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Moyens de paiement

« Instant payment » : un enjeu paneuropéen

Créé le

17.12.2015

-

Mis à jour le

28.12.2015

L’instant payment est un enjeu clairement identifié par les instances européennes afin de soutenir la croissance des échanges économiques entre les États membres. Cependant, pour parvenir à un service robuste et sûr, critère essentiel pour gagner la confiance des acteurs économiques, les exigences sont élevées. La maturité des États membres pour mettre en place un tel service est inégale, à tel point qu’il est légitime de se demander si le terme « instantané » aura la même signification dans tous les pays.

Les avancées technologiques tendent à modifier les attentes des consommateurs : ceux-ci cherchent notamment à être connectés en permanence à leurs interlocuteurs (fournisseurs, employeurs, banquiers, distributeurs) et à avoir accès à leurs services à tout moment. Les smartphones et les tablettes dont l’accessibilité et l’utilisation se sont vulgarisées au fil des années expliquent grandement ces modifications d’habitudes. Face aux exigences croissantes des consommateurs, les entreprises ainsi que les autorités nationales et supranationales déclenchent des actions afin de répondre à leurs attentes et d’entretenir l’innovation.

Le monde des paiements n’échappe pas à cette tendance et pour y répondre l’instant payment représente un enjeu majeur pour fluidifier les échanges commerciaux. L’instant payment apparaît de plus en plus comme un « incontournable » dans le e-commerce. Au niveau national ce service a déjà fait l’objet d’investissements lourds dans certains pays, tels qu’au Royaume-Uni ou encore au Danemark. À l’échelle supranationale, cette ambition se constate notamment par la création d’un comité spécifique, l’Euro Retail Payments Board (ERPB) [1] , chargé de favoriser le développement d'un marché intégré, innovant et compétitif pour les paiements en euros. C’est en décembre 2014 que l’ERPB a défini pour la première fois la notion de paiement instantané : il s’agit d’une « solution de paiement électronique disponible 24/7/365, résultant d’une compensation interbancaire immédiate ou quasi immédiate de l’opération et du crédit du compte du bénéficiaire avec une demande de confirmation au payeur ». La Banque Centrale Européenne (BCE), quant à elle, facilite la compréhension du paiement instantané en l’associant à du cashless cash (espèces), car ce moyen de paiement revêt certaines propriétés du cash, notamment dans la rapidité et le dénouement de la transaction.

En outre, l’ERPB souhaite tirer profit de l’harmonisation et de l’intégration du marché européen déjà réalisées dans le cadre du projet SEPA (Single Euro Payment Area) pour développer un système de paiement instantané transfrontalier. C’est dans la poursuite de cet objectif que l’ERPB, l’European Payments Council (EPC) et l’European Banking Authority Clearing travaillent activement sur le sujet, afin d’élaborer des solutions pertinentes et accessibles aux acteurs européens du paiement. Ces organisations supranationales cherchent donc à faire de l’instant payment un vecteur d’intégration du marché des paiements européens. Cependant, une limite notable est à prendre en considération ; celle-ci réside dans le fait que les acteurs européens du paiement sont inégaux face à l’instant payment. En effet, alors que certains pays proposent ce type de service depuis plusieurs années déjà et sont donc en capacité d’appréhender les propositions de solutions paneuropéennes, d’autres restent en retard sur le plan technologique et par manque de préparation risquent de se retrouver exclus au démarrage des initiatives européennes.

L’instant payment selon l’European Payments Council [2]

Des solutions de paiement instantané sont déjà déployées dans certains pays d’Europe. Cependant, leur utilisation reste à l’échelle nationale et aucune solution transfrontalière n'est disponible à ce jour. La mise en place de telles solutions sur un périmètre européen nécessiterait un effort d’harmonisation et d’intégration au sein de l’industrie des paiements européens, à l’image des travaux menés pour la réalisation du projet de migration SEPA.

Afin de constituer des actions en faveur du paiement instantané et de lutter davantage contre les disparités existantes entre les différents pays de la zone SEPA, l’European Payments Council (EPC) s’est positionné sur le sujet en présentant le Sepa Credit Transfer (le virement) comme un instrument sous-jacent de référence pour développer une solution de paiement instantané. C’est dans ce cadre qu’un projet de scheme a été soumis à l’ERPB en novembre 2015, pour la mise en œuvre de l’Instant Sepa Credit Transfer (SCTinst). Ce scheme décrit le processus d'une transaction SCTinst et met en avant les obligations de contrôles et d’information qui pèseront sur les PSP [3] : confirmation positive ou négative au payeur et au bénéficiaire, disponibilité des fonds, etc. L’Instant Sepa Credit Transfer Scheme pourra être adopté sur une base volontaire par les PSP habilités et agréés dans les pays de la zone SEPA. Cependant, ces derniers devront investir afin de se doter des infrastructures nécessaires pour supporter le paiement instantané. Cela représentera une limite considérable pour certains PSP et donc pour le développement d’une telle solution, car si le PSP bénéficiaire du paiement instantané n’a pas adhéré au scheme, l’opération sera rejetée [4] . Sur la base de cette proposition de scheme, l’EPC doit maintenant élaborer les rulebooks et guidelines afin qu’ils soient disponibles d’ici novembre 2016, l’objectif étant d’implémenter le scheme d’ici novembre 2017.

