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Politique monétaire

Les banques centrales doivent-elles surprendre les marchés ?

Créé le

27.01.2015

-

Mis à jour le

02.02.2015

Cela faisait plusieurs jours, voire semaines, que l’annonce d’un Quantitative Easing (QE) par la BCE était une chose entendue pour les marchés. Pourtant, en indiquant le 22 janvier que ce QE pourrait durer jusqu’en septembre 2016, ou plus si l’inflation restait trop basse, Mario Draghi est parvenu à encore les surprendre… positivement. Une semaine plus tôt, le 15 janvier, la Banque Nationale Suisse (BNS) avait suivi une tout autre voie en annonçant à brûle-pourpoint l’abolition du cours plancher à 1,20 franc suisse pour 1 euro qu’elle défendait depuis 2011 à coups d’interventions sur les marchés des changes. Cette surprise-ci a entraîné une réaction brutale des marchés et une envolée du franc. Un banquier central doit-il donc tout dire à l’avance ?

« Dans les années 1970 et 80, l’idée dominante était que les banques centrales devaient être peu transparentes et surprendre les marchés, rappelle Florence Pisani, économiste chez Candriam. Mais le relèvement non anticipé des taux par la Fed en 1994 et le krach obligataire qui a suivi l'ont conduite à changer de stratégie. Elle donne de plus en plus d’informations et communique de façon de plus en plus précise avec les marchés. » Longtemps, la zone euro se démarque de cette tendance : à toute personne lui demandant des précisions sur sa politique future, Jean-Claude Trichet répondait par un laconique « We never precommit ». Jusqu’à l’été 2013 où Mario Draghi, soucieux de décorreler les taux longs européens des américains, décide d’utiliser cet outil de communication visant à influer sur les anticipations des agents, que les Anglo-saxons dénomment « forward guidance ». « Avec cet outil, précise Florence Pisani, les banquiers centraux veulent contrôler l’ensemble de la courbe des taux et pas seulement les taux courts. » Pour Patrice Gautry, chef économiste chez UBP, il s’agit aussi de s’adapter aux nouveaux canaux de transmission de la politique monétaire : « Avec les programmes de QE, les banques centrales interviennent directement sur les marchés, et non plus seulement via les banques commerciales. Leur relation avec les marchés financiers entre donc au cœur du système. » Plus de transparence et moins de surprises pour des marchés plus ordonnés et moins brutaux : serait-ce la recette miracle ? Encore faut-il ne pas se laisser prendre au piège de sa propre communication en en disant trop. La Fed s’était ainsi engagée à garder ses taux bas tant que le chômage ne tomberait pas sous les 6,5 % ; mais quand le seuil annoncé a été franchi alors que la reprise économique n’était pas pour autant solide, il a fallu se dédire. Or la crédibilité est l’atout majeur d’une banque centrale.

Cette crédibilité, la BNS l’a sérieusement écornée le 15 janvier. « Cela constitue pour nous un élément d’incertitude tout à fait dommageable », regrette Patrice Gautry. « Par construction, une banque centrale a des moyens d’intervention illimités face à l’appréciation de sa monnaie, ce qui n'est pas le cas pour une dépréciation, fait remarquer Florence Pisani. La décision de la BNS est d’autant plus étonnante que la crédibilité qu’elle avait accumulée avait plutôt réduit le montant des interventions nécessaires… du moins jusqu’à ce que le QE de la BCE devienne imminent ! » La décision était donc avant tout politique, l’opinion publique commençant à se montrer très critique du gonflement du bilan de la BNS. En décembre dernier, un référendum visant à lui imposer un stock d’or minimal avait été rejeté… mais pour combien de temps ? La BNS a pris les devants par son arrêt non préparé. Le marché a fait le reste : en quelques heures, le franc suisse avait rebondi aux sommets atteints en 2011.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº781