« Introduire la finance islamique pour une minorité de la population n’est pas rentable »

Dix banques centrales de pays h&eacute;bergeant des activit&eacute;s de finance islamique viennent de signer un accord de coop&eacute;ration pour &eacute;mettre des titres utilis&eacute;s par les banques islamiques dans leur gestion de la liquidit&eacute;. En quoi est-ce important&thinsp;? Le probl&egrave;me des banques islamiques n&rsquo;est pas de trouver de la liquidit&eacute; &ndash; elles en ont beaucoup &ndash; mais de savoir comment la placer. Elles ne peuvent en effet pas acc&eacute;der au march&eacute; mon&eacute;taire conventionnel (qui r&eacute;mun&egrave;re l&rsquo;investisseur sous forme de taux d&rsquo;int&eacute;r&ecirc;t, ce qui est interdit par la loi islamique, NDLR). Elles peuvent investir en sukuks mais le march&eacute; mondial ne repr&eacute;sente que 130 milliards de dollars, contre pr&egrave;s de 900 milliards de dollars d&rsquo;actifs &agrave; faire fructifier. Par ailleurs, la plupart des sukuks &eacute;mis le sont avec une maturit&eacute; de cinq ans et il est donc tr&egrave;s difficile de trouver des placements &agrave; court terme. Certains march&eacute;s comme la Malaisie, le Bahre&iuml;n ou encore le Soudan sont plus avanc&eacute;s que les autres. En Malaisie, par exemple, la Banque centrale et l&rsquo;&Eacute;tat &eacute;mettent des commercial papers et il existe un march&eacute; overnight . &Agrave; l&rsquo;autre extr&eacute;mit&eacute; de la courbe, il est &eacute;galement possible de trouver des sukuks &agrave; tr&egrave;s longue maturit&eacute;, jusqu&rsquo;&agrave; 50 ans. Enfin, la plupart des sukuks utilis&eacute;s pour la gestion de la liquidit&eacute; le sont sous forme de invers&eacute;e [1] , un instrument qui ne fait pas l&rsquo;unanimit&eacute; parmi les Charia Boards . Il s&rsquo;agit donc de faire &eacute;merger un march&eacute; pour des instruments diff&eacute;rents, par exemple des sukuks bas&eacute;s sur de l&rsquo; ijara (cr&eacute;dit-bail). Ces besoins de placement des banques islamiques du monde entier doivent &ecirc;tre couverts, d&rsquo;o&ugrave; l&rsquo;accord entre ces dix banques centrales et deux banques multilat&eacute;rales&thinsp;: l&rsquo; International Islamic Liquidity Management Cooperation (IILM) . Comment cela va-t-il se passer concr&egrave;tement&thinsp;? Les autorit&eacute;s parties prenantes du projet vont placer des fonds dans un v&eacute;hicule commun qui &eacute;mettra des titres de maturit&eacute; et de structure diff&eacute;rentes. Mais la gestion actif/passif des banques islamiques n&rsquo;est pas le seul objectif de cette coop&eacute;ration. Il s&rsquo;agit aussi de stimuler l&rsquo;origination des sukuks eux-m&ecirc;mes. Actuellement, les acteurs &eacute;conomiques du monde entier ont encore peu fait appel au march&eacute; des capitaux islamiques pour lever des fonds. Or les pays occidentaux ont besoin de cet argent disponible mais sont pour l&rsquo;instant frein&eacute;s par le co&ucirc;t du financement par sukuks , plus &eacute;lev&eacute; que celui des outils conventionnels. Ils n&rsquo;ont pourtant aucune raison th&eacute;orique de l&rsquo;&ecirc;tre. Le probl&egrave;me vient du fait qu&rsquo;il n&rsquo;existe pas de benchmark au niveau mondial. Longtemps, les entreprises, pour &eacute;mettre des sukuks , se tournaient vers les pays du Golfe, qui fixaient des prix &eacute;lev&eacute;s, profitant du fait que les &eacute;metteurs n&rsquo;iraient pas taper &agrave; d&rsquo;autres portes. Ce comportement a, au final, desservi la finance islamique en rendant r&eacute;ticents les &eacute;metteurs. Pourtant, il est possible de mieux r&eacute;guler l&rsquo;offre et la demande, en cr&eacute;ant ces op&eacute;rations benchmark , telles que l&rsquo;envisagent les autorit&eacute;s signataires. La preuve en est le succ&egrave;s de l&rsquo;&eacute;mission du gouvernement malaisien l&rsquo;an dernier [2] : le titre s&rsquo;&eacute;change aujourd&rsquo;hui &agrave; 3,1 %, &agrave; quelques points de celle de l&rsquo;&Eacute;tat britannique, de 2,7 %. Cette op&eacute;ration b&eacute;n&eacute;ficiait en effet d&rsquo;un profil de risque avantageux, puisqu&rsquo;elle &eacute;tait adoss&eacute;e &agrave; une dizaine d&rsquo;h&ocirc;pitaux gouvernementaux, qui devaient revenir &agrave; l&rsquo;investisseur en cas de d&eacute;faut, selon le principe de la finance islamique d&rsquo;adossement &agrave; des biens r&eacute;els. La question du prix vous semble donc centrale pour motiver les entreprises occidentales &agrave; &eacute;mettre des sukuks &hellip; Actuellement, une entreprise occidentale, europ&eacute;enne par exemple, ne voit pas l&rsquo;int&eacute;r&ecirc;t d&rsquo;&eacute;mettre des titres conformes &agrave; la Charia plus chers. Mais je pense que si le prix est au moins aussi attractif que celui des &eacute;missions conventionnelles, elle pourrait y avoir recours pour &eacute;largir sa base d&rsquo;investisseurs et acc&eacute;der &agrave; des fonds auxquels sinon elle ne pourrait pas pr&eacute;tendre. C&rsquo;est ce qui a motiv&eacute; l&rsquo;&eacute;mission de General Electric l&rsquo;an dernier, qui lui est pourtant revenue plus cher qu&rsquo;une &eacute;mission classique. La France vous semble-t-elle pr&ecirc;te &agrave; accueillir des activit&eacute;s de banque islamique de d&eacute;tail&thinsp;? Selon ce que j&rsquo;ai entendu, la France souhaiterait introduire la finance islamique au b&eacute;n&eacute;fice de sa population musulmane, pour des motivations d&rsquo;inclusion sociale. Mais le business model pour de telles banques islamiques n&rsquo;est pas encore viable&thinsp;: il ne me semble pas possible d&rsquo;introduire la finance islamique en ayant seulement une minorit&eacute; de la population pour cible. L&rsquo;accueil de la finance islamique par la Malaisie il y a 30 ans &eacute;tait effectivement li&eacute; &agrave; sa population musulmane. Mais d&egrave;s le d&eacute;but, la banque centrale malaisienne a fait le choix de ne pas distinguer banques islamiques et banques conventionnelles. Ces derni&egrave;res peuvent toutes offrir des produits islamiques qui sont des produits parmi d&rsquo;autres. Le choix est laiss&eacute; au consommateur et les prix sont comparables. Ce mod&egrave;le est tr&egrave;s diff&eacute;rent de celui de la Grande-Bretagne, o&ugrave; les banques islamiques sont distinctes des banques conventionnelles. Les prix sont plus &eacute;lev&eacute;s et les consommateurs qui y ont recours ne le font que pour des raisons religieuses. Il faut au contraire promouvoir le produit islamique aupr&egrave;s d&rsquo;une client&egrave;le non-musulmane et cela en mettant en avant la structure sous-jacente du produit. Quels sont, selon vous, ces avantages autres que la conformit&eacute; &agrave; la Charia ? Un bon exemple du succ&egrave;s des produits islamiques aupr&egrave;s de la population non musulmane en Malaisie est celui de la banque chinoise Hong Leong Bank. 70 % des clients ayant souscrit un pr&ecirc;t &agrave; l&rsquo;habitat islamique sont d&rsquo;origine chinoise. La raison de ce succ&egrave;s remonte &agrave; la crise asiatique de 1998, lors de laquelle beaucoup de m&eacute;nages ont perdu leur logement, saisi et revendu par les banques. Ces m&eacute;nages n&rsquo;ont rien r&eacute;cup&eacute;r&eacute; de la vente, m&ecirc;me lorsqu&rsquo;ils avaient d&eacute;j&agrave; rembours&eacute; plus de 50 % de l&rsquo;emprunt. L&rsquo;int&eacute;r&ecirc;t du pr&ecirc;t &agrave; l&rsquo;habitat islamique est qu&rsquo;il repose sur le concept de Musharaka Mutana Qisa , un partenariat avec partage d&eacute;croissant des pertes et profits&thinsp;: la banque et le client s&rsquo;associent pour acheter un bien immobilier&thinsp;; le client y investit 10 % et la banque 90 %, puis cette proportion s&rsquo;inverse au fur et &agrave; mesure que le client rembourse. En cas de liquidation, chacun conserverait la part qu&rsquo;il aurait acquise &agrave; ce moment-l&agrave;. La p&eacute;riode d&rsquo;apr&egrave;s-crise est-elle un bon moment pour faire entendre les arguments de la finance islamique&thinsp;? Dans chaque conf&eacute;rence o&ugrave; je vais en Europe, j&rsquo;appelle les grandes banques conventionnelles &agrave; regarder ce que la finance islamique peut leur apporter. En Allemagne, la BaFin a r&eacute;cemment d&eacute;cid&eacute; d&rsquo;interdire les ventes &agrave; d&eacute;couvert &agrave; nu de dette souveraine. C&rsquo;est tout &agrave; fait dans l&rsquo;esprit de la finance islamique qui autorise les d&eacute;riv&eacute;s &agrave; des fins de couverture uniquement. Les gouvernements europ&eacute;ens ne devraient pas avoir peur de la philosophie qui sous-tend la finance islamique, m&ecirc;me si je comprends les r&eacute;ticences d&rsquo;une partie de l&rsquo;opinion publique. Dans quelle mesure la France peut-elle se faire une place en Europe, face au Luxembourg et &agrave; la Grande-Bretagne&thinsp;? Le Luxembourg [3] est effet tr&egrave;s en avance et offre le meilleur environnement en Europe pour la finance islamique. Au contraire, le march&eacute; britannique me semble tourner au ralenti, sur la partie banque d&rsquo;investissement comme de d&eacute;tail. Il n&rsquo;en serait certainement pas de m&ecirc;me si le gouvernement britannique avait &eacute;mis des sukuks en livres sterling. En tout &eacute;tat de cause, le march&eacute; des sukuks en euros reste &agrave; lancer. Quelqu&rsquo;un doit montrer le chemin et cela pourrait &ecirc;tre la France. Elle dispose de grandes entreprises, qui ont des besoins de financement, de grandes banques, pour la plupart d&eacute;j&agrave; actives en finance islamique dans le Golfe, et d&rsquo;interm&eacute;diaires de march&eacute;. Elle pourrait alors servir l&rsquo;ensemble du march&eacute; de la zone euro, &agrave; condition d&rsquo;&ecirc;tre la premi&egrave;re. 1 On parle &eacute;galement de &amp;quot;Tawarruq&amp;quot;: la banque ach&egrave;te comptant pour le compte de son client un certain montant de mati&egrave;res premi&egrave;res et les lui revend &agrave; terme. Simultan&eacute;ment, le client les vend &eacute;galement &agrave; terme &agrave; un troisi&egrave;me interlocuteur. Le client couvre ainsi un besoin de financement et la banque place ses liquidit&eacute;s. 2 Not&eacute;e A- et d&rsquo;une maturit&eacute; de 5 ans. 3 La Banque centrale luxembourgeoise est signataire de l&rsquo;accord sur la gestion de la liquidit&eacute; des banques islamiques.

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L’exemple malaisien

« Introduire la finance islamique pour une minorité de la population n’est pas rentable »

Vue d’Europe, la finance islamique est souvent associée au Moyen-Orient. L’Asie occupe pourtant une place de choix, et en premier lieu la Malaisie d'où proviennent plus de la moitié des sukuks émis dans la zone. Un exemple que la France commence à regarder de près.

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