Le SCTinst, permettra de créer un environnement propice au développement de solutions de paiement instantané paneuropéennes. Cependant, le succès d’un tel projet dépendra de la volonté des autorités locales d’initier des changements au sein de leurs infrastructures de paiement.

Les initiatives de l’EBA Clearing

L’European Banking Authority Clearing (EBA Clearing) contribue également à la création d'une solution de paiement instantané paneuropéenne. En effet, en février 2015, l’EBA Clearing a décidé de lancer un groupe de travail [5] destiné à soutenir les travaux en cours sur la création d'une solution paneuropéenne pour le traitement de paiements en temps réel. Plus précisément, l’EBA Clearing prévoit de proposer un service paneuropéen de paiement instantané dans la compensation et le règlement aux PSP d’ici 2018, après une phase pilote en 2017 [6] .

C’est également dans la poursuite de cet objectif que, le 6 octobre 2015, l’EBA Clearing a lancé un appel d’offres afin de sélectionner un fournisseur de solution technique, capable de mettre en œuvre une infrastructure de paiement instantané paneuropéenne. La house clearing française STET [7] s’est positionnée sur cet appel d’offres. La compagnie a déclaré qu'elle travaillait actuellement sur la création d'une plate-forme d’instant payment compatible avec le scheme SCTinst. Cette plate-forme sera dans un premier temps accessible à la communauté bancaire française, puis sera ouverte à tous les PSP européens.

La mise en œuvre d’une solution de paiement immédiat, qu’elle soit domestique ou paneuropéenne, devra être planifiée par les PSP, les systèmes de compensation et les entreprises. Des investissements humains et financiers devront être fournis par chaque partie prenante, qui devra tirer parti de son infrastructure de paiement existante pour rendre ce déploiement le plus efficace et le moins coûteux possible. Ainsi, les démarches d’investissements et de modernisation vont fortement varier d’un pays à un autre, en raison des différences internes entre chaque PSP et des divers systèmes de paiement nationaux. Notons que certains pays ont déjà entrepris des démarches de modernisation de leur système de paiement, afin de promouvoir et développer des solutions de paiement en temps réel. Ceci accentue la rupture avec les pays plus en recul sur le plan technologique, complexifiant davantage la mise en œuvre de solutions de paiement instantané sur un périmètre européen.

De fortes inégalités au sein de l’Europe : les exemples du Danemark et du Royaume-Uni

Certains pays ont déjà réformé leur système bancaire interne afin de développer des solutions abouties en termes de paiement instantané. Au Royaume-Uni, l’instant payment est disponible depuis mai 2008 grâce au système Faster Payments Service (FPS). Ce système est disponible à tout moment, à la demande des particuliers et des entreprises, pour la réalisation de paiements instantanés.

L’infrastructure de ce système permet notamment de réaliser le règlement interbancaire plus rapidement [8] que les autres systèmes existants. En effet, alors que les règlements interbancaires interviennent une fois par jour dans les systèmes classiques, avec le système FPS, ceux-ci sont réalisés trois fois par jour [9] . La rapidité dans la réalisation du paiement est également possible, car le payeur et le bénéficiaire sont débités et crédités avant que les banques déposent leurs fonds. Il existe donc un risque de règlement pour la banque du bénéficiaire. Cependant, ce risque est atténué :

  • le FSP est limité à des paiements par virements, ces derniers ne pouvant excéder 100 000 [10] livres sterling ;
  • de plus, la position débitrice de chaque membre du FPS est également soumise à un plafond, The Net Sender Cap [11] ; une fois ce plafond atteint, un membre ne peut plus envoyer de paiements, jusqu'à ce que sa position nette recule.
Par ailleurs, l’accord Liquidity and Loss-sharing Agreement, signé par les banques du système FPS, prévoit que ces dernières déposent une garantie auprès de la Bank of England. Ainsi, en cas de défaillance d’une banque, les autres membres devront fournir les liquidités nécessaires pour répondre à toute insuffisance dans les obligations de règlement du membre défaillant. Ces banques seront par la suite remboursées (totalement ou partiellement) grâce aux fonds générés par la liquidation de la garantie de la banque défaillante.

À l’instar du Royaume-Uni, le Danemark donne depuis novembre 2014 la possibilité aux particuliers et aux entreprises d’effectuer des transferts express [12] . Le développement d’une telle solution a été permis par la modernisation de l’infrastructure des paiements danoise et notamment la création du système de compensation Straksclearing [13] . Ce système de compensation permet la réalisation de « transferts express », définis comme des virements immédiats pouvant être effectués à tout moment du jour, de la semaine et de l'année, ces derniers ne pouvant dépasser un montant de 500 000 couronnes danoises [14] .

Alors que certains pays disposent déjà d’un système de paiement instantané opérationnel, d’autres se lancent dans le développement d’infrastructures pour supporter ce type de solution. C’est notamment le cas des Pays-Bas qui ont pour ambition d’avoir une solution d’instant payment disponible d’ici 2019. En France, les conclusions des assises des moyens de paiement soulignent l’importance d’encourager les expérimentations en matière de paiements innovants et notamment de paiement instantané. Au-delà des initiatives européennes, on peut également citer Singapour, qui a lancé en mars 2014 sa plate-forme de paiement instantané grâce au système FAST (Fast And Secure Transfers), ou encore La Banque Nationale Australienne (The Reserve Bank), qui entreprend actuellement les démarches nécessaires pour pouvoir proposer une solution d’instant payment disponible d’ici fin 2016.

Conclusion

La nécessité d’accélérer les échanges commerciaux induit une mutation des systèmes de paiement avec notamment l’arrivée de l’instant payment. Cette révolution technologique est appréhendée de façon différente au sein de l’Europe, pourtant si l’on en croit les prévisions de la BCE et de l’EBA une solution paneuropéenne sera disponible d’ici 2018. En revanche, cette offre ne sera accessible qu’aux PSP capables de supporter les investissements nécessaires à la mise en place des exigences liées au paiement instantané. A priori, il n’y a pas de doute sur la capacité des grands groupes bancaires français à intégrer cette solution. En revanche, pour que l’adoption des consommateurs soit aussi immédiate que le système mis en place, les banques devront accompagner l’implémentation opérationnelle d’un effort de communication. En effet, l’expérience nous montre que tout nouvel usage lié aux paiements suscite une anxiété auprès du grand public, d’autant plus qu’il a déjà ancré dans ses habitudes l’utilisation de la carte bancaire. En fin de compte, l’immédiateté du paiement suffira-t-elle à en assurer son succès ?

 

1 Cette entité remplace le Conseil SEPA depuis décembre 2013.
2 Selon le rapport «  EPC Report on Instant Payments ».
3 Prestataire de services de paiement.
4 Selon le rapport « EPC Proposal for the Design of an Optional Euro SCT Instant Scheme », novembre 2015.
5 Instant Payment Task Force.
6 C’est dans ce cadre qu’un document de travail, « Blueprint for a Pan-European Instant Payment Infrastructure Solution » a été élaboré.
7 Acronyme de « systèmes technologiques d'échange et de traitement ».
8 Selon le rapport de la Bank of Boston « Costs and Benefits of Building Faster Payment Systems: The U.K. Experience and Implications for the United States ».
9 Selon l’étude  « Self-assessment public disclosure for faster payments scheme limited 2015 ».
10 Chaque banque peut cependant imposer un montant inférieur.
11 Selon CPSS Redbook, « Payment, clearing and settlement systems in the United Kingdom ».
12 Selon la Danmarks National Monetary Review, 3rd Quater, 2014.
13 Straksclearing signifie « compensation immédiate », straks signifiant « immédiatement » en danois.
14 Chaque banque peut cependant imposer un montant inférieur.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº791
Notes :
11 Selon CPSS Redbook, « Payment, clearing and settlement systems in the United Kingdom ».
12 Selon la Danmarks National Monetary Review, 3rd Quater, 2014.
13 Straksclearing signifie « compensation immédiate », straks signifiant « immédiatement » en danois.
14 Chaque banque peut cependant imposer un montant inférieur.
1 Cette entité remplace le Conseil SEPA depuis décembre 2013.
2 Selon le rapport « EPC Report on Instant Payments ».
3 Prestataire de services de paiement.
4 Selon le rapport « EPC Proposal for the Design of an Optional Euro SCT Instant Scheme », novembre 2015.
5 Instant Payment Task Force.
6 C’est dans ce cadre qu’un document de travail, « Blueprint for a Pan-European Instant Payment Infrastructure Solution » a été élaboré.
7 Acronyme de « systèmes technologiques d'échange et de traitement ».
8 Selon le rapport de la Bank of Boston « Costs and Benefits of Building Faster Payment Systems: The U.K. Experience and Implications for the United States ».
9 Selon l’étude  « Self-assessment public disclosure for faster payments scheme limited 2015 ».
10 Chaque banque peut cependant imposer un montant inférieur.