncturels à la concentration du secteur bancaire allemand.

D’un point de vue conjoncturel, la vigueur de l’économie allemande est incontestablement un facteur de stabilité pour le secteur bancaire allemand. Mais cette force constitue également un redoutable frein au nécessaire élan de consolidation. Car l’histoire prouve que les secteurs bancaires des pays qui ont le plus souffert de la crise financière de 2008 et de la crise souveraine de 2011-2012 sont ceux qui ont ensuite subi le mouvement de consolidation le plus important (Espagne, Irlande et Italie en tête).

Le second facteur, d’ordre structurel, a trait aux liens qu’entretiennent les Sparkassen et Landesbanken avec la sphère publique. Une récente étude du Peterson Institute (Jonas Markgraf « Germany’s Saving Banks Are Uniquely Intertwined with Local Politics », juillet 2018) conclut qu’il existe un lien fort entre le monde politique et les Sparkassen et Landesbanken, tout comme c’était le cas pour les Cajas espagnoles avant la crise. L’absence d’actionnaires du secteur privé s’accompagne d’une plus faible exigence de rentabilité pour ces établissements, avec pour corollaire une pression sur les marges d’intérêts qui se ressent sur l’ensemble du secteur bancaire allemand. Cette compétition singulière ne pourra disparaître vraiment qu’en cas de crise aiguë comme cela a été le cas par exemple en Espagne. Nous en sommes pour l’instant loin compte tenu de la vigueur de l’économie locale.

Le mouvement de consolidation pourrait néanmoins venir d’ailleurs, précisément de la cannibalisation du secteur par des banques challengers et des FinTechs. Contre toute attente, nombre de grandes banques étrangères voient des opportunités de croissance en Allemagne, certaines y ayant déjà développé des filiales de tailles significatives. L’expansion en Allemagne demeure pour l’heure ciblée sur des produits ou une clientèle ne nécessitant pas un maillage bancaire dense, comme le crédit à la consommation, le financement automobile ou l’épargne en ligne. Bien que n’étant généralement pas la banque principale des clients allemands – ce qui implique d’offrir des taux plus élevés pour capter l’épargne des clients – ces établissements parviennent néanmoins à maintenir un niveau de rentabilité plus élevé grâce à leurs faibles coûts opérationnels liés à leur business model (banque en ligne ou avec peu d’agences).

La presse se fait régulièrement l’écho du désir de grands groupes bancaires européens d’acquérir des établissements allemands leur permettant de se positionner sur ces segments ou sur celui du Mittelstand, ce tissu d’entreprises familiales, souvent industrielles.

À cela s’ajoute l’avènement des nouvelles technologies qui menace le business model des banques traditionnelles. Si ce mouvement s’observe à l’échelle mondiale, son impact devrait être plus important dans les pays dotés d’un maillage dense d’agences bancaires et affichant une faible diversification par activité et par produits. Ce dernier facteur est particulièrement important, car une banque avec une offre de produits complète peut mieux retenir ses clients et renforce la barrière à l’entrée pour les FinTechs. Or contrairement à ce que l’on observe en France et en Italie, une part significative des revenus des banques allemandes provient de l’activité traditionnelle de prêts.

Paradoxalement, c’est sans doute l’appétit des acteurs bancaires étrangers et l’arrivée des disrupteurs qui pourra enclencher cette vague de consolidation. Celle-ci pouvant être subie, ou provoquée par les acteurs allemands en vue de défendre leur position.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº827
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