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Risque de contrepartie

Les contreparties des banques se protègent contre l’impact des mesures de résolution

Créé le

14.03.2017

-

Mis à jour le

04.12.2017

Les mesures de résolution peuvent affecter les investisseurs (actionnaires ou obligataires) mais aussi les déposants (particuliers ou entreprises) et les tiers ayant contracté avec l’établissement bancaire. Les entreprises mettent en place des outils pour se protéger et s’informent sur les contrats qui, dans BRRD, font l'objet d'une protection particulière.

À la suite de la crise financière, et en particulier des conséquences systémiques de la défaillance de Lehman Brothers, les Pouvoirs publics et régulateurs se sont attachés à minimiser la propagation des impacts financiers négatifs d'une telle défaillance. Cela s'est traduit par :

  • l'obligation pour les établissements de crédit d'importance systémique d'établir un plan préventif de rétablissement [1] ;
  • l'obligation pour les autorités de résolution d'établir un plan préventif de résolution pour chaque établissement (ou au niveau d'un groupe supervisé sur base consolidée) [2] .
La mise en œuvre de ces plans de résolution, qui reviennent à un démantèlement et une liquidation de l'établissement qui n'a pu se rétablir par ses propres moyens, s'accompagne d'instruments de résolution, tels la cession d'actif ou le renflouement interne (ou bail-in). Ce dernier instrument a essentiellement pour objet d'apurer les pertes de l'établissement, afin de rétablir sa solvabilité, par l'extinction, totale ou partielle, de certaines obligations (dites obligations éligibles [3] ), ou par leur conversion en instrument de fonds propres de catégorie 1.

Les mesures de renflouement interne ont donc un impact potentiel direct sur les clients et contreparties des établissements de crédit. Cependant, par l'exclusion de certains engagements des mesures de renflouement interne, ou par des mesures de sauvegarde (venant neutraliser certains pouvoirs de l'autorité de résolution) des instruments sont protégés ; il est important pour les clients ou contreparties des établissements de crédit d'avoir parfaitement connaissance de ces protections.

Impact des mesures de renflouement interne

Le renflouement interne consiste à rétablir dans la mesure du possible la solvabilité financière d'un établissement au regard du respect des ratios financiers, à commencer par le ratio de solvabilité (qui mesure la proportion de fonds propres par rapport à la somme des engagements pondérés). Cela passe donc par l'augmentation des fonds propres ou la diminution des engagements. Le renflouement est utilisé dans le cadre d’une stratégie de remise à niveau de l’entité en résolution si l’autorité de résolution estime que sa viabilité financière à long terme peut être restaurée. À l’inverse, il peut être utilisé dans le cadre d’une stratégie de cession d'activité ou d'actifs afin de capitaliser l’établissement-relais et de faciliter l’utilisation de la cession d’activité ou de la structure de gestion des actifs (article 43 de la directive européenne n° 2014/59 établissant un cadre pour le redressement et la résolution d'établissements de crédit, BRRD).

Les mesures ainsi mises en œuvre passent donc par la dépréciation de certains engagements des tiers à l'égard de l'établissement en résolution, ou leur conversion en titre de capital contribuant aux fonds propres de base.

Il convient de noter que, par principe, la dépréciation ou la conversion couvre tout type d'engagement d'un tiers vis-à-vis de l'établissement (article 44.1 de BRRD), sauf ceux qui sont exclus (article 44.2. de BRRD, voir 2 ci-après). Ainsi, par principe, tout créancier d'un établissement peut potentiellement voir sa créance réduite totalement ou partiellement, ou convertie en titre de capital. La principale limite à ce pouvoir de l'autorité de résolution tient au principe applicable à tout instant selon lequel le créancier ainsi affecté ne doit pas se trouver dans une situation plus défavorable que celle qui serait résultée de la mise en œuvre des procédures de liquidation (no creditor worth off principle, NCWO).

Il est à noter cependant que la mise en œuvre du renflouement interne doit suivre l'ordre de subordination des instruments devant être dépréciés ou convertis (article 48 de BRRD), en commençant par les actions ordinaires constitutives des fonds propres de base de catégorie 1. De plus, ces mesures doivent être appliquées de manière proportionnelle entre l'ensemble des créanciers de même rang (sans bien sûr affecter les créanciers d'engagements exclus du renflouement interne).

Notons enfin que les mesures de renflouement interne ne sont pas les seuls qui soient susceptibles d'affecter la contrepartie d'un établissement en résolution. Parmi les pouvoirs les plus remarquables conférés aux autorités de résolution, relevons les suivants (article 63 à 71 de BRRD) :

  • transférer les droits, actifs ou engagements à un tiers avec son accord (mais sans celui des contreparties de l'établissement en résolution) ;
  • modifier l'échéance d'instruments de dette et d'autres engagements susceptibles de renflouement interne, le montant des intérêts ou suspendre leur paiement ;
  • libérer de tout engagement ou sûreté tout actif (avec quelques exceptions) ;
  • annuler ou modifier les clauses d'un contrat ou remplacer une entité réceptrice en tant que partie au contrat ;
  • suspendre l'effet de clause de résiliation ou de réalisation de sûretés.
Au vu de ses pouvoirs, il est essentiel pour les clients des banques de précisément identifier les mesures de sauvegardes les protégeant contre l'effet de telles mesures.

Neutralisation des mesures de renflouement interne

Certaines mesures de résolution comportent des sauvegardes, comprises comme l'impossibilité, ou l'aménagement, dans la mise en œuvre d'une mesure de résolution à raison de l'identité de la contrepartie de l'établissement que l'on veut protéger (salariés ou fournisseurs de prestations essentielles à l'activité quotidienne par exemple) ou de la nature des engagements pris vis-à-vis de l'établissement en résolution pour préserver toute propagation du risque systémique (obligations prises dans le cadre d'un système de paiement par exemple). On peut distinguer celles excluant certains engagements des mesures de renflouement interne, des autres atténuant ou neutralisant les effets de telle ou telle mesure de renflouement.

L'article 44.2 de BRRD exclut certains engagements du pouvoir de dépréciation ou de conversion de l'autorité de résolution, ce qui procure une protection certaine des contreparties ou clients créanciers de tels engagements.

On évoquera en premier lieu les dépôts couverts par le fonds de garantie des dépôts et de résolution. Jusqu'au montant ainsi garanti (100 000 euros), ces sommes ne peuvent faire l'objet d'une dépréciation ou d'une convention en titre de capital. Il en résulte pour une entreprise le souci légitime de diversifier ses dépôts auprès de différents établissements, afin de bénéficier d'une diversification qui pourrait lui permettre de rester en deçà du seuil de garantie. Pour les grandes entreprises, une telle mesure serait sans véritable effet, et il conviendrait alors de réduire le montant des sommes déposées, par leur investissement dans des instruments financiers peu risqués (obligations d'état par exemple). Dans cette dernière situation, la propriété de ces titres ne saurait être affectée par toute mesure de résolution, dès lors qu'il en irait de même en cas d'insolvabilité (article 44.2 c de BRRD), les propriétaires de titre étant en droit de les revendiquer (article L. 211-10 du Code monétaire et financier). Mais ces contrats ou actifs peuvent faire l'objet d'une autre mesure de résolution que le renflouement interne, en particulier dans le cadre d'une cession d'actifs. Ainsi, si les dépôts couverts ne peuvent être dépréciés, ils peuvent faire l'objet d'une cession à un établissement tiers.

Sont également protégés les engagements garantis (en ce y compris les obligations garanties) et les instruments financiers utilisés à des fins de couverture [4] et offrant une garantie similaire aux obligations garanties. Les engagements garantis sont précisément définis comme « un engagement ou un élément de passif pour lequel le droit au paiement du créancier […] est garanti par un droit, un gage ou un privilège ou un dispositif de sûreté » (article L. 613-34-1 10° du Code monétaire et financier, reprenant à la lettre la définition de BRRD énoncée à l'article 2.67). Ces dispositions couvrent notamment les obligations garanties par une sûreté régie par l'article L. 211-38 du Code de commerce et qui vise tous les mécanismes de collatéralisation d'opérations sur instruments financiers [5] . Il est à noter que cette définition assimile également les opérations de pension livrée (Repo) à des engagements garantis.

Sans être énumérés à cet article 44.2, les accords de compensation [6] (netting arrangement) bénéficient tout de même d'un régime de protection à plusieurs égards [7] . Ces accords sont définis comme ceux en vertu desquels un certain nombre de créances et d'obligations peuvent, après l’éventuelle déchéance de leur terme, être converties ou compensées en un solde unique (article L. 613-34-1 19° du Code monétaire et financier). Cela signifie d'une part que ces engagements ne peuvent faire l'objet d'un cherry picking en cas de mise en œuvre d'un instrument de transfert (cession à un tiers, à un établissement relais ou dans le cadre de la mise en place d'une structure de gestion d'actifs) : ainsi l'ensemble des droits et obligations résultant de l'accord de compensation est éventuellement transféré, mais aucun transfert partiel n'est possible. D'autre part, si une mesure de renflouement interne devait être appliquée à des droits ou obligations résultant d'un accord de compensation, cette mesure ne pourrait intervenir qu'après la mise en œuvre du mécanisme de compensation, c'est-à-dire qu'après l'établissement du solde net tel que prévu à l'accord. L'autorité de résolution ne serait pas non plus en mesure d'annuler ou modifier les termes ou dispositions d'un accord de compensation. À ce titre donc, les accords de compensation présentent une certaine « résistance » aux pouvoirs d'une autorité de résolution. Notons tout de même que la mise en œuvre des clauses de déchéance, ou de réalisation des sûretés [8] peut faire l'objet d'une interdiction d'effet [9] , ou de suspension, dans certaines conditions, qui rendent leur exercice moins « automatique » qu'en l'absence de procédure de résolution.

 

1 Article L. 613-35 et suivants du Code monétaire et financier.
2 Article L. 613-38 du Code monétaire et financier.
3 Article L. 613-55 du Code monétaire et financier.
4 Il peut ainsi s'agir de produits d'échange ( swap) ou d'options sur taux , devise ou indice.
5 Sont ainsi couverts les engagements résultant de produits dérivés régis par une convention cadre FBF ou ISDA et qui font par ailleurs l'objet d'une collatéralisation.
6 Un accord de compensation est une convention entre deux partie selon laquelle en cas de survenance d'un événement prédéterminé, l'ensemble des obligations des parties deviennent exigibles, une valeur de remplacement de chaque transaction ainsi résiliées est calculée et la somme de l'ensemble des valeurs de remplacement est établie à laquelle se compensent toutes autres sommes dues par les parties à l'accord (par exemple l'appel de marge ou la livraison de tel ou tel actif).
7 Les accords de compensation réciproque (qui visent les accords mettant en œuvre la compensation bilatérale telle que prévue au Code civil, voir l'article L. 613-34-1 20° du Code monétaire et financier) bénéficient des mêmes mesures de protection.
8 Les clauses de déchéance permettent de rendre exigible une obligation qui comporte un terme et n'est donc pas encore exigible. Les clauses de réalisation des sûretés permettent l'appropriation ou la vente d'un actif faisant l'objet d'une sûreté, tel un nantissement.
9 Ainsi, la déchéance d'un terme ne peut résulter de la seule survenance d'une décision de résolution prise à l'encontre d'un établissement de crédit, à condition cependant que les obligations essentielles du contrat soient toujours exécutées.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº807
Notes :
1 Article L. 613-35 et suivants du Code monétaire et financier.
2 Article L. 613-38 du Code monétaire et financier.
3 Article L. 613-55 du Code monétaire et financier.
4 Il peut ainsi s'agir de produits d'échange (swap) ou d'options sur taux , devise ou indice.
5 Sont ainsi couverts les engagements résultant de produits dérivés régis par une convention cadre FBF ou ISDA et qui font par ailleurs l'objet d'une collatéralisation.
6 Un accord de compensation est une convention entre deux partie selon laquelle en cas de survenance d'un événement prédéterminé, l'ensemble des obligations des parties deviennent exigibles, une valeur de remplacement de chaque transaction ainsi résiliées est calculée et la somme de l'ensemble des valeurs de remplacement est établie à laquelle se compensent toutes autres sommes dues par les parties à l'accord (par exemple l'appel de marge ou la livraison de tel ou tel actif).
7 Les accords de compensation réciproque (qui visent les accords mettant en œuvre la compensation bilatérale telle que prévue au Code civil, voir l'article L. 613-34-1 20° du Code monétaire et financier) bénéficient des mêmes mesures de protection.
8 Les clauses de déchéance permettent de rendre exigible une obligation qui comporte un terme et n'est donc pas encore exigible. Les clauses de réalisation des sûretés permettent l'appropriation ou la vente d'un actif faisant l'objet d'une sûreté, tel un nantissement.
9 Ainsi, la déchéance d'un terme ne peut résulter de la seule survenance d'une décision de résolution prise à l'encontre d'un établissement de crédit, à condition cependant que les obligations essentielles du contrat soient toujours exécutées.