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Panorama

« Les marchés de matières premières ont besoin des financiers »

Créé le

12.11.2014

-

Mis à jour le

04.12.2014

Pierre de Lauzun porte un regard lucide sur le fonctionnement du marché des matières premières. La présence de la finance est utile pour faciliter la confrontation entre l’offre et la demande. L’amélioration de son fonctionnement passe par une harmonisation mondiale de la régulation, qui relève d’une volonté politique aujourd’hui faible.

Quel état des lieux faire des marchés de matières premières et de leur fonctionnement ?

Rappelons que les marchés de matières premières, sous une forme éventuellement très primitive, existent depuis des siècles, sinon des millénaires. Tels qu’ils existent aujourd’hui, ils sont un peu plus transparents et surtout beaucoup plus planétaires qu’ils ne l’étaient. Sur ce plan, ils permettent potentiellement une confrontation plus large et mieux connue de l’offre et de la demande. En revanche, est-ce que ces marchés fonctionnent de manière idéale ? Il est clair que nous sommes encore loin d’avoir une information suffisante à la fois sur la production et les stocks, et le marché lui-même ne prend pas la forme d’une place organisée transparente où les intervenants ont accès à tout moment aux données nécessaires. Dans cette perspective, le marché physique est bien sûr le plus important car c’est celui qui justifie l’ensemble du système. Mais paradoxalement, les marchés dérivés sont plus formalisés même s’ils peuvent aussi être encore améliorés, ainsi que leur lien avec le marché physique, qui est essentiel.

Sur le plan réglementaire, des réflexions sont en cours sur les transactions physiques pour introduire des limites de position. Le traitement de cette question est essentiel à la bonne santé d’un marché. Un marché qui peut être mis dans un « corner » présente des risques inacceptables. Mais encore faut-il toucher tous les acteurs, et pas seulement les financiers régulés (les banques).

La financiarisation de ces marchés, c’est-à-dire l’arrivée des investisseurs financiers, a-t-elle contribué à accroître l’instabilité et la volatilité des marchés de matières premières ?

Remarquons tout d’abord que cette financiarisation s’est probablement relativisée ces derniers mois pour les banques, du fait des évolutions réglementaires qui les touchent ; pour elles, intervenir sur ces marchés est aujourd’hui beaucoup plus coûteux, notamment en fonds propres.

Ceci dit, si l’on veut des marchés de dérivés actifs, et c’est indispensable pour les opérations de couverture des transactions sur les marchandises, il est difficile, dans beaucoup de segments, d’opérer sans des investisseurs financiers. Le marché des opérateurs purement physiques (qu’ils soient producteurs ou utilisateurs) ne permet souvent pas, par lui-même, de donner les contreparties voulues.

En même temps, il est clair que les marchés de dérivés permettent aux financiers (intermédiaires et investisseurs) d’opérer beaucoup plus activement qu’ils ne pouvaient le faire sur le marché physique. Le risque est alors de rapprocher exagérément les marchés de matières premières des marchés proprement financiers, qui n’ont pas les mêmes logiques, et d’accroître ainsi leur volatilité. Le jeu excessif de certains opérateurs peut conduire à exagérer des mouvements de marché d’une manière qui peut être nocive pour les autres participants, ou pour le public. Par exemple, si des anticipations rendent plausible une raréfaction du blé et une remontée de son prix, cet effet peut être amplifié par des positions très fortes prises sur le marché. Ceci dit, rappelons que les marchés de matières premières sont essentiellement fluctuants et l’ont toujours été, bien avant que les financiers s’y intéressent.

Comme nous l’avons toujours évoqué à l’Amafi, il est donc nécessaire que ces marchés soient organisés et supervisés, de façon à la fois locale et mondiale, qu’il s’agisse de l’information délivrée ou des limites de position ; c’est également vrai en termes d’articulation entre le marché physique et les marchés dérivés.

L’Amafi avait fait un certain nombre de propositions en 2011 en la matière…

…qui ont eu un succès d’estime. L’objectif dans lequel nous avons mené cette démarche était double :

  • d’une part, rationaliser le débat sur le marché des matières premières et le marché des dérivés pour voir, au-delà des mythologies négatives, ce qu’il en était réellement ;
  • d’autre part, proposer des pistes pour avancer. Mais il est évident que la situation ne peut progresser que si le sujet est pris à bras-le-corps à un niveau politique assez élevé, c’est-à-dire en dernière analyse à celui du G20.
Les conditions juridiques d’opération des acteurs restent aujourd’hui fractionnées puisqu’elles sont définies au niveau national, sans réelle harmonisation sur le plan international malgré les efforts louables de l’OICV/IOSCO. Il existe donc dans ce domaine une large marge d’amélioration pour parvenir à un résultat plus satisfaisant au niveau mondial. Encore faut-il que tous les acteurs étatiques veuillent jouer le jeu. Ce qui est loin d’être le cas à l’heure actuelle.

Pourtant le G20 de 2011 avait conclu sur un certain nombre de recommandations comme la création d’une base de données internationale et d’une réglementation sur les dérivés. Quelles suites ont eu ces propositions ?

Nous étions à cette époque dans un contexte assez émotionnel lié aux émeutes de la faim, suite à la hausse du prix des matières premières agricoles. Pour être véritablement suivie d’effets, cette question aurait dû être inscrite à l’agenda du G20 comme un sujet permanent, comme l’est, par exemple, le problème de la sécurité en matière financière, suite à la crise de 2008. Je n’ai pas l’impression que c’est le cas à ce stade : ce n’est pas une grande cause mondiale. Le débat sur les matières premières est plus faible paradoxalement que ce qu’il était dans les années 1970.

Comment intégrer dans l’organisation des marchés de matières premières les préoccupations liées au développement durable (épuisement des ressources, prise en compte des phénomènes démographiques, capacité des pays à nourrir leur population) ?

Cette question ne relève pas de l’organisation des marchés de matières premières, mais des décisions prises par les autorités politiques, auxquelles les marchés ensuite doivent s’adapter. Ces derniers restent la confrontation d’une offre et d’une demande entre opérateurs (acheteurs ou vendeurs) qui raisonnent dans un ensemble conditionné par des politiques, y compris fiscales, qui sont extérieures au marché. Par exemple, s’il n’y avait pas de taxes sur l’essence ou sur la consommation de produits pétroliers dans la plupart des pays développés, le marché du pétrole serait probablement très différent. Il peut y avoir des restrictions à la production ou à la consommation prises par des États pour rendre plus coûteux l’usage de telle ou telle matière première, ou des droits à pollution ; le marché en tient alors compte, mais ce n’est pas lui qui peut en décider. Ainsi, dans un marché sain (c’est-à-dire où la transparence existe et sans manipulation), si les décideurs considèrent que le prix moyen du marché est trop bas par rapport à un caractère soutenable à terme, il leur revient de prendre des mesures pour essayer d’influencer la production ou la consommation.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº778bis
RB