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Journées de l'AFTE : l’équation européenne

Créé le

18.09.2018

-

Mis à jour le

05.10.2018

Les Journées de l’AFTE se dérouleront les 13 et 14 novembre prochains. Jean-Claude Climeau en assume cette année le pilotage. Il détaille les principaux thèmes de préoccupation et d’intérêt de la profession, notamment vis-à-vis des partenaires bancaires, du Brexit à la finance responsable, en passant par la digitalisation ou l’évolution des taux.

Pourquoi avoir intitulé les prochaines journées de l'AFTE « Europe is back » ?

2018 est l'année du retour de l'Europe dans les agendas. Avec une part de bonnes nouvelles : sur le front macroéconomique, on assiste à un certain retour de la croissance et la Grèce est sortie de la tutelle européenne ; sur le front de l'innovation également, l'Europe est de plus en plus une terre d’accueil pour les start-up, notamment la France – avec par exemple l’incubateur parisien Station F, dont Thales est le partenaire cybersécurité. Mais l'Europe est aussi au centre de beaucoup d'interrogations, en raison de la résurgence du risque politique : en 2019 se tiendront à la fois les élections européennes et des élections nationales dans différents pays alors même que certains partis marquent leur distance par rapport au projet européen ; enfin, nous sommes à quelques mois de la date butoir du Brexit, à laquelle le Royaume-Uni aura formellement quitté l'Union européenne (UE).

Les banques ont commencé à annoncer des transferts d'activité de Londres vers l'Union européenne en préparation au Brexit : où en sont les entreprises ?

Les banques anglaises, mais aussi américaines ou asiatiques qui ont souvent utilisé Londres comme tête de pont vers l’UE, sont en train de revoir leurs organisations, voire leur structure juridique, pour disposer d’une base dans l'UE, souvent malheureusement plutôt à Francfort qu’à Paris, et bénéficier ainsi du passporting.

En tant que trésoriers, nous travaillons avec de très nombreuses banques, y compris non européennes, souvent installées à Londres. Demain, si notre interlocuteur n'a plus son bureau à Londres mais à Francfort, cela ne changera pas fondamentalement notre façon de fonctionner. Nous serons cependant bien sûr attentifs au risque de contrepartie et à la notation de la nouvelle entité juridique avec laquelle nous travaillerons.

Au-delà de ces aspects un peu techniques se pose aussi la question plus générale du Brexit pour une société industrielle, comme la nôtre. Pour Thales, le Royaume-Uni représente près de 10 % de notre chiffre d'affaires, avec 6 500 collaborateurs sur place, mais notre activité et notre supply chain y sont majoritairement domestiques. Nos grands clients au Royaume-Uni sont le ministère de la Défense mais aussi le Métro de Londres, pour lequel nous modernisons actuellement la signalisation sur près de la moitié de son réseau. Ces caractéristiques devraient atténuer l’impact du Brexit, mais le groupe évalue néanmoins les conséquences de différents scénarios, du « hard » au « soft » Brexit.

Une baisse de notation de vos contreparties bancaires par rapport à celle qui prévalait, peut-elle vous conduire à changer d’établissement ?

Les banques vont certainement veiller à capitaliser suffisamment leurs nouvelles implantations pour conserver le même rating et à préserver les compétences des équipes. Nous ne pouvons pas imaginer qu'une très grande banque basée à Londres et qui déciderait, demain, de traiter à partir de Francfort ne fournisse pas une qualité de service équivalente à celle d’aujourd’hui.

N'êtes-vous pas tenté de vous recentrer sur des banques européennes ou déjà implantées en UE qui n'ont pas cette incertitude à gérer ?

Nous avons besoin d’acteurs internationaux, européens mais aussi américains ou asiatiques, pour nous accompagner sur l'ensemble de nos activités partout dans le monde.

Au-delà du Brexit, comment gérez-vous la résurgence du risque politique dans certains pays européens, mais aussi au Moyen Orient par exemple ?

Il est vrai que les difficultés financières récentes de plusieurs pays européens ont rappelé à tout le monde que le risque politique ne se cantonne pas forcément aux pays lointains, mais peut aussi se manifester dans des pays proches.

Dans un groupe comme Thales, présent dans plusieurs dizaines de pays, nous vivons tous les jours et depuis longtemps avec le risque politique. C'est un des risques que le groupe doit gérer de manière permanente. Du côté de la trésorerie et des financements, il est pris en compte très en amont, dès le travail sur les offres. C’est un risque que nous cherchons à couvrir, auprès notamment de BPI France quand nous travaillons à partir de la France, ou auprès de ses homologues quand nous exportons à partir du Royaume-Uni ou des Pays-Bas par exemple. Nous avons également recours à des assureurs privés qui peuvent fournir des couvertures parfois plus flexibles ou plus économiques.

Par ailleurs, nous devons également prendre en compte la perception, par les banques, du niveau de risque des différents pays. S’agissant des pays sous sanctions, banques et entreprises ne sont pas en mesure d’y travailler, sauf exception très marginale. Mais, plus délicat pour le trésorier est la gestion des pays que les banques qualifient de « sensibles », mais qui ne font pas l’objet de sanctions internationales. Ce sont les pays, par exemple, sur lesquels les banques estiment qu’elles n'ont pas toutes les assurances quant à la transparence de leur système bancaire, ou dans lesquels elles ne souhaitent pas s’impliquer en raison de risques de réputation et des contraintes imposées par leur politique de conformité (compliance) interne. La liste des pays concernés peut être longue, allant jusqu’à plusieurs dizaines pour certaines banques ! Et, bien sûr, elle varie d'un établissement à l'autre. Nous avons donc mis en place chez Thales des rencontres annuelles avec nos partenaires bancaires, pour échanger sur leur sensibilité particulière au risque sur certains pays et plus largement sur nos politiques respectives de compliance.

Les banques ne sont-elles pas devenues très prudentes dans ce registre ?

Les amendes importantes infligées à plusieurs d'entre elles pour violation d'embargos les ont conduites à renforcer leurs programmes de conformité et à développer une plus grande sensibilité sur certains pays. C’est d’autant plus marqué pour nos activités de défense. Cela ne veut pas dire que nous ne trouvons pas de partenaires bancaires, mais il faut démarrer les discussions plus en amont et de façon plus détaillée que précédemment.

Autre grand sujet d’actualité, comment la digitalisation impacte-t-elle vos activités de trésorerie et de financement ?

C'est un sujet sur lequel Thales est présent à double titre : nous sommes, comme toutes les entreprises, engagés vers une plus grande digitalisation dans toutes les fonctions du groupe, finance, ressources humaines, juridique et jusqu'au cœur de notre activité, c’est-à-dire l'ingénierie et le développement. Mais Thales est aussi « digital par nature » dans ses activités, l’un des grands acteurs mondiaux de la cybersécurité, du big data et de l'intelligence artificielle. Nous accompagnons ainsi la transformation digitale de nos clients, gouvernements, compagnies aériennes ou encore opérateurs ferroviaires.

Qu'attendez-vous concrètement de ce mouvement de digitalisation dans votre gestion financière ?

Pour la trésorerie, nous recherchons toujours une plus grande automatisation des tâches, tant pour des raisons d’efficacité que de sécurité. C’est notamment le cas pour les paiements, où nous utilisons depuis plusieurs années déjà une plateforme Swift. La cybersécurité est dans ce contexte une préoccupation permanente car le système de trésorerie est connecté aux autres systèmes informatiques de l'entreprise et à l'extérieur afin d’interagir avec nos banques, par exemple pour récupérer des relevés de banque ou des données de marché.

Quelles sont vos relations avec les nouveaux entrants, néobanques ou FinTechs ?

Beaucoup de ces nouveaux entrants se sont placés sur le créneau des paiements. Comme nous sommes dans des activités BtoB, nous sommes moins concernés que des sociétés dans la grande distribution ou qui travaillent en BtoC, avec de très importants volumes de paiement à gérer. Nous suivons cependant avec intérêt ce que proposent ces nouveaux entrants sur d'autres sujets comme par exemple la compliance, ou le KYC, où plusieurs projets se développent actuellement, dont certains sponsorisés par les banques.

Mais les solutions mutualisées sur le KYC ont du mal à émerger…

En effet, comme nous l'avons évoqué, chaque banque a sa propre gouvernance en la matière, en fonction de sa perception du risque. Mais il serait déjà très utile d'avoir un socle commun pour les informations de base que toutes les banques nous demandent, et qui pourraient être stockées sur un registre partagé sécurisé.

S’agissant à présent des taux d’intérêt, quel est l’impact de leur évolution sur vos financements ?

Nous continuons aujourd'hui d'être dans un environnement atypique de taux extrêmement bas malgré la confirmation d'une certaine remontée des taux constatée aux États-Unis, et l'arrêt annoncé par la BCE du quantitative easing. Cela permet de lever des fonds à des conditions très favorables, comme nous l'avons fait en début d’année pour le financement de l'acquisition de Gemalto ; en revanche, il est devenu très difficile de trouver une rémunération positive pour placer ses liquidités ! Nous devrions assister néanmoins à une remontée des taux, même si elle sera probablement très progressive. C'est ce qui nous a conduits à anticiper le refinancement de l'opération Gemalto au premier semestre plutôt que d'attendre son closing.

Qu'en est-il des changements de taux de référence ?

La question de l'évolution des indices de référence, avec entre autres la fin annoncée du Libor à l’horizon 2020, est plus technique, mais elle aura un impact réel. De nouveaux indices de référence ont commencé à être introduits aux États-Unis et au Royaume-Uni. L'UE devrait aussi bientôt annoncer quel sera le successeur de l’Euribor. Et nous allons passer d'indices qui avaient des maturités de 3, 6, ou 12 mois à des indices au jour le jour. Les contrats incluent souvent des clauses qui prévoient le remplacement du taux de référence, mais elles ne sont pas toujours très précises. Il faut donc faire le recensement de l'ensemble des documentations qui font référence à ces indices, pour en organiser l’évolution avec nos contreparties.

Les financements responsables sont aussi à l’agenda des prochaines Journées AFTE : est-ce une tendance de fond ?

Sous la terminologie de financements responsables, se retrouvent différents produits : ainsi les greens loans et les social loans sont des prêts affectés spécifiquement à des projets à caractère environnemental ou social. Ce sont des produits un peu particuliers, qui jusqu’ici n’ont été utilisés que par quelques acteurs publics ou des sociétés dans le domaine de l'énergie par exemple, pour souligner l’importance de leurs engagements à leurs parties prenantes et aux marchés. Ce qui me paraît porteur d’un potentiel plus large de développement est l'inclusion de critères RSE ou extra-financiers dans les financements. Ces critères sont déjà assez largement pris en compte par les investisseurs equity, mais j'observe un intérêt croissant de la part des banques et des investisseurs dette. Certains émetteurs ont déjà intégré ce type de critères dans leurs crédits syndiqués : la marge payée sur le crédit peut évoluer en fonction du respect de critères RSE et non plus seulement des variations d'un rating financier.

Ces critères extra-financiers peuvent en effet fournir aux banquiers ou aux investisseurs obligataires un éclairage complémentaire utile dans leur analyse du risque. Une entreprise qui est attentive à l'environnement mais aussi à la façon dont elle organise sa gouvernance, dont elle gère ses ressources humaines, ses fournisseurs, présente souvent un meilleur profil de risque global.

Au final, qu'attendez-vous de vos banques ?

J’attends d’abord de nos banques qu’elles s’engagent sur une relation à long terme avec notre groupe et qu'elles soient capables d’accompagner notre développement international croissant. C'est ce qui explique encore une fois que nous ayons besoin de grandes banques européennes, notamment françaises, mais aussi non européennes, américaines ou asiatiques.

Ensuite, nous avons des attentes qui peuvent paraître paradoxales : selon les produits et services, nous visons le maximum de standardisation ou, au contraire, souhaitons du sur-mesure ! Par exemple sur les activités de cash management ou de change « vanille », nous recherchons la standardisation pour mieux automatiser les opérations et de libérer des ressources pour des tâches à plus forte valeur ajoutée. Mais sur des financements ou des opérations de change plus complexes, nous recherchons au contraire une plus grande personnalisation, de la créativité et des services sur-mesure. Notre banquier doit réellement connaître notre secteur et ses contraintes spécifiques pour répondre de la façon la plus adéquate à nos besoins.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº824