Square

FBF

« Les banques françaises ont bien traversé la crise »

Créé le

21.06.2018

-

Mis à jour le

28.06.2018

La directrice générale de la Fédération bancaire française dresse un bilan de ce qui a changé pour les banques françaises depuis 2008, alors que la réglementation a beaucoup évolué. Elle explique que le secteur bancaire français a bien traversé la crise et beaucoup travaillé sur la prise de risque.

En quoi les banques françaises ont-elles changé depuis dix ans ?

Nous allons peut-être commencer par repartir de la question : où en étaient les banques françaises il y a dix ans et comment ont-elles traversé la crise ? Cela est à la fois très fondateur et très singulier, d’abord parce que les banques françaises ont bien traversé la crise. Une étude de la BCE de 2015 montre que, dans la zone euro, la France est le seul pays où il n’y a pas eu de coût net de la crise financière. En France, même s’il y a eu des polémiques, il n’y a pas eu nécessité pour le contribuable français de mettre la main à la poche pour « sauver les banques ». La Cour des comptes a d’ailleurs dit que les opérations mises en place s’étaient soldées par un bénéfice de plus d’un milliard d’euros pour les finances publiques.

Ensuite, les banques françaises n’ont quasiment jamais arrêté de soutenir l’économie, sauf peut-être pendant un ou deux trimestres, au plus fort de la crise. Le crédit est reparti très vite, avec un rythme qui a toujours été en France parmi les meilleurs de la zone euro. Cela contraste avec ce qui s’est passé ailleurs, car ce n’est que depuis juin 2015 que la zone euro est globalement sortie de l’attrition du crédit. En cela nous sommes là aussi très singuliers.

Les banques européennes ne sont pas toutes parties du même point de départ, et cela s’est vu de manière très nette aussi dans l’Asset Quality Review (AQR), la revue complète des bilans des banques réalisée avant le passage sous la supervision de la BCE lorsqu’a été mise en place l’Union bancaire. Les banques françaises ont extrêmement bien passé ce test en 2015 et ont prouvé leur solidité.

Aujourd’hui, la France est très certainement un des secteurs bancaires en Europe qui se porte le mieux, qui a le plus d’acteurs capables de financer non seulement leur économie nationale mais l’économie de la zone euro, puisque la France compte trois ou quatre des grandes banques qualifiées de « systémiques » sur la petite dizaine que compte la zone euro, où elles financent 40 % des crédits aux entreprises et 46 % des crédits aux particuliers. Nous avons donc un secteur bancaire qui est à la fois solide et qui a une place très importante en Europe, comparativement beaucoup plus que d’autres industries.

Par ailleurs, nous avons une caractéristique de modèle, qui est que les grandes banques françaises sont des grandes banques universelles. Elles font du crédit mais aussi des financements de marché. Elles sont à même d’accompagner l’évolution du mode de financement de l’économie européenne, qui est une des conséquences de la crise : les exigences réglementaires contraignent les bilans bancaires et imposent que le financement de l’économie évolue vers moins de crédit et plus de financements de marché, alors que, globalement, l’Europe est encore très dépendante du crédit. En Europe continentale, 75 % des financements des entreprises passent par le crédit et 25 % par le marché. En France, la proportion a déjà beaucoup évolué, puisque le rapport entre crédit et financements de marché, qui était de 70 % vs 30 % il y a une petite dizaine d’années, est aujourd’hui à presque 60 % vs 40 %. La France s’adapte plus vite à cette évolution parce qu’elle a des banques qui sont capables de faire les deux métiers : marché et crédit.

Enfin, si je devais tirer un enseignement positif, dix ans après, je dirais que la crise a permis un net rapprochement entre les banquiers et leurs clients.

Quelles réglementations ont particulièrement concerné les banques ?

La réglementation et la supervision ont été fortement réformées après la crise. L’Europe est sans aucun doute l’ensemble mondial qui est allé le plus loin, avec l’Union bancaire et la mise en place d’un superviseur unique.

La révolution réglementaire a aussi porté sur le renforcement considérable des exigences de fonds propres, et la mise en place de nouveaux pans de réglementation bancaire : la « résolution », la réglementation macroprudentielle, les contraintes de liquidité. Il y avait très peu de réglementation sur la liquidité avant la crise, or 2008 a d’abord été une crise de liquidité. Lehman Brothers est tombée non pas sur un problème de solvabilité, mais sur un problème de liquidité.

Les dispositions de « résolution » obligent les banques à avoir des plans de résolution préventifs dans leur propre bilan pour leur permettre de faire face à des difficultés, sans faire appel à l’extérieur et notamment au contribuable, avec une capacité à reconstituer leurs fonds propres avec des titres qui peuvent être convertis en capital en cas de crise. Cette protection des déposants et du contribuable passe aussi par des fonds de résolution constitués par les banques : ce sont les 55 milliards qui sont en train d’être mis en place au niveau de la zone euro.

