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Jean-Paul Betbeze : « Jerome Powell dans une situation impossible »

Créé le

08.08.2019

Ancien directeur des études économiques du Crédit Agricole, le consultant Jean-Paul Betbeze analyse la baisse des taux de la Fed du 31 juillet 2019, effectuée à l’évidence sous la pression politique exercée par Donald Trump. Il esquisse également ce que la BCE pourrait décider le 12 septembre prochain.

Comment analysez-vous la baisse des taux directeurs de la Fed du 31 juillet 2019 et l’étonnant discours de Jerome Powell ?

Jerome Powell a été pathétique, car il s’est trouvé dans une situation impossible. Il a subi une forte pression de la part de Donald Trump, qui réclamait une baisse des taux directeurs alors que la situation économique ne le justifiait pas, en tout cas à l’époque, dans l’ignorance où l’on était bien sûr de ses interventions nouvelles à l’encontre de la Chine. Mais Jerome Powell ne peut compenser les foucades du Président ! Il a donc succombé à la pression politique en baissant légèrement (un quart de point) les taux directeurs, mais n’a pas su bien argumenter sa démarche. Dans son discours, il n’exclut en effet rien pour l’avenir (nouvelle baisse, voire remontée…) et dit qu’il va attendre de voir ce que donne cette baisse d’un quart de point. Or ce type de discours ne correspond à rien en matière de politique monétaire. Une petite baisse de taux, prise isolément, n’a en effet aucun sens : elle doit être suivie d’autres baisses pour avoir un impact, et il faut expliciter la piste qui sera empruntée. C’est la base de la forward guidance.

En zone euro, Mario Draghi prépare les marchés à de nouvelles mesures visant à accentuer le caractère accommodant de la politique de la BCE. Cet assouplissement de la part de Mario Draghi sera-t-il plus légitime que celui de Jerome Powell ?

La BCE et la Fed sont dans des situations très différentes. Les signes de ralentissement de la croissance en zone Euro sont clairs, l’inflation y devient trop faible et les anticipations à moyen terme dérapent. De plus, le discours de Mario Draghi pour justifier la nouvelle inflexion qu’il va donner à sa politique monétaire est parfaitement construit. Cette politique n’est pas pour autant inattaquable (certains critiquent des risques de bulles ou d’entreprises zombies) mais elle est cohérente. La parole de Draghi est ainsi très forte. À l’inverse, le discours de Jerome Powell a inquiété les marchés américains qui ont plongé après son intervention. Le marché actions a baissé mais aussi le niveau des taux d’intérêt à long terme, de sorte que les taux longs sont devenus plus bas que les taux courts, les marchés anticipant deux nouvelles baisses !

Quelles sont les conséquences des taux bas sur les banques européennes et américaines ?

Les taux américains sont sensiblement plus élevés qu’en zone euro (entre 2,25 et 2 % contre zéro), car l’économie américaine croît à un rythme soutenu depuis une dizaine d’années. Ainsi, les banques américaines profitent d’un contexte beaucoup plus favorable. Leurs marges sont plus importantes, tandis que les banques de la zone euro souffrent : elles sont contraintes de prêter à des taux extrêmement bas, ce qui réduit durablement leurs marges.

Quelles mesures Mario Draghi pourrait-il annoncer lors de la réunion du 12 septembre 2019 ?

Le taux directeur de la BCE est déjà à zéro et restera longtemps à ce niveau. Mais le taux de dépôt à la BCE pourrait passer de -0,40 % à -0,50 ou -0,60 %. Ainsi, les banques commerciales seront encore plus sous pression quand elles placeront leurs excédents à la BCE. L’objectif de Draghi est évidemment de les inciter à prêter mais aussi, il le dit moins, de les faire gagner en productivité (surtout en Italie et en Allemagne). Toutefois, des mesures compensatoires destinées à soutenir les petites banques qui souffrent le plus de cette politique seront certainement prises, pour qu’elles puissent continuer leurs restructurations en évitant des drames !

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº835