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Banque de détail

Les agences bancaires à la croisée des chemins

Créé le

16.06.2016

-

Mis à jour le

09.09.2016

Score Advisor analyse les évolutions de la réorganisation et du réaménagement des agences bancaires, en relation avec les nouveaux usages et les fermetures attendues.

La baisse de fréquentation des agences bancaires ne fait plus débat aujourd’hui ; elle est incontestable et toutes les banques ont engagé des mesures de restructuration de leurs réseaux.

20 % à 25 % des clients ne se rendent plus du tout ou presque (moins d’une fois par an) dans l’agence qui détient leur compte principal. Cette donnée, que l’on retient généralement et qui fait peur, est pourtant étonnamment faible, dès lors qu’ont été mis en place depuis plusieurs années des canaux digitaux qui permettent de se passer pratiquement de ces agences. Autant dire, et c’est d’ailleurs ce qu’indiquent la plupart des sondages, que les clients restent attachés aux agences, qui réalisent encore plus de 65 % des ventes.

En revanche, les clients qui continuent à se rendre dans leur agence mais n’y réalisent plus d’opérations représentent désormais un tiers de la clientèle des banques en France, plus de 40 % aux États-Unis et plus de 50 % aux Pays-Bas. Ce n’est donc pas que les clients ne vont plus en agence. Ils y vont moins fréquemment et, pour la plupart, ils n’y vont plus régulièrement. L’agence n’est désormais plus qu’un élément au sein d’un dispositif multicanal de distribution. On constate en ce sens que la baisse de fréquentation ne concerne pas seulement les contacts physiques, mais toutes les interactions avec celles-ci. Les taux d’appels téléphoniques directs ont ainsi considérablement baissé. L’agence et le conseiller tendent à ne plus être le pivot, le passage obligé, de la relation que les clients entretiennent avec leur banque.

Ce phénomène est toutefois contrasté selon les clientèles : les professionnels demeurent bien plus consommateurs de services en agence que les particuliers. Par ailleurs, les canaux digitaux ne sont pas à eux seuls la cause de la baisse de fréquentation. La majorité des clients qui fréquentent les agences utilisent également largement ces canaux. On répète à l’envi que le client veut désormais pouvoir accéder à sa banque « à tout moment et en tout lieu » ; rien ne valide cependant cette affirmation pour la majorité des clients, tandis que le succès des applications mobiles reste encore mitigé. Dans bien des cas, en fait, Internet pallie… l’impossibilité de se rendre en agence !

Les agences moins fréquentées se situent dans des géographies particulières. Alors que les couronnes périurbaines concentrent 50 % des urbains en France aujourd’hui, la distance entre domicile et lieu de travail tend à augmenter. Ayant accompagné une population que la cherté des logements chassait des centres-villes, les banques françaises (le même phénomène se retrouve dans de nombreux autres pays) ont depuis vingt ans développé leurs agences dans des villes où leurs horaires d’ouverture ne coïncident tout simplement pas avec ceux de leurs clients. Les agences qui avaient ouvert en deuxième et troisième couronnes pour accompagner la montée en puissance des crédits immobiliers font partie de celles qui pourraient fermer aujourd’hui.

Il faut également tenir compte de la géographie économique de la France d’aujourd’hui. Sur un tiers au moins du territoire métropolitain, il y a désormais peu de financements bancaires et l’activité de collecte est essentiellement alimentée par les comptes courants créditeurs et les livrets. Plus de trente départements ont une activité de crédit non significative à l’échelle nationale (<0,5% du total des encours totaux). Dès lors, la banque de proximité pourrait désormais être largement réduite dans beaucoup de territoires, en termes de présence et de moyens, jusqu’à ne plus justifier une présence permanente dans certains endroits.

Tout ceci a deux conséquences : des fermetures sont inévitables, car entre 15 % à 25 % du parc d’agences, selon les réseaux, ne paraît plus rentable aujourd’hui. Dans le même temps, alors que près des deux tiers des agences bancaires voient leur marché stagner ou baisser en France, il faut définir différents formats en fonction des clientèles et des potentiels et trouver de nouveaux modèles d’aménagement.

Quelques exemples peuvent permettre de dessiner des tendances qui émergent en France et de les comparer avec ce qui se fait à l’étranger, alors que les pistes pour faire évoluer les agences dépassent évidemment les frontières.

De manière générale, en France, les différents établissements retiennent trois modèles d’agence :

  • des agences permettant seulement le traitement d’opérations courantes ;
  • des agences « moyennes », avec des conseillers spécialisés par types de clients (particuliers, pros, entreprises) ;
  • et de grandes agences et des flagships, présentant l’ensemble des offres et des experts par produits.
Alors que les agences cultivaient jusque-là une forte uniformité, ces réorientations sont accompagnées de designs et de modes d’organisation n’hésitant pas à rompre complètement avec les codes bancaires classiques (voir Photo 1 Umpqua Bank USA et photo 2 Crédit Agricole Store, Grenoble).

À travers le monde, quatre formules ont été particulièrement essayées.

L’agence vitrine ou flagship. Elle présente la banque sous un jour nouveau, séduisant, voire impressionnant. C’est un lieu d’expérience et de découverte, qui donne de la visibilité à la marque (voir Photo 3 The Lab, Allied Irish Bank, et  Photo 4 Le 19 LCL).

L’agence « entre nous ». C’est un lieu banalisé et convivial. Devenue lounge ou même restaurant dans certains cas, l’agence est d’abord un lieu de rencontre. Véritables clubs à l’anglaise, les lounges de Virgin Money, au Royaume-Uni, ne sont même pas équipés pour traiter des opérations bancaires (voir Photo 5 VirginMoney et Photo 6 ING Direct Café).

L’agence « superstore ». Elle utilise son espace pour proposer des produits, parfois tout à fait non financiers, le plus souvent en libre-service. Elle peut également proposer à ses clients professionnels d’exposer leurs produits (voir Photo 7 La Banque Postale).

L’agence « ruche ». Ses personnels sont totalement mobiles (« en essaim », d’où l’appellation). L’accueil est mutualisé. Par ailleurs, d’autres formules sont apparues, telles que rendre mobiles les conseillers à la rencontre des clients hors de l’agence.

Beaucoup de banques, en France comme ailleurs, ont essayé ici ou là dans leur réseau ces quatre formules, qui peuvent également être mélangées. L’agence pilote Q110 de Deutsche Bank à Berlin, très observée depuis l’étranger, réunit d’ailleurs à elle seule les quatre modèles : Vitrine, Entre nous (voir Photo 8),  Superstore (voir Photo 9) et Ruche.

Tendent actuellement à s’imposer l’idée de store/libre-service et celle de mobilité des conseillers.

Certains réseaux n’hésitent pas, dès lors, à supprimer le guichet. Le Crédit Mutuel Arkea a été le premier à développer cette formule en France (voir Photo 10 Crédit Mutuel Massif Central).

Enfin, beaucoup de banques introduisent des espaces de détente dans leurs agences. Les machines à café et la presse y sont ainsi devenues quasiment incontournables.

Les ventes croisées représentent désormais le principal objectif commercial des agences, les autres canaux tendant à promouvoir les produits de manière plus unitaire. Chaleureuse, l’agence doit permettre « d’aller plus loin » avec les clients.

En France, un nouveau modèle d’agence tend à s’imposer, qui comporte des bureaux et un espace d’attente, que jouxtent des automates. Dans certains réseaux, accueil et guichet ont pratiquement disparu, mais des écrans sont installés un peu partout, ce qui ne suscite d’ailleurs pas beaucoup d’intérêt chez les clients. À ce stade, ces nouveaux modèles d’agence ne soulèvent guère d’enthousiasme chez ces derniers. Quant à l’accueil mutualisé, ses premiers essais sont plutôt mal vécus par les clients et le personnel : il peut être perçu comme un niveau de service dégradé.

Beaucoup de clients attendent toujours de trouver en agence une relation de confiance personnalisée. Cela ne suppose pas forcément une relation avec un conseiller attitré, mais cela souligne le fait que l’attrait d’une agence repose moins sur son design que sur la qualité de l’équipe qui l’anime. Certains réseaux l’ont compris et n’hésitent plus à mettre les personnels d’agence en avant.

Cette tendance, qui devrait conduire à reconnaître aux agences une plus large identité commerciale, relève d’un choix fondamental qui semble avoir fait d’ores et déjà l’objet d’orientations différentes entre les principaux réseaux français.

Sur son site web, BNP Paribas propose désormais à ses nouveaux clients de choisir entre une relation physique en agence, une relation en ligne avec un conseiller dédié, ou la banque à distance Hello Bank. Hier incontournables pour toute relation bancaire, l’agence et le contact en face-à-face ne sont aujourd’hui plus qu’optionnels. Il est facile d’imaginer que les relations clients se concentreront demain sur la banque à distance, le passage en agence ne représentant plus qu’un service ponctuel, la plupart des clients n’ayant plus de chargé de compte dédié et n’étant même plus affiliés à une agence.

Ou l’agence restera-t-elle au cœur des moments clés de la relation bancaire, notamment lors de l’ouverture d’un compte, le choix d’une relation purement en ligne n’apparaissant que comme une option pour les clients qui le souhaitent ? Une telle stratégie crosscanale serait assez semblable à celles des grandes surfaces : retenir l’agence comme canal principal – ce qu’elle demeure aujourd’hui – vers lequel tous les autres convergent.

Bien entendu, on peut estimer que la première orientation s’imposera à terme, mais que la seconde est l’hypothèse la plus prudente dans l’immédiat. Quoi qu’il en soit, le choix de l’une ou l’autre de ces options n’est pas neutre et il doit être fait dès à présent. Ainsi, ces prochaines années, apparaîtra sans doute une nette différence du parcours client selon les réseaux, ce qui pourrait se traduire par une mise en concurrence des établissements bien plus forte qu’aujourd’hui.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº799