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Jurisprudence

Les garde-fous à la mise en cause de la responsabilité du banquier dispensateur de crédit

Créé le

23.09.2013

-

Mis à jour le

30.10.2013

Le banquier est tenu à une obligation d’information et de mise en garde à l’égard de son client sur certains risques inhérents au financement qu’il se propose d’accorder. Cependant, cette responsabilité est limitée si l’emprunteur est « averti », fait preuve d’un manque de loyauté ou de coopération, ou en l’absence de risque d’endettement né de l’octroi du crédit.

Le banquier est tenu envers son client de respecter deux obligations essentielles requises à la conclusion du contrat de crédit :

  • un devoir d’information qui implique la communication d’éléments objectifs et précis relatifs au crédit proposé ;
  • un devoir de mise en garde personnalisé et circonstancié à l’égard du client, consistant à attirer l’attention sur les risques de l’opération de crédit lorsque le montant du financement ou les charges financières risquent d’excéder ses capacités contributives.
Ce devoir se trouve particulièrement renforcé en cas de financements complexes [1] ou inhabituels au regard des critères usuels en matière de crédit, et ce quelle que soit la qualité de
l’emprunteur. Mise à part l’absence de risque d’endettement né de l’octroi du crédit, les devoirs du prêteur se trouvent nettement atténués dans les hypothèses suivantes :

  • si l’emprunteur est averti ;
  • s'il adopte une attitude déloyale ou manque de coopération.

La détermination de la qualité de l’emprunteur et de la caution

De manière originale, les juges ne se fondent pas uniquement sur la qualité de commerçant ou de particulier pour déterminer si un emprunteur doit être considéré ou non comme averti ; par ce terme, les juges entendent que le contractant a les « compétences nécessaires pour apprécier le contenu, la portée et les risques » liés à l’opération de crédit [2] (voir infra). À ce propos, notons que le caractère averti d’une personne morale se reporte sur son dirigeant.

Les juges du fond ont un large pouvoir d’appréciation concernant les connaissances de l’emprunteur (qu’ils appliquent également à la caution). Pour déduire son caractère averti, ils retiennent systématiquement plusieurs éléments, telles sa formation, sa profession, son expérience ou la diversification de son patrimoine.

Ainsi, la seule qualité d’huissier de justice ne suffit pas à établir le caractère averti de l’emprunteur ; en revanche, est suffisamment justifié l’arrêt qui, pour déclarer l’emprunteur averti, relève :

  • que l’emprunt souscrit par un huissier avait pour objet de financer l’acquisition d’un droit de présentation à la clientèle d’une étude d’huissier de justice ;
  • que l’emprunteur avait auparavant exercé en qualité d’associé d’une SCP d’huissiers de justice ;
  • qu’il était donc à la fois professionnel du droit chargé de recouvrer les créances impayées, gestionnaire d’une étude, mais également cessionnaire de parts d’une étude, donc bien informé du montant des droits de présentation et de la valeur des parts de la SCP ;
  • enfin qu’il avait été informé de la situation financière de l’étude dont il avait fait l’acquisition au moyen des pièces communiquées lors de son rachat alors qu’elle était en redressement judiciaire [3] .
L’analyse des juges se fonde donc sur un ensemble d’indices permettant de démontrer la connaissance que l’emprunteur avait avant de contracter, ou qu’il a pu acquérir en vue de réaliser une opération.

La détermination du caractère averti de l’emprunteur est de première importance, puisque le banquier qui propose un crédit n’est tenu au devoir de mise en garde de son client que si celui-ci est non averti. L’emprunteur averti ne peut reprocher à la banque qui lui a consenti le crédit de n’avoir pas assez attiré son attention sur les risques inhérents à la conclusion du contrat. Cependant, il est dans l’intérêt du banquier de ne pas surestimer les compétences de son crédité et de remplir, malgré tout, ses obligations d’information et de mise en garde, tout en en ménageant la preuve, dont il aura la charge en cas de contentieux.

Notons également que la banque est tenue à un devoir de mise en garde personnalisé à l’égard de la caution dès lors qu’il existe un risque d’endettement important ou de non-remboursement par l’emprunteur, à moins que la caution soit une personne avertie au moment de l’octroi du crédit. À ce titre, la jurisprudence retient également la méthode du faisceau d’indices se basant sur les critères personnels inhérents à la caution, le degré d’implication de la caution dans les affaires de l’emprunteur et dans le projet financé [4] . Elle considère par principe que la caution-dirigeante est présumée avertie. En revanche, la cour d’appel qui, pour déclarer des cautions « averties », retient uniquement la qualité d’associés fondateurs des sociétés emprunteuses, ne justifie pas sa décision [5] .

L’attitude déloyale ou le manque de coopération de l’emprunteur

Cette limite semble évidente, puisqu’elle est la conséquence, dans le cadre d’un contrat de crédit, du dol ou de la réticence dolosive du client qui va, sciemment ou de fait, empêcher le banquier de respecter ses obligations. Pourtant, elle s’accorde parfois difficilement avec le principe de non-ingérence par le banquier dans les affaires du client. Ainsi, fait preuve d’une attitude déloyale l’emprunteur « qui n'avait déclaré aucune charge, avait mentionné sa profession, son salaire et avait fourni un contrat de travail alors qu'il était en réalité sans emploi et déjà en situation de surendettement [6] ». Quant au client, manque de coopération celui qui dissimule à un établissement financier l’existence de prêts en cours de remboursement (pour une espèce plus ancienne [7] ). ​Le banquier dispensateur de crédits n’a donc pas à se lancer dans de longues investigations pour vérifier lui-même la véracité de tout ce que le client lui assure, sous réserve que les informations communiquées soient suffisantes et non contradictoires, et il n’est pas responsable si celui-ci lui ment sciemment, ou par omission.

Le devoir de mise en garde n’implique pas un devoir de conseil sur l’opportunité de conclure l’opération

Si le banquier dispensateur de crédit est tenu d’informer et de mettre en garde son client, notamment au regard de ses capacités financières, il n’est pas tenu pour autant à une obligation de conseil et ne saurait s’ingérer dans les affaires de l’emprunteur. Un arrêt récent est ainsi venu préciser que le banquier n’est pas tenu de conseiller un prêt adapté aux besoins de l’emprunteur, même non averti [8] .

En l’espèce, un couple avait contracté un prêt à un taux nominal de 7 % pour payer des dettes fiscales ainsi qu’une voiture. Condamnée en appel parce qu’elle n’avait pas su rechercher de mode de financement plus adapté aux emprunteurs, la banque n’est cependant pas responsable, selon la Cour de Cassation, puisqu’elle ne doit pas s’immiscer dans les affaires de ses clients. Le conseil est donc considéré comme une ingérence qui n’a pas sa place dans la conclusion d’un contrat de prêt.

Aussi, au regard de ces évolutions récentes, l’emprunteur non averti doit garder à l’esprit que, bien que le banquier soit tenu à une obligation d’information et de mise en garde à son égard, le professionnel du crédit ne l’empêchera pas de se tromper.

1 Com. 8 janvier 2013, n° 11-19387. 2 Civ. 1 re, 28 novembre 2012. 3 Com. 22 janvier 2013, n° 10-14354. 4 Com. 22 novembre 2011, n° 10- 25920. 5 Civ. 1re, 27 février 2013, n°12-13950. 6 Civ. 1re, 26 mai 2011, n° 10-11284. 7 Civ. 1re, 30 octobre 2007, n° 06-17003. 8 Com. 27 novembre 2012, n° 11-19311.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº765
Notes :
1 Com. 8 janvier 2013, n° 11-19387.
2 Civ. 1re, 28 novembre 2012.
3 Com. 22 janvier 2013, n° 10-14354.
4 Com. 22 novembre 2011, n° 10- 25920.
5 Civ. 1re, 27 février 2013, n°12-13950.
6 Civ. 1re, 26 mai 2011, n° 10-11284.
7 Civ. 1re, 30 octobre 2007, n° 06-17003.
8 Com. 27 novembre 2012, n° 11-19311.