Enfin, un dernier pan concerne la réglementation macroprudentielle, qui est nationale dans sa mise en œuvre. En France, le Haut conseil de stabilité financière (HCSF) est l’autorité nationale qui peut imposer des contraintes supplémentaires s’il estime qu’il y a des déséquilibres macroprudentiels, qui peuvent fragiliser les établissements financiers, même si ceux-ci vont bien individuellement.

Sommes-nous en fin de cycle sur la réglementation post-crise ?

L’arsenal réglementaire a été complété. Même si on peaufine toujours, avec Bâle IV ou le paquet bancaire sur la réduction des risques à Bruxelles récemment, l’agenda de stabilité issu du mandat du G20 est aujourd’hui grosso modo rempli. Reste un pilier de l’Union bancaire qui n’est pas totalement bouclé : le fonds de garantie des dépôts européens, mais il existe déjà des fonds de garantie des dépôts nationaux dans tous les pays, comme en France, avec des exigences renforcées au niveau européen.

Les velléités de déréglementation aux États-Unis peuvent-elles avoir un impact au niveau mondial ?

C’est une vraie question, mais il est très difficile de savoir ce qui se fera aux États-Unis. Il faut distinguer les annonces du pouvoir exécutif, et ce qui sortira effectivement du Congrès des États-Unis. Les Américains ont signé l’accord de Bâle IV de décembre 2017, un accord multilatéral, international, qui fixe des règles qui s’appliquent partout, même si ce n’est pas de la même manière. Les Américains n’ont donc pas abandonné une approche multilatérale de la réglementation bancaire.

La réglementation sur les risques de marché, qui fait partie de cet accord, est très importante aux États-Unis parce que les banques américaines sont très puissantes sur les marchés, et gagnent d’ailleurs des parts de marché en Europe en BFI, ce qui est un des sujets de préoccupation post-crise. Si jamais les Américains venaient à dire qu’ils n’appliqueront pas la réglementation sur les risques de marché, cela remettrait en cause la totalité de l’accord. Mais les autorités américaines ont toujours dit qu’elles l’appliqueraient.

En revanche, la loi Dodd-Franck est en voie de détricotage. Ce serait quand même l’ironie de l’histoire puisque cela voudrait dire que la France serait le seul pays à appliquer la règle Volcker ! Nous avons toujours dit que le débat sur la séparation des activités bancaires ne nous paraissait pas pertinent et les faits sont en train de nous donner raison puisqu’il y a très peu de pays qui ont finalement adopté des réglementations de séparation des activités. Si c’était vraiment un objectif majeur pour les superviseurs, il y aurait eu beaucoup plus de réglementation en la matière. La France a adopté la loi Moscovici qui oblige à filialiser les activités pour compte propre. Il va falloir suivre l’éventuelle déréglementation américaine avec une très grande vigilance, parce que l’on risque de se retrouver en désavantage concurrentiel majeur. Si les banques françaises ne peuvent plus faire des activités pour compte propre et que les banques américaines retrouvent toute la capacité à le faire, les banques américaines pourront augmenter leur rentabilité par leurs activités pour compte propre, et ensuite partir à la conquête des clients sur d’autres marchés avec des prix cassés.

Comment voyez-vous l’évolution de la rentabilité des banques françaises ?

La réglementation a eu un impact très lourd sur la rentabilité : avant la crise, le return on equity (RoE) se situait entre 10 et 15 % selon les banques et il est aujourd’hui à inférieur à 7 %, avec les banques françaises qui ambitionnent de revenir à 10 %. Donc, la rentabilité a beaucoup baissé. Est-ce préoccupant ? Oui et non, parce que la rentabilité est nécessaire pour accumuler des fonds propres notamment, mais reste correcte dans les banques françaises. Les banques commencent à regagner en rentabilité, mais sans augmentation du coût du risque, qui n’arrête pas de baisser. Les inquiétudes viennent plutôt de la rentabilité comparée des banques françaises et de leurs concurrentes, notamment les grandes banques internationales comme les américaines.

Mais la compétition peut aussi venir d’acteurs du numérique. Or les niveaux de rentabilité des grandes plates-formes Internet sont très supérieurs : on évoque 20 à 25 %. Mais ont-ils envie de se développer dans un univers beaucoup moins rentable que le leur ? Paradoxalement, c’est triste à dire, mais la rentabilité du secteur bancaire devient un élément de sa « protection », car elle est beaucoup plus faible que celle du marché de la donnée, qui est le modèle économique des acteurs de l’Internet. Malgré cela, dans un univers où il peut y avoir de nouveaux acteurs dans le domaine bancaire, l’enjeu de la rentabilité redevient de plus en plus important.

Quid de l’évolution des bilans des banques françaises ? D’après la Banque de France, ils ont augmenté de 42 % entre 2005 et 2016…

Cela est assez logique, notamment parce que les banques françaises ont continué depuis la crise à accorder beaucoup de crédits à l’économie de manière très dynamique, à un rythme de progression aujourd’hui supérieur à 5 % par an. Or les crédits restent très largement dans les bilans. C’est une des spécificités du modèle bancaire français, mais aussi européen : il y a peu de titrisation, contrairement au modèle américain qui sort des bilans tous les crédits immobiliers via des agences de titrisation parapubliques. En Europe, c’est un vrai sujet : les bilans augmentent et la réglementation post-crise pénalise les bilans. C’est une question stratégique pour l’Europe et la nouvelle Commission : comment adapter l’Europe du financement à ces évolutions ? Notre conviction est qu’il faut un pas beaucoup plus stratégique sur le développement des marchés de capitaux, y compris la titrisation. Il est certain que la titrisation en Europe sera différente de celle pratiquée aux États-Unis avant la crise : la réglementation européenne est déjà beaucoup plus stricte, avec la titrisation simple, transparente et standardisée (STS). Il faudra que l’Europe trouve sa propre voie de développement d’une vraie titrisation ; c’est d’ailleurs une des ambitions de la Fédération bancaire française de pousser une réflexion stratégique sur le développement des marchés de capitaux en Europe avec la constitution d’un Groupe des sages.

Quelle est votre réaction à l’annonce par le Haut Conseil de stabilité financière (HCSF) d’un taux de coussin de fonds propres bancaires contracyclique à 0,25 % des actifs pondérés par les risques ?

En France, le coût du risque est parfaitement maîtrisé, il y a très peu de crédits douteux et les conditions d’octroi de crédit ne sont pas relâchées. Manifestement, il y a une appréciation macroéconomique d’un rythme d’endettement des entreprises françaises, notamment les plus grandes, jugé trop élevé. Nous pensons que ce n’est pas l’économie française et son rythme de croissance qui sont pertinents pour évaluer le fait qu’il y aurait une espèce d’emballement de l’endettement. Il faut regarder le développement de l’économie internationale, notamment dans un certain nombre de pays émergents et aux États-Unis, qui ont des rythmes de croissance beaucoup plus élevés, et où les grandes entreprises se développent. Par ailleurs, il est évident qu’un coussin contracyclique dans les banques n’aura aucun impact sur l’accès au marché obligataire des grandes entreprises.

Une nouvelle crise financière est-elle possible et d’où pourrait-elle venir ? Quels sont les risques financiers et extra-financiers aujourd’hui ?

L’hypothèse de crise qui est aujourd’hui la plus sérieusement regardée par les dirigeants bancaires est une crise extra-financière : c’est le cyberrisque. Ce risque ne concerne évidemment pas que le secteur bancaire, même si ce dernier est une cible. Les pirates vont essayer d’aller voler de l’argent assez logiquement là où il est, notamment dans les banques. Nous sommes conscients que le secteur bancaire porte une grande responsabilité pour bien bâtir ses défenses face à ce type d’attaques et beaucoup d’investissements sont faits dans ce sens. Nous avons des relations très étroites avec les autorités policières et avec l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSII). C’est aussi une vraie préoccupation chez les superviseurs bancaires.

Sur les crises financières stricto sensu, le risque pourrait venir de la partie non sécurisée de la finance, que l’on appelle parfois shadow banking. Par définition, ce sont des secteurs beaucoup moins régulés, où les risques peuvent s’accumuler. Mais ces acteurs ont peu de contact direct avec les particuliers et, dans une crise financière, le premier sujet est quand même de protéger les particuliers et les déposants.

En cas de crise grave dans le shadow banking, est-ce qu’il pourrait y avoir un effet de contagion vers la finance plus régulée ?

Tout ce qui a été fait sur la réglementation, la connaissance des fournisseurs essentiels, sur les grands risques, la solvabilité, la prévention des difficultés bancaires, traite en creux le risque de contagion avec le secteur non régulé. Mais il est vrai que ce secteur du shadow banking a pris des dimensions très importantes.

La crise des subprime a concerné, aux États-Unis, des banques, des courtiers, des acteurs qui ont titrisé et tranché les produits… Il y a une interdépendance de fait entre différents types d’acteurs…

Cela est très vrai, mais des leçons ont été tirées dans la réglementation, dans la supervision, et aussi dans la culture : les banques ont beaucoup travaillé sur la prise de risque. Un autre élément très important de la réglementation, uniquement en Europe où là aussi elle a été pionnière, est l’encadrement des rémunérations des preneurs de risques. Les incitations à des prises de risque à court terme ont disparu. Les sujets de risque sont plus intégrés dans les organisations bancaires. La conformité est désormais une grande ligne métier dans les banques.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº822