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Economie

L’Italie est-elle responsable ?

Créé le

21.11.2018

-

Mis à jour le

26.11.2018

La Commission européenne a rejeté le projet de budget de l'Italie, car non conforme au pacte de stabilité, c’est-à-dire aux normes européennes mises en place après la crise pour limiter le déficit et la dette des États. Jean-Pierre Petit estime que la position européenne est beaucoup trop rigide et devrait mieux s'adapter à la situation économique des pays.

L’Italie a subi de trop nombreux chocs au cours des dix dernières années et la mauvaise gouvernance européenne en a constitué l’une des causes. La grande crise de 2008 lui a coûté 7,5 points de PIB en volume, un niveau supérieur à celui encaissé par les États-Unis et par la zone euro. On peut considérer que les erreurs de diagnostic et les lenteurs dans la réaction des autorités politiques européennes ont porté à cet égard une grande part de responsabilité. Même chose en 2011-2013 : ici, la responsabilité européenne est encore plus nettement engagée, avec une surenchère monétaire, prudentielle et budgétaire absurde qui va faire basculer l’ensemble des pays d’Europe du Sud dans une récession profonde. Ceci a coûté à l’Italie, à nouveau, cinq points de PIB réel. Aujourd’hui malgré la reprise (laborieuse), le PIB réel se trouve encore 5 % en dessous de son niveau précrise, qui remonte à plus de dix ans. On ne trouve aucun grand pays développé dans cette situation. Dans ces conditions, une relance budgétaire a du sens.

L’argument classique des instances européennes est qu’on ne peut tolérer un relâchement des règles budgétaires au profit de certains pays, en particulier l’Italie. Or, ces règles uniformes sont absurdes et n’ont d’ailleurs pas permis de stabiliser la dette, ni bien sûr de fournir un outil contracyclique en cas de crise. Par ailleurs, on n’observe plus de forte contagion du risque italien sur les autres pays d’Europe du Sud, comme en 2010-2012.

La dette publique : un boulet pour l'Italie

C'est au contraire imposer une austérité budgétaire quasi éternelle à l’Italie qui menace l’existence de la zone euro. N’oublions pas que ce pays compte encore pour 15 % du PIB de la zone. En fait, le vrai problème de l’Italie n’est pas son déficit mais avant tout sa dette publique (131 % du PIB) qu’elle traîne comme un boulet depuis les années 1980. D’où une charge de la dette considérable (3,7 % du PIB), même avec des taux d’intérêt très bas. À cela s’ajoute une croissance potentielle qui est aujourd’hui quasi nulle pour différentes raisons : vieillissement, faiblesse de la R&D, spécialisation bas de gamme, polarisation des inégalités régionales, défaillances du système éducatif et des infrastructures que l’austérité budgétaire a renforcées, etc.

Alors, on nous objectera que c’est à l’Italie de se prendre en main et d’insuffler un programme de réformes structurelles ambitieuses et profondes de nature à relever le potentiel de l’offre productive italienne. Mais dans une société démocratique, vieillissante et rentière, il est politiquement, socialement et même économiquement dangereux et illusoire de faire de tels ajustements sans accompagnement monétaire et budgétaire, car ces réformes sont récessives, au moins sur le court terme.

La zone euro a les moyens de tolérer un écartement du déficit public italien. Elle dispose d’un excédent courant de près de 4 % du PIB, auquel participe d’ailleurs grandement l’Italie, et d’une devise internationale. Elle n’a aucun besoin à l’échelle européenne de renforcer l’épargne publique. Aux USA, la dette publique est plus importante qu’en zone euro, le déficit fédéral américain va atteindre presque 4 % du PIB cette année (1 % en zone euro) et le déficit courant 2 %.

Le sujet de fond n’est d’ailleurs pas le niveau du déficit public italien, mais son contenu. Il faudrait pousser l’Italie à orienter la politique budgétaire vers le renforcement de la compétitivité de l’offre : infrastructures, dépenses d’éducation, baisse de la fiscalité des entreprises, lutte contre la bureaucratie et la corruption.

Achevé de rédiger le 21 novembre 2018

 

 

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº826